Parmi les critères de la persistance du Nouvel Âge aujourd’hui figure le succès continuel que remportent les livres de Paulo Coelho.
Bien que leur auteur ne se déclare pas de cette mouvance, ses récits en sont totalement imprégnés. Que disent-ils de si séduisant pour être diffusés dans 120 pays et traduits en 45 langues? “Dans ce désert spirituel de la fin du XXème siècle, Paulo Coelho… se fait l’officiant d’une cérémonie simple et très efficace qui prétend rendre à l’homme les clefs de sa propre existence”. (1) Citons à ce propos L’Alchimiste: “Qui que tu sois et quoi que tu fasses, lorsque tu veux vraiment quelque chose, c’est que ce désir est né dans l’âme de l’Univers. C’est ta mission sur la Terre” (2). On ne demande qu’à croire, du moins le temps d’une lecture, juste avant de refermer le livre et d’en ouvrir un autre, un peu moins exaltant sur, par exemple, les rêves accomplis par quelques célèbres conquérants de l’Histoire.
Quel message?
Mais si, en plein “désert spirituel”, des millions de lecteurs boivent ce genre de sentences, c’est peut-être aussi qu’elles ne sont pas livrées platement. Pour dire n’importe quoi l’auteur ne convoque pas n’importe qui. Dans “La Cinquième montagne”, délayage, sauce New Age, du récit biblique (1Roi ch. 17 à 19), il convoque le prophète Élie, et dans “L’Alchimiste” le roi Melchisedec. “Le Manuel du guerrier de la lumière” serait, lui, très librement emprunté à “L’art de la guerre” de Sun Tzu, un chroniqueur chinois du Vème siècle avant Jésus Christ. (3) Dans tous ces ouvrages on est au-delà de la vulgarisation ou du plagiat. On est dans une bouillie religio-sapientale sans nom dans laquelle surnage parfois un petit grumeau de texte sacré vaguement reconnaissable.
L’histoire, une légende personnelle
Prenons par exemple l’ouvrage majeur qui donne le ton à toute l’œuvre. La trame de “L’Alchimiste” se présente comme la quête initiatique d’un jeune berger espagnol. Il quitte son village pour accomplir “sa Légende personnelle, la seule et unique obligation des hommes” (4). La formule plaît mais en quoi consiste-t-elle pour Santiago? À voyager pour le plaisir et dans l’espoir de trouver un trésor au pied des pyramides. De l’Espagne à l’Égypte, il multiplie des rencontres et des expériences qui, des plus ordinaires aux plus sidérantes, sont toutes présentées sur un même plan et comme allant de soi. Il rencontre Dieu face à face (simple épisode pour satisfaire sa curiosité), converse avec le vent, le soleil auquel il déclare, entre autres merveilles: “L’Amour est la force qui transforme et améliore l’Âme du Monde… C’est nous qui alimentons l’Âme du Monde et la terre sur laquelle nous vivons sera meilleure ou pire selon que nous serons meilleurs ou pires” (5). D’étape en étape, le lecteur incrédule reporte son espoir sur la clef finale, surtout après avoir lu “N’oublie pas que ton cœur est là où se trouve ton trésor. Et que ton trésor doit absolument être trouvé pour que tout ce que tu as découvert en chemin puisse avoir un sens” (6). Las, parvenu au terme du voyage, c’est-à-dire en fait le retour de Santiago devant l’église espagnole d’où il était parti, le lecteur reçoit un coup de pelle, un vrai, sur un trésor qui n’a rien de spirituel: un vrai coffre, rempli de vraies vieilles pièces d’or espagnoles car, conclut Santiago avant de s’en retourner vers sa dulcinée: “la vie est généreuse pour celui qui vit sa légende personnelle” (7).
Et après?
Un tel happy end donne envie de relire le chapitre 6 de l’Évangile de Matthieu, “Le Petit Prince” de Saint-Exupéry ou, plus prosaïquement, “L’Ile au trésor” de Stevenson. Et l’on reste abasourdi, à se demander comment pareille prose et pareil message peut enthousiasmer.
Paulo Coelho n’est d’ailleurs toujours pas reconnu par “l’académie” et dans son pays, le Brésil, les intellectuels voient en lui “un phénomène sociologique beaucoup plus que littéraire”. (1) Le phénomène sociologique perdure, comme perdure sans doute la misère spirituelle, l’absence de repère et le désir narcissique de s’en sortir seul auxquels cette littérature new âge offre ses réponses douceâtres. Nous devrions y apporter un peu de sel.
Françoise Rontard
Article de Raphaelle Rerolle: Paulo Coelho, prophète New Âge. (Le Monde du 28.07.2000, p. 28)
Paulo Coelho: L’Alchimiste, éd. Anne Carrière 1994, p. 46
R. Marhic et E. Besnier: Le New Age, éd. Le Castor Astral, p.156
Paulo Coelho: L’Alchimiste, éd. Anne Carrière 1994, p. 47
id, p. 230
id, p. 183
id, p. 253
Références: Témoins n°134