Le Parlement français doit examiner le projet de loi, (la 22e depuis 1986), régulant l’accueil des étrangers par la nation française. Tous les observateurs de la vie politique parlent d’un « projet à haut risque ».
Qu’entendent-ils par-là ? Ils évoquent à juste titre le danger d’un éclatement de la majorité présidentielle ou celui d’une victoire des extrêmes, manipulant nos appréhensions à l’égard des personnes migrantes. Mais les enjeux me semblent plus profonds : comment quitter le domaine des calculs électoralistes et refuser la manipulation de nos peurs pour que la décision soit vraiment prise « en conscience » ; c’est-à-dire en fonction des convictions fondamentales qui devraient animer les choix sociétaux français ?
« Toi aussi tu fus un étranger »
Je ne me prononcerai pas sur le détail du texte mis au vote. Réfléchissons aux risques que nous prenons en ne privilégiant pas les principes fondamentaux et en jouant plus ou moins avec la montée de la xénophobie. Nous jouons avec le feu en n’introduisant pas dans le débat les valeurs qui devraient guider une France véritablement « terre d’asile ».
Nombre de passages de la Bible, écrits il y a près de 3000 ans, mettent l’accent sur le devoir d’accueillir l’étranger, qui sollicite notre aide. Pourtant cela n’allait pas de soit à l’époque, tant le tribalisme poussait au rejet de l’autre transformé en ennemi. Le texte biblique attire l’attention de ses lecteurs sur la richesse de l’accueil : Dieu se révèle à travers l’étranger qui nous rend visite. Soulignant que nous avons la mémoire courte, les mêmes textes disent l’opportunité de l’accueil, pour nous-mêmes : « Souviens-toi que tu fus étranger toi-même !».
Quand l’étranger interpelle
L’Évangile décrit à plusieurs reprises des scènes dans lesquelles ce sont des étrangers ou étrangères qui révélèrent à Jésus lui-même sa mission d’annoncer l’universalité du message d’amour dont il était porteur. Ce n’est pas un hasard. Notre vocation à la fraternité passe souvent par la rencontre avec des étrangers. Et ceci en de multiples occasions. Par exemple dans le domaine de l’accompagnement des enfants ou des soins des personnes âgées. Ou lors des fêtes de quartier où des personnes d’origine étrangère animent la rencontre d’une joie simple et contagieuse, ou nous ouvrent des horizons nouveaux dans le domaine culinaire ou artistique.
Dans le cadre des actions contre la torture (ACAT), j’ai été, je suis encore émerveillé par la capacité de résistance, de résilience et de mobilisation des étrangers les plus démunis. Ou encore dans la lutte contre la faim (CCFD-Terre Solidaire), les étrangers nous font découvrir la richesse du vrai partenariat : agir AVEC et non pas pour les pauvres.
Non je n’idéalise pas. Les exemples de rencontres réussies avec des étrangers, ici ou ailleurs, sont multiples. Nous ne savons pas les célébrer. Je n’ignore pas la difficulté de toute rencontre ni la peur que peut provoquer le sentiment d’être interpellé dans sa propre culture par une autre. Je sais aussi que le risque de violence peut habiter certaines réalités de cohabitation, rendant le dialogue difficile.
La fraternité comme boussole
Construire une loi sur la crainte et le refus de la rencontre, est mortifère. Tout spécialement en cette période de mondialisation qui nous fait être de plus en plus interdépendants. Plus que jamais nous avons besoin de l’autre, comme il a besoin de nous. Cet horizon s’appelle la fraternité. Non pas un slogan facile mais une féconde exigence pour donner à notre vie toute sa profondeur. L’autre nous invite à découvrir ce qui, en nous, est « autre » et vivifie l’espérance.
En juillet 2018, le Conseil constitutionnel, à l’occasion d’un procès intenté à quelqu’un qui avait aidé une personne en situation irrégulière, a rappelé que le principe de fraternité a valeur de repère fondamental pour la société française : il interdit de condamner celui ou celle qui a accueilli un étranger, fut-il en situation irrégulière. C’est une bonne nouvelle !
Que dans le cadre de la discussion de la future loi, sans minimiser les problèmes que pose toute rencontre, nous osions rappeler « qu’au début de tout projet commun, est le devoir d’accueil ». Il est une boussole prioritaire et non facultative ni à géométrie variable. Ayant posé ce principe, à nous de voir comment la société peut le mettre en œuvre aujourd’hui ; en tenant compte des besoins et des capacités économiques, démographiques, sociologiques et culturelles. S’ouvrir à l’accueil est une question de survie non seulement pour celui qui fuit la mort ou la misère, mais aussi pour la société toute entière. C’est aussi l’occasion d’une joie féconde pour tous. Alors nous ferons un choix responsable car guidé par une conscience ajustée à la dynamique de fraternité.
Guy Aurenche, avocat honoraire, ancien président de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture, et du Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement.