Dans une conjoncture d’évolution sociale et culturelle, au carrefour de questionnements théologiques et sociologiques, le positionnement éthique requiert aujourd’hui une conviction, mais aussi une compréhension renouvelée. Sous une forme ou sous une autre, la réflexion et l’engagement éthique se manifestent dans les différents milieux chrétiens. L’entretien avec Daniel Rivaud, délégué général du « Comité Protestant Evangélique pour la Dignité Humaine » exprime un de ces cheminements.
Témoins, association chrétienne interconfessionnelle, ne dispose pas actuellement en ce domaine, d’une compétence suffisante pour un engagement circonstancié qui permette de manifester sur certains points les convergences entre différents apports, en évitant les réactions passionnelles qui faussent souvent la compréhension et la réception du message. En remerciant son auteur, nous recevons l’interview de Daniel Rivaud comme une forme de témoignage et l’expression d’un engagement en regard de problèmes sensibles à propos desquels nous souhaitons également entendre d’autres sensibilités chrétiennes.
Interview de Daniel RIVAUD par Marie-Thérèse Plaine
Daniel Rivaud, vous êtes Pasteur, et Délégué général du « Comité Protestant évangélique pour la Dignité Humaine » (CPDH). Pouvez-vous nous dire ce qu’est ce comité, ses objectifs ?
Le CPDH a été créé en 1999 avec deux objectifs principaux :
1. Sensibiliser les églises et les chrétiens à leur rôle dans la société : en quoi sommes-nous concernés notamment par les grandes questions d’éthique, l’évolution des moeurs dans la société ? Qu’est-ce que nous pouvons dire ? Comment le dire ?
2. Faire entendre un point de vue protestant évangélique dans la société civile, non de manière dogmatique, mais dans un rôle d’interpellation et de proposition ; non pour juger ou condamner, mais pour avertir, dans une démarche alliant vérité et compassion (1).
Nous sommes basés à Strasbourg car nous avions conscience dès le début de l’association de la place croissante de l’Europe et de la nécessité d’y être présents en tant que chrétiens.
Plus personnellement, qu’est-ce qui vous a conduit à cette engagement de délégué général, avec quel appel ?
L’appel remonte à plus de 35 ans, j’étais alors tout jeune dans le ministère pastoral. Le déclencheur s’est fait au moment du vote de la loi Veil (dépénalisation de l’avortement) en France. Je suivais les débats dans les médias et j’entendais les catholiques, les réformés, les luthériens, prendre position, mais du côté évangélique, toutes tendances confondues, « silence radio » à quelques rares exceptions près. Et je me suis dit « comment se fait-il que sur un sujet de société aussi grave, nos églises n’ont rien à dire, rien à proposer ? » J’avais conscience qu’un vrai problème était posé mais qu’une mauvaise réponse était en train d’être apportée. J’étais choqué de voir d’un côté un affrontement idéologique sous bien des aspects, et de l’autre, que nous n’avions rien à proposer. À partir de là, j’ai commencé de plus en plus à m’intéresser à ces questions d’éthique. Je commençais à réaliser qu’à partir de cette question du respect de la vie beaucoup d’autres questions éthiques découlaient : la sexualité, la procréation, l’accueil de la personne handicapée, la fin de vie,… Et aussi une réflexion sur l’homme, tant dans une approche spirituelle que philosophique et sociale. Pour mieux comprendre les enjeux, j’ai beaucoup lu et j’ai rencontré beaucoup d’hommes et de femmes impliqués dans ces sujets, notamment beaucoup d’amis catholiques ….
Témoins, vous le savez, est une association chrétienne interconfessionnelle, et ma question ne vous surprendra pas : en quoi votre comité est-il particulièrement « protestant évangélique » ? N’est-il pas chrétien avant tout ? En complément de cette question, vous arrive-t-il de collaborer avec d’autres confessions chrétiennes ?
Tout d’abord préciser que le « évangélique » dans le nom de l’association est qualificatif et non dénominationnel. En effet, nous travaillons sur l’ensemble du protestantisme toutes tendances confondues, et si une majorité de nos membres sont issus de tout l’éventail évangélique, un certain nombre de réformés et de luthériens adhèrent à notre association y trouvant une affirmation de valeurs qu’ils ne trouvent plus par ailleurs.
Mais notre identité protestante est importante à plusieurs niveaux : tout d’abord dans le fait, comme le précisent nos statuts « de rappeler et de promouvoir une éthique basée sur la Bible et les valeurs judéo-chrétiennes réaffirmées par la Réforme ». En effet, notre première « cible », se sont les églises et les chrétiens dans le protestantisme, avec une histoire et un cheminement qui leur est propre : je n’utiliserai pas les mêmes arguments avec un auditoire catholique et un auditoire protestant ! La différence n’est pas seulement théologique, mais elle est aussi sociologique ! D’autre part, l’histoire de notre pays avec le rôle et la place de l’Église catholique dans la société française, font qu’il est plus facile parfois de prendre position en tant que protestant, surtout sur des questions éthiques. Ceci dit, notre identité clairement affichée n’empêche pas la collaboration, bien au contraire ! Je dirais même qu’elle la facilite.
Par exemple, nous travaillons régulièrement avec l’Alliance pour les Droits de la Vie, association catholique avec laquelle nous partageons la même réflexion, non seulement sur beaucoup de problèmes de société, mais également sur la manière d’y répondre. Je peux prendre également l’exemple d’une autre organisation que j’ai créée en 1995 et qui s’appelle aujourd’hui « ETHOS Diffusion », une boutique en ligne spécialisée sur les questions d’éthique et de société, et qui travaille dans une perspective interconfessionnelle.
Pouvez-vous nous parler de l’impact de votre comité, des résultats concrets qu’il a obtenus ?
Après dix ans d’existence, le CPDH compte aujourd’hui environ 1100 membres (dont 40 associations) et 5000 sympathisants. Il est reconnu au sein des églises évangéliques comme une source fiable et souvent indispensable d’information. Il est à l’extérieur pleinement identifié comme un des porte-parole de l’éthique évangélique et souvent sollicité comme tel. Cela s’est vérifié notamment lors de l’organisation de 2 congrès européens d’éthique à Strasbourg (2005 et 2008) dont le CPDH a été l’initiateur. En plus de différentes revues de presse (nous alimentons également de nombreuses associations catholiques), nous produisons régulièrement sur notre site Internet des analyses actualisées, comme actuellement avec notre Dossier Bioéthique Simplifié dans le cadre des Etats généraux de la bioéthique, ou encore nos dossiers à l’occasion des élections locales, nationales, ou comme dernièrement, européennes. Dans le domaine audiovisuel, nous avons produit 16 émissions de télévision « Ze Mag Débat », toujours sur des thèmes éthiques et de société, diffusées sur le satellite et sur Internet, et disponibles également en DVD. Nous sommes aussi engagés au niveau de la prière pour notre pays en partenariat avec des organismes comme « Objectif France » et la « Sentinelle de prière » et à travers l’édition d’un « Calendrier mensuel de prière pour les autorités » mis à jour après chaque changement de gouvernement ou remaniement ministériel. Enfin, nous avons réalisé avec l’Alliance pour les Droits de la Vie un certain nombre de campagnes à thème au moment de faits d’actualité marquants (IVG, pornographie, affaire Perruche, fin de vie, bioéthique,…).
Quelles sont les grands enjeux à venir, et vos perspectives ?
Jusqu’au début de l’année prochaine (et peut-être plus), l’enjeu principal sera certainement la révision des lois de bioéthique. Toutes les confessions chrétiennes sont particulièrement engagées dans ce débat et il est réjouissant de voir des positions souvent très proches qui permettent une interpellation d’autant plus forte de notre société.
Ces débats sont d’autant plus cruciaux qu’ils nous confrontent à des sujets transversaux tels que les mères porteuses et l’homoparentalité dont les répercussions sociétales sont également importantes. La volonté affichée d’une redéfinition de la famille, les atteintes à la dignité humaine, la fin de vie, l’environnement et la mondialisation font également partie de notre veille.
Malgré une évolution souvent inquiétante de notre société, nous discernons régulièrement des sujets d’espérance. Nous sommes convaincus qu’il y a dans la société encore de fortes capacités de réaction, de bon sens, même chez les non chrétiens. Mais pour ce qui nous concerne, nous chrétiens, nous devons impérativement renoncer à toute forme de fatalisme, qu’elle soit d’ordre eschatologique (temps de la fin) ou liée à notre petit nombre. Nous devons nous rappeler que Dieu aime notre pays et chaque être humain qui y habite et pour lequel il a donné sa vie sur la croix, « afin que quiconque croit, ne périsse pas mais qu’il ait la vie éternelle ». (Jean3.16) Et donc prier et agir.
Daniel RIVAUD
(1) D’après ses Statuts, « L’association a pour objet de promouvoir le respect de la dignité humaine, la défense et la protection des droits de l’enfant, de la femme, et de l’homme d’une manière générale ainsi que la protection du droit à la vie de tout être humain, de sa conception à sa mort naturelle. » L’association se propose : « – de rappeler et de promouvoir une éthique basée sur la Bible et les valeurs judéo-chrétiennes réaffirmées par la Réforme ; – de contribuer à une réflexion sur les grands thèmes de société. » L’association entend s’opposer également « aux discriminations ou persécutions fondées sur l’origine, l’appartenance ou la non appartenance à une race, à une ethnie, à une nation, et/ou à une religion. Dans la mesure de ses moyens, elle peut apporter son soutien aux victimes de tels agissements. »
CPDH
Comité Protestant évangélique
pour la Dignité Humaine
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