Lorsque Jésus assure l’égale humanité de l’homme et de la femme
Des évènements récents ont mis en évidence les inégalités subies par les femmes et les pressions auxquelles elles sont encore soumises dans certains contextes. Cependant, dans les pays occidentaux, après un long parcours d’émancipation, les femmes sont globalement parvenues à une égalité des droits dans la participation à la vie sociale et économique. Et pourtant, il reste un chemin à parcourir dans la manifestation concrète de cette égalité. Et, par ailleurs, on constate un blocage encore affiché dans certaines églises.
Aujourd’hui, on comprend mieux le caractère de cette évolution. C’est la sortie d’une civilisation patriarcale dans laquelle la femme était la propriété de l’homme et entièrement sujette à lui. Des facteurs culturels, économiques et politiques ont participé et participent à l’émancipation de la femme. Changement collectif et changement intérieur sont étroitement associés. Et dans cette évolution, la dimension spirituelle est active. Si aujourd’hui le religieux est encore investi par des traditions patriarcales, il est d’autant plus remarquable que le message de Jésus, qui devrait fonder la pratique chrétienne, affirme clairement l’égale dignité de la femme à l’encontre de la culture dominante qui règne à son époque. A un moment de l’histoire, ce message a émergé à l’encontre des mœurs de l’époque. Et si l’inégalité est revenue ensuite en force au sein même d’une Eglise qui était censée suivre ce message, les textes fondateurs, les évangiles témoignent du caractère révolutionnaire de celui-ci.
Mais comment lisons-nous les Evangiles ? Comment lisons-nous le Nouveau Testament et plus généralement la Bible ? Certains d’entre nous sont depuis longtemps conscients de l’attitude libératrice de Jésus, du changement révolutionnaire que son comportement induit dans la relation entre hommes et femmes. Et cependant, nous voyons aussi les filtres et les écrans qui déforment cette lecture encore aujourd’hui dans la manière dont elle est faite et propagée par des autorités imprégnées par le lien qui s’est imposé, au cours du temps, entre le religieux et le patriarcal. C’est pourquoi le livre de Christine Pedotti : « L’homme qui préférait les femmes » (1) est particulièrement bienvenu.
Une lecture libre et précise des évangiles
Ecrivaine, journaliste et éditrice, militante pour de nouvelles formes de vie en Eglise, Christine Pedotti a publié plus d’une trentaine d’ouvrages. Elle a récemment assuré la coordination de l’ouvrage collectif : « Jésus. L’encyclopédie », dirigé par Joseph Doré. Ainsi, légitime dans sa compétence, elle s’exprime ici à l’intention d’un vaste public, à un moment où le changement des mentalités s’accélère.
« Pour savoir ce que Dieu dit et pense à propos des femmes, en christianisme, la connaissance de la Parole divine passe par une figure historique, un être vivant particulièrement identifié, Jésus. Or, pour cela, nous disposons des évangiles, quatre textes écrits par les toutes premières communautés se réclamant de lui, quelques décennies après les faits ». (p 11). Et depuis plusieurs décennies, le travail des exégètes éclaire le sens de ces textes. Christine Pedotti s’est donc engagé dans une lecture précise et scrupuleuse des évangiles. « Je n’ai fait que lire avec sérieux et application ce que le texte dit vraiment, ce qu’il donne à voir… pour peu qu’on le lise avec des yeux et des oreilles libérés de la gangue de siècles de lectures et d’interprétations…massivement masculines (p 13). Et la conclusion est là…Elle renverse des préjugés et des partis-pris. « Non seulement, il y a des femmes dans les évangiles, mais elles ne font pas tapisserie. Non seulement elles sont présentes dans des moments cruciaux, décisifs, mais Jésus a des relations intenses et particulières avec elles. La rupture avec les usages de son temps est flagrante, tant cet homme est indifférent à ce que nous nommons aujourd’hui les « stéréotypes de genre ». Il traite les femmes comme des personnes à part entière, sans leur assigner un quelconque rôle en raison de leur sexe » (p 13). Et même, selon Christine Pedotti, « A de nombreuses reprises, il paraît plus à l’aise, plus détendu avec elles », si bien qu’elle avance un titre un peu dérangeant : « Jésus, l’homme qui préférait les femmes ».
Dans ce mouvement, les chapitres s’égrainent en éclairant, tour à tour, un aspect du rapport de Jésus avec les femmes, entre autres : « Les évangiles, une histoire d’hommes : est-ce si sûr ? ; Marie, « bénie entre toutes les femmes » ; du mariage ou du célibat de Jésus. Et une suite : Jésus, l’homme qui regarde les femmes ; qui admire les femmes ; qui parle avec les femmes ; qui libère les femmes ; qui touche les femmes et se laisse toucher…. La bonne nouvelle annoncée et confiée aux femmes. Les chapitres, écrits dans un style alerte, sont facilement accessibles. Nous nous bornerons ici à citer quelques exemples significatifs.
Des aperçus nouveaux
Ainsi, il y a dans l’image encore la plus répandue des évangiles, une centration sur « le choix exclusif d’hommes parmi les douze », ce qui est par ailleurs invoqué en faveur d’un clergé masculin ( p 17). En fait, on s’aperçoit en réalité que les figures féminines sont très nombreuses dans les évangiles (près de 40% dans l’évangile de Luc).
« Les disciples de Jésus, le petit groupe des personnes qui le suivent depuis la Galilée jusqu’en Judée et à Jérusalem, sont composés d’hommes et de femmes ». Les femmes présentes auprès de Jésus à la croix sont aussi celles qui l’ont ainsi suivi. « Dans la scène des deux sœurs Marthe et Marie, Jésus reconnaît la position de disciple de Marie, assise au pied du maitre. Il nous faut donc imaginer Jésus sur les chemins de la Galilée et de la Judée, entouré d’hommes et de femmes et considérer, en conséquence, que lorsqu’il s’adresse à ses disciples, il s’adresse aux deux sexes » (p 17).
A travers cet examen attentif des évangiles, Christine Pedotti corrige d’autres déformations dans les interprétations. Et c’est bien le cas dans l’exaltation de la Vierge Marie. Elle met en évidence la discrétion de la présence de Marie dans les évangiles synoptiques. Et elle propose une lecture symbolique de textes de Jean concernant la mère de Jésus. « L’abondante piété dont jouit Marie est très loin de refléter la place qu’elle occupe dans les évangiles » ( p 30).
« La dilatation de la figure imposée de Marie, vierge et mère, a trop souvent détourné le regard des autres personnages féminins de l’Evangile. Or les femmes parlent, réclament, exigent, supplient, argumentent et Jésus les observe, leur parle, les touche, les console, les admire. La richesse de leurs relations constitue un pan presque inexploré des textes évangéliques » (p 44).
Une bonne part de l’enseignement de Jésus s’exprime à travers des relations avec des personnalités féminines. Et son message d’amour nous est là aussi communiqué. Ces rencontres sont riches en enseignements. Elles parlent à l’intelligence, mais aussi au cœur. Et dans la considération que Jésus porte aux femmes, s’exprime aussi un message de libération par rapport à une culture légaliste, une culture qui enferme et qui exclue. Christine Pedotti présente et décrit une bonne douzaine de ces rencontres dans une grande diversité de situations. Elle met le doigt sur telle parole ou telle attitude significative.
Ainsi, lorsque Jésus prête attention à une femme au dos courbé et la guérit, un jour de sabbat, entrainant des réactions contraires, il proclame de droit à l’existence de « cette fille d’Abraham » (Luc 13.10-16). Or, nous dit l’auteure, l’expression : « fille d’Abraham » est une expression unique dans tout le corpus biblique. « Ce qui est surprenant dans l’histoire de la femme courbée, ce n’est pas la référence à Abraham, mais le fait qu’une femme soit nommée « fille de »… Toute la tradition religieuse antérieure, profondément patriarcale, compte les hommes et non les femmes, parce que celles-ci appartiennent à la maison d’un homme au même titre que des biens matériels… En inaugurant cette appellation : « fille d’Abraham », Jésus introduit la femme dans le peuple, chacune en son nom propre. On peut aller jusqu’à dire que, par ce terme novateur, il affirme que les femmes appartiennent à Dieu et non plus à un homme (p 70-72). Les contextes différent, mais, à chaque fois, en guérissant telle ou telle femme, Jésus les libère à la fois de la maladie et de la relégation sociale. C’est le cas dans l’épisode bien connu où une femme aux pertes de sang est guérie par Jésus (Marc 5.15-34). Là aussi, la guérison est à la fois physique et sociale. Jésus guérit de la maladie, mais il rompt en même temps l’emprisonnement engendré par les règles d’évitement de l’impureté féminine.
Christine Pedotti passe donc en revue des scènes, pour certaines très connues, et d’autres qui le sont moins. Le dialogue avec la samaritaine en est le cas le plus emblématique. Et, lors de la mort de Lazare, c’est dans le dialogue avec Marthe que Jésus proclame qu’il est la Résurrection et la Vie.
La place majeure des femmes dans l’annonce de la bonne nouvelle est mise en évidence dans le chapitre consacré à leur accompagnement de Jésus à la croix et à la résurrection ( p 141-154).
« Le fait est indiscutable et totalement surprenant. Ce sont les femmes, et elles seules, qui reçoivent l’annonce de la résurrection. Elles ont voulu aller au tombeau pour honorer le corps et elles se trouvent récipiendaires d’une nouvelle si incroyable qu’en effet les disciples n’y croient pas… ». Elles ne sont pas n’importe quelles femmes. Elles suivent Jésus depuis la Galilée. Elles l’ont écouté. Elles l’ont servi…Elles ont été fidèles jusqu’à supporter de demeurer près de la croix… Elles sont comblées de joie de l’incroyable nouvelle. Jésus a vaincu la mort. Elle ne l’a pas retenu au tombeau. Il est vivant » (p 151-152). Leur présence témoigne de leur amour et de leur fidélité. Et Marie-Madeleine est une figure emblématique de cette relation privilégiée.
Un changement révolutionnaire
Au total, Christine Pedotti met en évidence la rupture que Jésus a introduit entre les femmes et les hommes dans le champ religieux qui est aussi le champ culturel, une rupture que la puissance de la tradition a voulu étouffer, mais qui a poursuivi sa route jusqu’à aujourd’hui, en lutte encore face à un bastion clérical. « Clairement Jésus ne traite pas les femmes comme c’était l’usage dans la culture de son temps. Mais le plus étonnant est sans doute qu’il ne leur donne pas une place, mais de la place… C’est l’une des surprises de cette lecture. Au fond pour lui, les femmes sont d’abord des êtres humains comme les autres, avec qui on peut entrer en débat, et qui , tout naturellement, prennent place à sa suite comme les autres disciples » (p 169-172).
En outre, caractéristique culturellement et religieusement révolutionnaire, « Jésus est indifférent à la question de la pureté, si importante dans le monde religieux qui est le sien. Il se laisse toucher physiquement sans la moindre réticence… Et, de plus, il n’attribue pas à la femme un rôle donné d’épouse ou de mère. On ne trouve pas le moindre mot de Jésus qui assignerait la femme à un rôle féminin. La modernité est là. Pour lui, les femmes sont des « hommes comme les autres ».
Un livre important
Ce livre est important à plus d’un titre. Tout d’abord, il montre sans conteste, une part égale des femmes à celle des hommes dans la première communauté qui entoure et suit Jésus. A ses yeux, hommes et femmes sont des personnes. On peut reprendre ici une parole du théologien Jürgen Moltmann : « Dans la communauté de Jésus avec les femmes, c’est l’humain qui devient manifeste » (a). Ce message fonde la vie chrétienne sur cette relation et sur cet équilibre. L’histoire montre que cette inspiration exerce une influence jusque dans les siècles où le déni avait resurgi. Aujourd’hui à notre époque où la civilisation patriarcale s’effondre, ce message est d’autant mieux reçu. Et cependant, sur le registre religieux, il se heurte encore pour une part à un monde clos qui se ferme sur lui-même. Le refus de l’accès des femmes au ministère reste encore largement répandu.
Mais ce livre n’est pas seulement une lumière qui éclaire notre intelligence et un guide pour induire de nouveaux comportements. C’est aussi un texte qui se prête à la méditation. Car l’amour, la bonté, la liberté de Jésus, sa puissance de vie et de libération, éclatent dans ces textes d’évangile et peuvent nous remplir de joie et de reconnaissance.
Jean Hassenforder
(1) Christine Pedotti. Jésus, l’homme qui préférait les femmes. Albin Michel, 2018
Sur ce site, voir aussi :
- « La communauté des hommes et des femmes. Une vision de l’Eglise » : https://www.temoins.com/la-communaute-des-hommes-et-des-femmes-une-vision-de-leglise/
- « Le paternalisme. Un problème dans l’Eglise. Le regard d’une sociologue britannique : Linda Woodhead » : https://www.temoins.com/paternalisme-probleme-leglise/
- Femmes et hommes en coresponsabilité dans l’Eglise. Dialogue théologique entre Elisabeth Moltmann-Wendel et Jürgen Moltmann : https://www.temoins.com/femmes-et-hommes-en-coresponsabilite-dans-leglise/
- « Les femmes dans l’Eglise. Un regard libérant » : https://www.temoins.com/les-femmes-dans-leglise/