Face à la souffrance qui remet en cause l’homme et Dieu, Bettina Cottin nous partage trois pistes de réflexions encourageantes à partir de la Bible. Parcourons ce chemin de foi et d’espérance.
L’expérience de la souffrance arrache à ceux qui la vivent, un morceau de leur humanité. La souffrance vous endommage, elle vous diminue, physiquement et mentalement. Non seulement les gestes de la vie normale deviennent pénibles, non seulement les forces sont diminuées, mais les relations entre les personnes se dégradent aussi. A cause de la douleur, ou parce qu’on a trop changé ; à cause du handicap que la souffrance entraîne, et toujours à cause des émotions négatives qui prennent le pouvoir. En plus de la souffrance, du corps, il y a la douleur morale, brute, et puis la tristesse et le deuil, la colère et la révolte, le ressentiment et le regret amer, la jalousie, la culpabilité, la peur, et le désir éperdu d’une réparation qui ne vient pas. Tout cela rend la communication très difficile. La personne qui souffre se trouve souvent isolée, et elle se sent, subjectivement, incomprise et abandonnée.
L’expérience de la souffrance remet radicalement en question la personne humaine … et Dieu ! Si Dieu a une place dans notre vie et notre monde, il ne reste pas en dehors de la question de la souffrance, mais elle le concerne. Pour beaucoup de personnes pas ou peu pratiquantes, la souffrance est même l’accès privilégié à la question de Dieu, dans le sens que l’on prend Dieu violemment à partie, on lui fait des reproches, on lui demande des comptes, on lui pose la question du “Pourquoi ?”.
Ce n’est pas forcément une mauvaise idée de s’en prendre à Dieu au sujet de la souffrance ! Je pense même que, si on suit sérieusement cette direction, on peut arriver, au bout du chemin, à une plus grande humanité et à une image de Dieu transformée.
Tout d’abord, entendons-nous : Même si on demande “Pourquoi la souffrance ?”, ou “Pourquoi moi ?”, on ne désire pas en premier lieu une explication. Ce serait à la limite inhumain. On désire la fin de la souffrance, ou au moins son soulagement, et qu’il y ait quelqu’un qui reste avec de moi. De la même façon, les textes de la Bible ne donnent pas une explication froide et logique des mécanismes de la souffrance, mais ils parlent d’abord du même endroit que nous : du milieu de l’expérience humaine, dans l’urgence de notre monde plein de violence, d’injustice, de cruauté, de cynisme, d’indifférence, de peur, et de problèmes naturels inexpliqués. La Bible délivre d’abord un message d’urgence. C’est l’appel de Dieu à une vie plus digne de nous. L’appel à activer, à mettre en œuvre, l’amour, la justice, la compassion, l’espérance. La Bible ne propose pas de remèdes à “plaquer” sur n’importe quelle situation. Il faut d’abord prendre une décision humaine pour une dynamique de fond.
La Bible ne se réfère donc pas à un monde idéal, mais elle parle du milieu de notre monde, là où il souffre. D’ailleurs l’expression de la souffrance n’est pas réprimée. Les cris de douleur ne sont pas étouffés dans la Bible, et les reproches à l’adresse de Dieu non plus !
Mais à partir de là, quel peut être le message de la foi, face à la souffrance qui remet en question l’homme et Dieu ? Je vous propose de voir ce message sous trois perspectives.
Premièrement, la personne qui souffre n’est pas à priori coupable. “Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu ?” est, certes, une question naturelle ; mais dans la Bible, on ne cesse d’entrer en collision avec cette question (surtout dans Job, les Psaumes et les évangiles). Les malheureux et souffrants ne sont pas rejetés par Dieu mais accueillis, aimés, tels qu’ils sont. Il n’y a pas d’a priori de culpabilité au niveau individuel. Mais au niveau collectif, pour l’ensemble de la communauté ou encore à l’échelle de l’humanité, il y a une responsabilité réelle. C’est comme si la présence du mal dans l’humanité fragilisait chacun de ses membres et l’exposait au risque de la souffrance. Cette présence du mal dans l’humanité s’appelle, dans la tradition théologique : le péché originel.
Ça vous fait penser à Adam et Ève qui ont croqué la pomme, n’est-ce pas ? Donc, deuxièmement : la foi affirme que la création de Dieu est bonne à l’origine et qu’elle procède de la générosité de Dieu. Le Dieu créateur n’est donc ni un expérimentateur fou, ni un mécanicien froid, ni un sadique. Mais où se niche donc le défaut ? demandons-nous. Toute l’histoire de la théologie le demande. Nous n’avons évidemment pas de réponse historique. Nous ne pouvons que constater que les humains, dès qu’ils ont le libre choix, ont une tendance très lourde à préférer le mal au bien. L’histoire d’Ève et d’Adam et du fruit défendu illustre cette tendance humaine. L’histoire du paradis nous aide à voir plus clair au fond de nous et nous enseigne que le mal résulte, encore et toujours, d’une rupture de confiance, d’une relation abusée. Rupture de confiance envers Dieu, mon prochain, la création, abus de confiance qui détériore la création et donne de la place à la souffrance.
Mais, troisièmement, cela n’explique pas toute la souffrance. Et enfin, quelle est la place de Dieu dans ce problème ?
En fait, et c’est là le message chrétien, la souffrance des hommes fait changer Dieu de place. Il change de résidence, d’image, il se laisse atteindre par la souffrance, au point d’habiter au milieu des souffrants. Il combat la souffrance, quelle qu’elle soit, mais il se laisse aussi affecter par elle et par son expression ultime, la mort. Et c’est en traversant la mort qu’il la vaincra, pour nous tous.
En Jésus Christ, Dieu s’est rendu irrévocablement présent dans l’humanité souffrante. Il est venu en Jésus qui guérit et Jésus qui souffre. Les deux aspects sont inséparables, ils nous parlent du même Dieu. C’est celui qui nous veut du bien et nous fait du bien, mais qui reste aussi à nos côtés pendant la traversée de ce qui reste encore inexplicable et non résolu de la souffrance, ce qui attend la rédemption à venir. Et c’est ainsi qu’il nous amène à notre vraie et pleine humanité.
Bettina Cottin