Une Église condamnée à renaître. D’où nous vient cet appel: une Église condamnée à renaître? Il s’inscrit dans un livre (1) où Philippe Baud, prêtre suisse responsable du Centre catholique d’études de Lausanne, interviewe André Gouzes, frère dominicain, animateur de l’abbaye cistercienne de Sylvanes dont il a fait un centre de rencontres Œcuméniques et culturelles et un haut lieu du chant liturgique. Ainsi c’est à partir d’une expérience de vitalité et de créativité au cœur même de l’église catholique que ces voix s’élèvent pour faire entendre l’urgence du changement.
La parole d’André Gouzes est nourrie par une vision spirituelle et la méditation de la Bible. “Dieu est la vie. Il n’y a rien de plus opposé à la foi en Dieu que le refus de la vie. De fait, il y a correspondance et totale synergie entre le don de la foi et la foi en la vie, entre l’engagement d’un croyant dans le monde et sa foi en Dieu” (p. 26). La vie chrétienne devrait être un “hymne à la liberté et à la joie” (p. 61-64). Mais comment communiquer la foi aujourd’hui?
L’Église doit être repensée comme une “communauté de témoins”. “Tel est l’aspect sous lequel elle doit se rendre visible: une communauté de gens qui choisissent la douceur plutôt que la violence, le partage plutôt que le profit, l’espérance plutôt que le désespoir… et qui décident à chaque fois qu’ils le peuvent et dans les domaines les plus divers d’être les artisans de la Pâque du monde, c’est-à-dire des passeurs (pâque en hébreu veut dire “passage”) toujours soucieux de faire passer la création et toute l’humanité de la mort à la vie” (p.33). André Gouzes n’est pas un théoricien, c’est un homme de terrain extrêmement attentif aux réalités de la vie quotidienne. C’est à partir de l’observation qu’il constate les dysfonctionnements de l’institution. Ainsi fait-il ressortir le manque de pertinence de beaucoup de célébrations dominicales.
“Plutôt que de s’enfermer dans une sacralisation rituelle de l’avant messe où l’on entend tant bien que mal les textes bibliques lus sans préparation ni présentation et suivis d’une homélie qui s’interdit de durer plus de dix minutes, pourquoi ne pas imaginer de faire de la première partie de nos liturgies une véritable école de la Parole” (p. 52).
“On pourrait imaginer que nos liturgies se déroulent en trois temps. Le premier serait un moment fraternel et festif de rencontre car il faut d’abord se connaître pour vivre ensemble quelque chose. Dans le second temps, plutôt que d’écouter passivement une homélie, les participants pourraient se regrouper en petits cercles…” À partir de là des pistes communes pourraient se dégager. “Dans le troisième temps, on entrerait dans cette grande prière de gratitude ou “d’action de grâces” qu’est littéralement “l’eucharistie” (p. 167-168)”. Une telle approche implique un changement complet de perspective, une véritable révolution des pratiques et de l’organisation.
“Passons d’une liturgie du temple, celle de l’institution paroissiale qui requiert toujours une grande assemblée, à une liturgie domestique” (p. 82).
L’avenir réside dans le développement “d’une multitude de petites communautés éparses dans les quartiers et les villages… Cela favoriserait le sens de la communion et de l’ouverture, ce que j’appelle précisément la catholicité (2). Cela favoriserait aussi un mode d’évangélisation qui permettrait de faire naître l’Église tout de suite là où surgit la vie. On pourrait alors inviter un néophyte dans une assemblée en lui disant tout simplement: “viens et vois”.
En fonctionnant de la sorte, l’Église pourrait se libérer d’une histoire où elle n’a cessé de construire des estrades et des baldaquins. Elle apprendrait à mieux discerner (c’est le propre de la fonction apostolique, de la fonction épiscopale) les dons que l’Esprit fait aux hommes et pourrait ainsi les appeler à célébrer l’eucharistie au cœur même de leur existence quotidienne. Elle n’aurait plus à prendre en charge l’organisation d’un territoire mais plus humblement et plus fondamentalement, à reconnaître l’existence des communautés chrétiennes là où elles vivent pleinement la catholicité du mystère de la foi” (p. 69-70).
Bien entendu cette perspective requiert une autre conception des ministères.
André Gouzes écrit là dessus des pages fortes qui rejoignent des attentes de plus en plus répandues. Ce compte-rendu, trop bref, donne un aperçu de la richesse de cet apport où la profondeur de la vision spirituelle s’allie à l’observation et à la dynamique du vécu. À partir d’un contexte spécifique, des tendances se dégagent qui rejoignent celles qui apparaissent aujourd’hui dans différents milieux: développement des communautés locales et des groupes de maison, accent sur la communion fraternelle, renouvellement des formes, abandon des archaïsmes.
Jean Hassenforder
(1) Gouzes (André). Une Église condamnée à renaître. Entretiens avec Philippe Baud. Éditions Saint-Augustin, 2001.
(2) Selon André Gouzes, le terme renvoie à l’universalité du salut dans le Christ et appartient au patrimoine commun de tous ceux qui aiment le Christ et suivent son enseignement.