Souffle
Peut-être cela vous est-il déjà arrivé ? La maison était vide et paisible et vous étiez absorbé dans une activité passionnante, par exemple la lecture d’un excellent livre quand, soudain, inexplicablement, quelque part une porte claque avec fracas. Où y avait-il donc une porte ouverte dans la maison ? Vous avez plusieurs façons de traiter cette énigme. Parfois vous vous levez et allez enquêter directement. Il y a bien une porte ou une fenêtre béante qui expliquera tout. Une autre solution consiste à ne rien faire ; après tout, cette porte est maintenant bien fermée, vous pouvez vous replonger dans votre livre passionnant.
Vous pouvez aussi faire venir un spécialiste du paranormal qui vous aidera à localiser l’esprit facétieux qui a sur la conscience cette porte claquée, surtout si vous habitez une maison ancienne quelque peu isolée. Cette expérience domestique est banale ? Elle l’est tout autant au plan spirituel.
Une de mes tantes affectionne particulièrement les dictons et les paroles de sagesse. Dans sa chambre à coucher, elle a brodé ces mots : « Quand Dieu te ferme une porte ici, sois certain qu’il ouvre une fenêtre ailleurs. »
Autrement dit, dans nos vies, quand un chemin finit en cul -de- sac, il y a une solution, un nouveau défi à trouver ; à condition , bien sûr, de chercher avec persévérance ,fût-ce un peu plus loin que le bout de notre nez. Cette parole de consolation a aussi un côté humoristique. Avec le recul, on dira sans doute : « ça, alors ! Je ne savais pas qu’il y avait une fenêtre à cet endroit-là. »
Ma propre vie fourmille d’exemples. A chacun de nos déménagements, des portes se sont fermées et des fenêtres se sont entrouvertes. Je donnais des cours d’anglais à des adultes à Montbéliard ; cette porte s’est trouvée fermée à Valenciennes et j’ai dû abandonner l’enseignement, la mort dans l’âme. Mais ma toute nouvelle passion pour le patchwork m’a permis d’y lancer un club regroupant plus de vingt couturières acharnées…au travail comme à la conversation à cœur ouvert ! Deux déménagements plus tard, j’ai retrouvé l’enseignement du français et du néerlandais.
Ma tante a aussi déménagé. Elle est partie en maison de retraite. Elle avait décidé de retourner dans sa province natale, la plus septentrionale des Pays-Bas, assez loin de ses enfants et de ses amis. Mais sa conviction était très ferme : sa place était là-bas. A la même époque, la mort de plusieurs voisins et amis l’a isolée davantage. Pour elle aussi, beaucoup de portes se sont fermées. Mais chaque fois que je lui parle au téléphone, elle a une nouvelle rencontre enthousiasmante à me raconter. C’est un ancien marin, la veuve d’un industriel, des personnes qui, comme elle, ont sillonné le monde, autant de fenêtres qui s’ouvrent sur un avenir intéressant.
Il ne s’agit pas ici d’un plaidoyer pour les maisons de retraite hollandaises, mais plutôt pour l’art de trouver ces fenêtres qu’un souffle divin ouvre avec la même énergie qu’il ferme certaines portes, ces fenêtres qui donnent à chacun de nous un regard neuf sur le paysage qui nous entoure.
Johanna Jaulmes
Revue « Changer international » n° 310, Automne 2003