En décembre 1991 est créée, en remplacement du GATT, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) où doivent être traitées les questions relatives au commerce international. A ce jour près de 150 pays adhèrent à l’OMC.
Si le commerce international a des impacts positifs, par exemple pour le développement de certains pays d’Asie, les critiques contre l’Organisation Mondiale du Commerce se multiplient ; ces critiques viennent d’associations, d’ONG, de syndicats ou de partis politiques, de personnalités parmi lesquelles des économistes, mais aussi de simples citoyens lors de rassemblements importants, comme au Larzac en août 2003.
En effet les négociations internationales en cours dans ce domaine du commerce vont avoir des conséquences considérables pour les habitants de toute la planète. Différents sites internet donnent des éclairages utiles sur ces enjeux : on peut citer ceux d’ATTAC, www.france.attac.org/ ,de l’URFIG , www.urfig.org/ ,de l’OXFAM, www.oxfamsol.be/fr et de AGIR ICI POUR UN MONDE SOLIDAIRE www.agirici.org .
La doctrine de l’OMC est que l’extension du libre-échange va amener la prospérité partout et en particulier dans les pays les moins avancés, produire la croissance qui conduira au développement ; le moyen est donc la suppression de tout ce qui peut être considéré comme un obstacle au commerce international.
Cette vision d’un monde où progressivement tout doit être régi par des relations marchandes est vraiment désespérante. Il faut connaître les défauts et les pièges pour l’avenir de ce système pour concevoir et mettre en oeuvre un monde où l’objectif premier serait de pourvoir, pour tout être humain, aux besoins fondamentaux d’alimentation, de santé, d’éducation, dignité dans le travail et démocratie.
La conférence ministérielle de l’OMC à Cancun en septembre 2003 s’est soldée par un échec, aucun accord global n’ayant été trouvé, les pays du Sud ayant résisté aux pays du Nord : les questions que pose cet échec ne doivent pas être évacuées.
OMC : les critiques des pays du SUD.
Les pays en développement sont arrivés à Cancun extrêmement déçus car rien des promesses faites à la conférence précédente de Doha (en novembre 2001, peu après les attentats du 11 septembre à New-York) pour un plan de développement n’a été mis en œuvre, si ce n’est un accord signé dix jours avant Cancun sur l’accès aux médicaments, accord jugé souvent largement impraticable. En particulier il n’y a eu aucune avancée sur le traitement spécial et différencié prévu pour ces pays pour tenir compte de leurs fragilités.
D’ores et déjà de nombreux pays du Sud ont leur agriculture complètement déstabilisée par l’importation de céréales des pays du Nord qui, du fait de subventions, deviennent moins coûteuses que les productions locales. Pour des pays où souvent plus de 60% de la population vit de l’agriculture, il y a là une cause d’exode rural massif et d’augmentation de la misère.
Parmi les critiques des pays en développement on peut encore citer :
· la difficulté énorme qu’ils ont à exporter leur production vers les pays développés ; l’impossibilité pour des pays comme le Mali ou le Burkina-Faso d’exporter leur production de coton, du fait des subventions accordées aux producteurs des USA, a été largement prise en exemple dans les médias dans la période du sommet de Cancun;
· inversement les prêts du FMI (Fonds monétaire international) dans les pays en développement ne sont accordés qu’avec des contreparties très lourdes, comme une diminution importante des droits de douane qui fragilisent encore davantage ces économies;
· sous- couvert de lutte contre la corruption, les pays développés veulent pour leurs entreprises un accès libre aux marchés publics des pays en voie de développement ce qui ne peut qu’être destructeur pour ces économies fragiles ;
· les pays riches font pression pour un accord sur la libéralisation des investissements, pour permettre aux sociétés transnationales d’investir sans limites dans les pays en développement mais sans contre-parties de réinvestissement sur place des bénéfices ni même d’emploi de la population locale ;
· mainmise sur les ressources vitales : au travers d’un accord en cours de négociation sur les services (AGCS), on se bat du côté américain pour une ouverture sans limites aux marchés pour les services à l’énergie, tandis que l’Union européenne est très offensive pour libéraliser le captage, le traitement et la distribution de l’eau, encore largement dans le domaine publique. Or les mouvements de protestation contre les effets de la privatisation de ce secteur se multiplient dans les pays où elle a eu lieu (Bolivie, Afrique du Sud, Ghana, Argentine…).
· Brevatibilité du vivant : des firmes productrices de semences déposent des brevets sur des semences mises au point au fil du temps dans les pays du Sud , modifiées génétiquement ou non ; des firmes pharmaceutiques le font pour des substances utilisées dans les médecines traditionnelles. Cela amène, pour les pays d’origine, à des recours très longs et très coûteux (ils se chiffrent en millions de dollars) pour pouvoir utiliser à nouveau librement ces semences ou substances. Cela participe au sentiment de subir un pillage et une recolonisation que ressentent souvent les pays du Sud.
Si à l’OMC est censée s’appliquer la règle un État une voix, en réalité la partie n’est pas équitable : il y a de nombreuses négociations, de nombreux groupes de travail et les pays du Sud n’ont pas les moyens d’avoir des représentants partout, alors que les pays riches et l’UE ont une multitude d’experts de même que les groupes de pression (lobbies) des différents secteurs d’activité qui disposent souvent de cabinets d’avocats spécialisés. C’est pour pallier en partie cette difficulté que des alliances se sont crées à Cancun parmi les pays en développement. Ces derniers réclament également une réforme de l’ERD, l’organisme de règlement des différends au sein de l’OMC.
OMC : critiques dans les pays du Nord.
La première est la difficulté à assumer bien des positions de l’Union Européenne évoquées ci-dessus et de son négociateur, Pascal Lamy en 2003 qui sont censés parler en notre nom !
Déjà la compétition entre les entreprises en conduit beaucoup, pour survivre ou parfois pour augmenter leurs bénéfices, à se restructurer ou à délocaliser leur production dans des pays où dit-on le coût du travail est moindre ; d’autres disparaissent. Les pertes d’emploi en France sont considérables et, parmi les emplois restants, le nombre d’emplois précaires (CDD, intérim, temps partiel imposé) est très inquiétant. Cette précarité rend la vie de nombreux citoyens chaotique, angoissée, privée de projets d’avenir ; et sur le plan économique la précarité contraint ceux qui la vivent à chercher toujours les prix les plus bas et conduit à un cercle vicieux de perte d’emplois par de nouvelles importations. Les préoccupations sont fortes car le secteur des services rentre progressivement dans le champ de l’OMC.
AGCS :Accord Général pour la Commercialisation des Services.
La notion de services est prise dans un sens très large puisqu’y figurent :
– des secteurs qui sont déjà dans le champ concurrentiel, comme la construction, les services financiers ou informatiques, le tourisme, la publicité…
– des secteurs panachés entre privé et public, assurant des missions de service public, comme les transports, les télécommunications, les transports…
– des secteurs totalement ou majoritairement inclus, en France, dans le secteur public, comme les bibliothèques ou les archives nationales, l’éducation, l’environnement, la santé et les services sociaux.
Seuls les services fournis “dans le cadre de l’exercice gouvernemental” à savoir l’armée et la police et probablement la justice seraient hors du champ de l’accord.
L’objectif est d’arriver à un accord au plus tard au 1er janvier 2005.
Le grand marchandage : jusqu’au 31 mars 2003 les différents pays concernés devaient faire connaître leurs offres de libéralisation, c’est à dire les secteurs où ils décident d’engager le processus de libéralisation ; depuis cette date chaque pays peut adresser à d’autres des demandes de libéralisation dans des secteurs précis. Dans toutes ces démarches la France n’intervient pas directement, mais c’est l’Union Européenne qui agit globalement au nom de tous ses membres au travers de la commission et plus spécialement par le commissaire européen au commerce international. Nous sommes dans la période de négociations qui donnent lieu à un jeu de “donnant-donnant” qui peut modifier notablement les offres initiales du fait de concessions faites pour obtenir de certains pays la libéralisation de secteurs qui ne faisaient pas partie de leur offre initiale.
Même si l’éducation, la santé et la culture ne faisaient pas partie de l’offre initiale de la commission européenne, cela ne garantit pas que ces secteurs ne figureront pas dans les offres finales. En effet certains pays de l’OMC dont notamment les États-Unis mènent une campagne active pour obtenir des engagements dans l’enseignement supérieur ou la santé.
Ces décisions sont très lourdes de conséquences car, dans les domaines où un pays ou un ensemble de pays a fait une offre de libéralisation, d’accord en accord, la libéralisation doit progresser jusqu’à être totale, les garde-fous acceptés au début du processus devant progressivement tous disparaître. Pour un pays faire ressortir un secteur du domaine de l’AGCS sera quasiment impossible, car trop coûteux ; en effet il faudra s’acquitter de compensations aux fournisseurs de services qui s’estimeraient lésés.
Vers des régressions sociales majeures.
Le discours récurrent en France est que pour être compétitifs il convient d’introduire de la flexibilité : c’est ainsi que l’on cherche à remettre en cause la notion de contrat de travail à durée indéterminée, que certains voudraient supprimer le salaire minimum, que l’on veut permettre des accords d’entreprises avec des conditions plus défavorables que les conventions collectives du secteur…
Les auteurs de l’ouvrage “OMC, pouvoir invisible” montrent bien comment les professionnels des différents secteurs et les multinationales constituent des groupes de pression (les lobbies qui peuvent représenter le secteur agricole, les industries pétrolières, chimiques ou pharmaceutiques, alimentaires ou encore les secteurs du traitement de l’eau, de la santé, de la culture ou de l’éducation…) auprès de l’OMC à Genève, de la commission européenne à Bruxelles…Pour pouvoir étendre leurs activités dans de nouveaux pays et accroître les profits,
chaque lobby s’entoure d’experts et d’avocats spécialisés, parfois plusieurs dizaines, qui ont parmi leurs fonctions :
– chercher dans la législation des pays convoités ce qui fait entrave au commerce international dans leur secteur et faire évoluer, voire supprimer ces textes ;
– chercher dans les centaines de pages des dispositions prises par l’OMC, avec des textes souvent imprécis, parfois contradictoires le bon levier pour arriver à leurs fins.
Un exemple : la santé.
Placer la santé dans le champ de l’AGCS ce serait y appliquer les règles générales :
– traitement identique pour les entreprises internationales que pour les entreprises locales ou publiques ;
– accès au marché libre : ne devra exister aucune réglementation qui limite le nombre de fournisseurs, leur part de marché (ce qui serait paradoxal dans une période de déficit grave de la sécurité sociale), leur participation au capital et le nombre de travailleurs “importés”.
En ce qui concerne médecins et infirmières les pressions des milieux d’affaires vont dans deux directions :
– importer du personnel médical “pour combler les lacunes au niveau de l’offre et réduire la pression au niveau des coûts” en ne soumettant pas ces personnels aux règles du droit du travail de leur pays d’accueil ;
– réduire au minimum les obligations de qualification des personnels.
Avec la santé dans l’AGCS, il ne serait plus possible de traiter de façon privilégiée les mutuelles par rapport aux assurances privées alors que, pour les premières, la solidarité est la règle, personne n’étant exclu pour dossier médical trop lourd !
La vie démocratique menacée.
Un des fondements de l’OMC est bien d’ôter toute entrave au commerce international. il faut alors déréglementer ;
Ce qui est considéré comme obstacle ne se réduit pas aux droits de douane ; on y trouve tout ce qui dans les lois, décrets, règlements et directives, mais aussi dans les subventions, normes et qualifications peut être considéré comme “plus rigoureux que nécessaire pour assurer la qualité d’un service”.
Seront en particulier passés au crible :
– la législation sociale (dont le droit du travail),
– ce qui a trait à l’accès universel aux services (notion proche de celle de service public mais qui veut donner la possibilité de le faire réaliser avec compensations par le secteur privé),
– la législation pour la défense des consommateurs (par exemple la possibilité d’interdire l’importation de viande provenant d’animaux élevés aux hormones est contestée),
– la législation concernant la protection de l’environnement (pour les plus durs, nul ne doit pouvoir limiter l’importation ou la culture d’OGM).
Certains estiment que les “lois nationales sont pour les trois quarts des obstacles au commerce qu’il faut démanteler”.
Si cette déréglementation se poursuit, on peut se demander quel pouvoir reste-t-il aux gouvernements et aux parlements des états membres de l’OMC.
Conclusions : propositions et campagnes d’opinion.
* S’il est généralement reconnu qu’il vaut mieux avoir des règles au commerce international, les problèmes évoqués ci-dessus montrent bien que pour l’OMC en général et l’AGCS en particulier un moratoire s’impose; il est d’ailleurs prévu dans les textes fondateurs de l’OMC de faire une évaluation des conséquences des politiques de libéralisation. Il faut exiger que cette évaluation soit indépendante et pluraliste.
Parmi les personnalités et les organismes qui critiquent l’OMC il y a des avis différents allant de la réforme de l’OMC à la création d’une autre structure ; ce qui doit être maintenu c’est la capacité de chaque pays à faire entendre sa voix. La gouvernance mondiale du FMI et de la Banque mondiale sont aussi à reconsidérer.
* Une deuxième exigence souvent mise en avant pour que le commerce et l’argent ne règnent pas en maîtres sur la planète, est de poursuivre le processus d’annulation de la dette des pays du Sud, de relancer les programmes d’aide au développement… mais aussi, pour satisfaire les besoins fondamentaux de l’humanité, de soumettre le commerce aux conventions et dispositions internationales que sont :
– le pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels ;
– les dispositions de l’OIT (Organisation Internationale du Travail), organisme de l’ONU ;
– la convention sur le respect de la Biodiversité et le protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques .
* La transparence est la troisième exigence : une information claire des citoyens sur l’impact des choix au niveau de l’Europe, de l’OMC doit être réalisée ; un débat démocratique doit s’instaurer sur les choix de société. En France, en 2002, lors des élections présidentielle puis législatives ces choix et leurs implications n’ont pas été abordés.
Par exemple, pour l’enseignement supérieur, les grèves étudiantes de novembre 2003 viennent en partie de choix flous et opaques vis à vis de l’ouverture possible à la concurrence, au niveau national et international.
* La redéfinition du mandat du commissaire européen chargé du commerce international est souvent redemandée comme conséquence de ce débat démocratique; est en particulier réclamée la défense du service public et du service universel.
* Campagnes d’opinion publique : le collectif d’associations Agir ici pour un monde solidaire en propose sur son site internet cité en début d’article .
* Réflexions sur l’étendue des délocalisations qui au-delà des emplois agricoles et industriels touchent de plus en plus des emplois à forte qualification: certains réfléchissent à la nécessité de la relocalisation de l’économie.
Il y a nécessité à veiller à un réel progrès social dans les pays où les activités sont délocalisées (par exemple par la campagne éthique sur l’étiquette :
www.ethique-sur-etiquette.org ).
Se posent aussi les questions de la dépendance croissante vis à vis de pays, comme la Chine, où il y a de graves atteintes aux droits de l’Homme, et du coût écologique de l’augmentation constante du transport des marchandises.
* Les problèmes de protection de l’environnement liés au développement du commerce international et à la recherche permanente de la croissance économique sont vitaux ; il est urgent de les prendre en compte.
Bibliographie :
L’ouvrage OMC, le pouvoir invisible d’Agnès Bertrand et Laurence Kalafatides, publié chez Fayard est très complet et éclaire vraiment tous ces mécanismes et organismes obscurs du commerce international.
Mondialisation : la réflexion dans le monde chrétien .
Elle progresse en France, en Grande-Bretagne ; ce sera l’objet d’un autre article.
Dans cet article, nous avons choisi le parti-pris d’une priorité, d’un choix résolu à combattre la pauvreté (et ses causes) entre les pays, la pauvreté au sein de chaque pays, avec la conviction que l’attention au pauvre est un devoir d’humanité et l’assurance qu’elle n’est pas source d’appauvrissement…mais au contraire d’enrichissement. Cette promesse revient souvent dans les propos des prophètes cités dans la Bible, que ce soit dans un cadre personnel (livre d’Esaïe où le chapitre 58 évoque le vrai jeûne, versets 6 à 13), ou que ce soit dans le cadre d’une nation pour qui le secours du pauvre et du plus faible est souvent cité comme condition à l’approbation divine (prophète Jérémie, par exemple chapitre 5 versets 25 à 30 ou chapitre 7 versets 3à 7).