La génération des jeunes nés après la seconde guerre mondiale aux Etats-Unis a grandi dans une société en mutation culturelle. A la recherche d’authenticité, pour une grande part, elle a rompu avec une culture religieuse marquée par une tradition répétitive et une organisation descendant de haut en bas. Mais après s’être éloignée, elle a rejoint des églises qui se sont développées pour répondre aux aspirations nouvelles. Le sociologue Wade Clark Roof a raconté cette histoire en montrant toutes les dimensions de ce changement culturel (1). Dans son livre comparant l’Europe aux autres continents (2), une autre sociologue, Grace Davie, met en valeur l’originalité du contexte américain où le déclin des églises classiques est compensé par une créativité capable de susciter de nouveaux débuts. Cette histoire nous est également racontée par Donald E. Miller, professeur à l’Université de Californie du Sud. Comme son homologue, Harvey Cox, découvreur de la constellation pentecôtiste dans son livre traduit en français : le retour de Dieu (3), Miller qui avait adopté une expression en phase avec celle de l’intelligentzia dominante, a trouvé dans les racines de son éducation familiale, les ressources lui permettant de mieux comprendre les églises pentecôtisantes en plein essor dans la Californie.
Dans un entretien avec Timothy Sato publié par la revue Books and Culture (4), Donald E. Miller raconte comment il a découvert l’attrait d’un certain nombre d’églises en plein essor après y avoir envoyé ses étudiants de sociologie y réaliser des enquêtes ethnographiques. Il a ainsi été conduit à analyser l’expression et le fonctionnement des églises Vineyard, Calvary et Hope. Il y a perçu cette réalité au-delà de nous-mêmes qu’elles appellent l’Esprit Saint et un climat caractérisé par la chaleur humaine et la communication. Sensibilisé à cette nouvelle culture, Miller a élaboré une nouvelle perspective concernant l’avenir du protestantisme américain comme l’indique le titre de son livre : « Reinventing American Protestantism. Christianity in the next millenium » (5). Il y donne toute sa place à l’importance de l’exprérience et, en poursuivant sa réflexion, il s’est trouvé en mesure de distinguer les critères qui permettent d’expliquer le développement rapide de ces églises et leur capacité d’attirer des personnes issues de milieux non croyants.
Ces églises, nous dit-il, n’arborent pas les signes religieux conventionnels. Elles n’ont pas une organisation marquée par la hiérarchie, mais elles mettent en œuvre les principes du sacerdoce universel. Elles ne répondent pas seulement aux besoins des gens. Elles les mettent en mesure de s’impliquer et de servir. En mettant l’accent sur la communication, elles développent un climat communautaire.
Un ami lui ayant demandé s’il pensait que ces découvertes pouvaient se retrouver à l’échelle internationale, ils ont décidé d’entreprendre une enquête à ce sujet. Ayant trouvé un financement pour réaliser leur projet, ils ont voyagé pendant trois ans et demi dans une vingtaine de pays en voie de développement, en Amérique Latine, en Afrique et en Asie pour y étudier des églises en croissance rapide. Pour choisir les études de cas, ils avaient eu recours préalablement à 350 informateurs à qui ils avaient demandé de leur communiquer les coordonnées d’églises répondant aux critères précédemment exposés et menant par ailleurs des activités sociales.
Les critères initiaux n’avaient pas de rapport en soi avec le pentecôtisme. Il se trouve que 85% des suggestions recueillies conduisaient à des églises pentecôtistes. Dès lors, les deux chercheurs ont décidé de conduire leur recherche uniquement auprès de celles-ci et le livre qui en résulte s’intitule : « Pentecotalism and social transformation. A global analysis » (6). Dans l’ensemble, ces églises se développent selon une vision, recrutent à travers des groupes de maison et forment les adhérents pour assumer des responsabilités et s’impliquer eux-mêmes dans des ministères. Cette dynamique de participation est comparable à celle qui a été observée aux Etats-Unis et correspond aux critères communs déjà exposés. Mais il y a aussi des différences. D’une part, ces églises comptent de nombreuses personnes en mobilité sociale ascendante parce qu’à partir de leur conversion et de leur engagement chrétien, elles ont été libérées de dépendances qui les épuisaient psychiquement et économiquement. De même, ces églises pentecôtistes ont développé une activité innovante dans le domaine social. Les expériences citées témoignent à cet égard d’une créativité élevée. Beaucoup de ces églises paraissent également attirer les classes moyennes et avoir un style plus libre que les églises pentecôtistes classiques aux Etats-Unis. Ces églises exercent les dons spirituels d’une façon très manifeste, et en même temps, elles sont de plus en plus présentes dans la vie sociale. Miller cite en exemple des églises pentecôtistes à Singapour particulièrement avancées dans une activité transnationale et « high-tech », et également capables d’assurer des services sociaux sans y mettre un label susceptible de provoquer des conflits avec d’autres groupes religieux. « Le pentecôtisme », nous dit Miller, « est loin d’être primitif dans sa vision du monde. D’une certaine façon, il est post-moderne, par exemple en refusant la division entre le corps et l’esprit ».
Cette activité des églises du tiers monde, pentecôtistes ou autres, est un exemple pour les chrétiens du monde occidental qui ont beaucoup à en apprendre. Donald E. Miller est en voie de poursuivre cette recherche dans la communion anglicane.
Cette approche nous interpelle à plusieurs titres. Elle nous montre combien le monde d’aujourd’hui est en voie d’unification. Certes, les cultures nationales conservent leur originalité et leur prégnance. Mais il est tout à fait remarquable que les mêmes critères apparaissent opérationnels et efficaces dans le monde entier à travers des environnements économiques et culturels très différents.
Dans son livre : « Europe, The exceptional case » (2), Grace Davie nous montre les caractéristiques particuliers du continent européen où l’institutionnalisation des églises est le produit d’une longue histoire. Elle met également en lumière les évolutions. Des facteurs nouveaux jouent en faveur d’une implication plus personnelle. Dans ce contexte, les courants internationaux sont mieux reçus.
En mettant en valeur la créativité d’un certain nombre d’églises dans le tiers-monde, Donald Miller invite l’ensemble des chrétiens occidentaux à l’humilité et à l’ouverture d’esprit. Comme dans d’autres domaines, nous sommes appelés là aussi au partage et à la réciprocité.
Jean Hassenforder
Juillet 2003
Références: (1) Roof (Wade Clark), Spiritual seeking in the United States. Report on a panel study, Archives de sciences sociales des religions, n° 109, janvier-mars 2000, p. 49 – 65. Commentaire : Vivre l’Evangile dans une culture avancée. Témoins, n° 131, p. 12 – 13 (Site Internet de Témoins : rubrique « perspectives ») W.C. Roof a écrit plusieurs livres importants, en particulier : Spiritual market place. Baby boomers and the remaking of american religion, Princeton University Press, 1999. (2) Davie (Grace), Europe, The Exceptional Case. Parameters of faith in the Modern World, Darton, Longman, Todd, 2002. Voir le commentaire dans la rubrique : « perspectives » (3) Cox (Harvey), Retour de Dieu. Voyage au pays pentecôtiste, Desclée de Brouwer, 1994. Commentaire : Quelle société ? Quelle religion ? Témoins, n° 114, septembre 1995, p. 20 – 21 (4) Outrageous vision. A conversation with Donald Miller about global Pentecotalism, Interview by Timothy Sato, Books and Culture, Novembre-Decembre 2002, p. 31 – 35. Books and Culture, revue chrétienne américaine offre une réflexion approfondie sur les rapports entre la foi et la culture contemporaine. On peut y accéder sur le site : www.booksandculture.com (5) Miller (Donald E.), Reinventing American Protestantism. Christianity in the next millenium. University of California Press, 1997. (6) Miller (Donald E.), Yamamori (Tetsuano), Pentecotalism and social transformation. A global analysis, University of California Press, A paraître en 2003.