On sait le dynamisme de l’Eglise émergente en Grande-Bretagne (1). De nouveaux visages d’Eglise apparaissent dans des contextes très variés (www.freshexpressions.org.uk). C’est dire la complexité du phénomène. Ian Mobsby (2), engagé dans une communauté chrétienne émergente à Londres, « Moot » (www.moot.uk.net), nous aide à faire le point dans une réflexion personnelle publiée sur le site de référence de l’Eglise émergente : www.emergingchurch.info (rubrique : « reflection »).
Origine et conjoncture de l’Eglise émergente en Grande-Bretagne.
Tout d’abord, il met en valeur la précocité du développement de l’Eglise émergente en Grande-Bretagne. « Parce que la culture au Royaume-Uni est bien plus séculière que celle qui prévaut généralement aux Etats-Unis, l’Eglise émergente est apparue en Grande-Bretagne vers la fin des années 80 pour répondre au hiatus entre les formes traditionnelles d’église et la culture contemporaine ». Les communautés pratiquant une expression alternative dans le culte et l’adoration (« alternative worship communities ») ont été parmi les premières initiatives. Elles sont devenues des églises en raison du fossé entre ces innovations missionnaires et les formes traditionnelles. À partir des années 90, la gamme des églises émergentes s’est considérablement élargie si bien que Ian Mobsby peut relever aujourd’hui près d’une quinzaine de genres d’église.
Pourquoi toutes ces nouvelles églises ?
Les conditions requises pour le développement des églises émergentes.
À travers l’apparition et le développement de ces églises, on s’est rendu compte que la mission auprès de gens ayant quitté les églises ou n’en ayant jamais fréquenté, exigeait une approche très relationnelle. Ou on parle de projets concernant des groupes de 60 à 100 personnes maximum, ou bien ces entreprises deviennent impersonnelles et inefficaces. Les initiatives d’évangélisation où on cherche directement à attirer les gens (« attractional models of mission ») ne fonctionnent qu’auprès de gens ouverts ayant quitté les églises, ce qui représente moins de 10% de la population.
° Comment développer et maintenir des communautés petites et relationnelles ?
La création de ces communautés requiert un potentiel humain pour entreprendre ces initiatives. Or la pression actuelle dans le travail salarié limite la part du temps bénévole. Une piste de recherche réside dans la mise en place d’un échange de services, par exemple une implication dans des projets en contrepartie de loyers réduits. La communauté « Moot » au centre de Londres travaille dans cette perspective auprès d’étudiants, d’artistes et de musiciens.
D’autre part, on se rend compte que, si beaucoup de gens recherchent des formes plus relationnelles, en raison de l’individualisme dominant, ils ne disposent pas eux-mêmes au départ des capacités requises pour vivre sur ce registre. Cela signifie que des groupes, comme « Moot » par exemple, ont besoin d’aider les gens à acquérir les aptitudes pour être en mesure de vivre et d’interagir dans un environnement plus communautaire. « Pour certaines églises comme « Moot », proposer un rythme de vie aide les gens à grandir dans le devenir d’une communauté chrétienne ».
° Le rapport avec la société de consommation.
Un enjeu pour l’Eglise émergente est de savoir vivre dans une culture de consommation sans se confondre avec celle-ci, ni tomber dans ses travers. Beaucoup d’églises émergentes ont besoin de développer une forme d’entreprise pour gagner de l’argent permettant de développer des projets, mais on doit, en même temps, se garder que la recherche d’argent passe au premier plan.
° La montée du conservatisme religieux.
On observe actuellement au Royaume-Uni, le développement de certaines tendances allant dans le sens du conservatisme religieux, voire du fondamentalisme. Cela vaut pour le christianisme comme pour d’autres religions. « Un des défis auxquels l’Eglise en Grande-Bretagne est confrontée, est la rencontre avec une culture de la complexité. Quelques-uns suivent le chemin simpliste du retrait, d’un paysage en noir et blanc ». Or l’Eglise émergente essaie d’être présente dans la complexité de la vie moderne. En conséquence, l’Eglise émergente a des relations de plus en plus difficiles avec des formes traditionnelles d’église qui sont tentées par le conservatisme et la déconnection avec la culture actuelle.
° Un engagement dans la montée de l’intérêt pour la spiritualité.
Les enquêtes menées en Grande-Bretagne montrent un intérêt croissant pour une spiritualité holistique plutôt que pour la religion. Cette situation est devenue un point clé de l’engagement missionnaire de l’Eglise émergente. Celle-ci cherche à aider les gens à passer d’une attitude de tourisme spirituel à celle d’une démarche chrétienne en forme de découverte et de pèlerinage.
Pistes de réflexion
L’approche de l’Eglise émergente, selon Ian Mobsby, s’inscrit dans le paysage religieux tel qu’il nous est décrit en France par la sociologue Danièle Hervieu-Léger (3) constatant que « les grandes église ne sont plus en mesure de fournir des canaux, des dispositifs organisateurs des croyances ». Celle-ci met en évidence des aspirations spirituelles qui amènent les individus « à bricoler pour donner un sens à leur vie » et à chercher, dans la rencontre avec d’autres personnes, une validation de leurs découvertes. « Ils ont besoin de rencontrer des gens qui leur disent : cela fait sens pour toi, cela fait sens aussi pour moi. Ils ont besoin d’une relation de reconnaissance… Actuellement des dispositifs de reconnaissance en réseau se développent massivement et mettent les individus en présence sur le mode de l’échange personnel et intersubjectif permettant une logique individualiste, mais aussi réciproque de validation mutuelle… ». Danièle Hervieu-Léger montre aussi que d’autres personnes ayant peu « accès aux ressources relationnelles et symboliques » en appellent à des dispositifs de validation durs en demandant qu’on leur fournisse des systèmes de vérité, « clés en main ». Elle distingue ainsi deux approches dominantes : celle du pèlerin et du converti, en montrant « qu’il y a des formes de reconversion permanente d’une forme à l’autre ».
Cette analyse, qui nous paraît valoir pour les sociétés européennes au-delà de la France, nous permet de mieux comprendre et apprécier la démarche de l’Eglise émergente en Grande-Bretagne. Celle-ci nous paraît une réponse originale à la quête spirituelle de vastes publics dans le champ de l’approche « pèlerine » que nous décrit Danièle Hervieu-Léger. En France, les besoins sont comparables, mais l’offre est bien plus limitée. C’est donc un appel pour les chrétiens français.
Jean Hassenforder.
2) Animateur de la communauté « Moot » au centre de Londres, Ian Mobsby écrit également des livres. Le dernier : « The becoming of God » exprime la vision trinitaire de Dieu comme fondement de la vie relationnelle des communautés chrétiennes.
Blog de Ian Mobsby : http://ian-mobsby.blogspot.com
3) On se reportera au livre clé de Danièle Hervieu-Léger : « Le Pèlerin et le converti. La religion en mouvement ». (Flammarion, 1999). Sur ce site, une interview de Danièle Hervieu Léger : « L’autonomie croyante. Questions pour les églises » (recherche et innovation, études). <Lire l’article>