Peter Bannister est, entre autres, un des responsables de la formation adulte à l’Eglise américaine de Paris. Son vaste champ de compétences lui a déjà permis d’offrir à Témoins quatre belles contributions. Il lui accorde à présent une seconde interview sur le cycle des conférences qui vient d’être réalisé à l’Eglise américaine de Paris sur les rapports actuels entre science et foi.
T : Un cycle de conférences, véritable session de travail sur le thème : "Science et Foi" vient d’être réalisé à l’Eglise américaine de Paris. Pouvez-vous nous dire quelle a été la motivation de cette réalisation ? Pourquoi ce thème aujourd’hui ?
PB : Nous sommes convaincus que le dialogue entre la foi chrétienne et la recherche scientifique représente l’un des enjeux majeurs de notre temps pour l’Eglise. Nous avions déjà commencé à aborder le sujet par un cycle de conférences en 2009 à l’occasion du 150ième anniversaire de la parution du livre de Darwin, « De l’Origine des Espèces », en partie parce que nous voyions qu’un climat très malsain s’était développé (surtout aux Etats-Unis) ces dernières années marqué par les polémiques entre les ‘Nouveaux Athées’ d’un côté et des fondamentalistes religieux de l’autre. Nous estimions que désamorcer ce conflit caricatural est chose vitale. Développer une approche responsable envers l’évolution du savoir et de la culture humaine est sûrement un devoir pour l’Eglise en chaque époque.
T : Cette session à été organisée avec le soutien de la fondation Templeton. Pouvez-vous nous décrire les objectifs de cette session et le processus d’organisation ?
PB : Depuis janvier 2012 nous participons en effet à un projet financé par la Fondation Templeton (Scientists in Congregations Ministry Initiative) qui œuvre pour le dialogue au sein des églises entre équipes pastorales et scientifiques professionnels. L’objectif est de parler de certains sujets potentiellement difficiles (comment interpréter la Bible à la lumière des découvertes de la science, par exemple) dans une ambiance d’ouverture et de confiance où chacun peut s’exprimer librement.
T : Comment cette session a-t-elle été conçue? Quels thèmes a-t-on voulu aborder en priorité et pourquoi ?
PB : Nous avons commencé notre cycle par une série de soirées autour de l’excellent DVD « Test of Faith » (« Epreuve de Foi ») produit par l’Institut Faraday à Cambridge – un carrefour très dynamique en ce qui concerne la conversation Science-Foi – conçu à l’attention d’un public non-spécialisé dans les églises. Ce film est divisé en trois parties qui ont structuré nos réflexions communes : 1) « Au-delà de la raison » (Est-ce que la science a « éliminé » Dieu ?), 2) « Arrivés par accident ? » (Questions liées à l’évolution), 3) « Est-ce que quelqu’un est là ? » (La problématique de la personne humaine face aux tendances réductrices de la neuroscience). Des intervenants ont ensuite faite des présentations qui ont jeté un regard sur ces questions du point de vue de leurs disciplines (histoire, physique nucléaire, théologie, philosophie).
T : Comment a-t-on choisi les intervenants? Quel a été l’apport attendu de chacun ?
PB : Certains intervenants faisaient partie du réseau personnel de l’église américaine, d’autres étaient des collaborateurs externes (Jean Staune, George Hobson, Keith Ward) que nous apprécions particulièrement et qui ont déjà partagé leurs idées avec nous dans le passé. Ils étaient libres de s’exprimer sans contrainte et connaissaient tous le contexte pastoral spécifique – un public très diversifié sur tous les plans (provenance géographique, niveau d’éducation scientifique et générale, options théologiques).
T : Au cours des dernières années, y a-t-il eu des avancées notables de la recherche scientifique ? Si oui, dans quels domaines ?
PB : Par rapport à 2009 la nouveauté dans nos présentations fut l’intérêt exprimé par plusieurs intervenants pour les avancées dans les implications philosophiques de la physique quantique et dans l’évolution de notre regard sur la conscience humaine (« consciousness research »). Dans ces deux domaines il nous semble que les développements actuels pourraient être très féconds pour le dialogue entre science et spiritualité car ils ne vont absolument pas dans le sens d’une vision réductrice de l’univers ni de l’être humain. Les présentations de Jean Staune et de Keith Ward sur ces sujets ont été extrêmement intéressantes à cet égard.
T : Comment la réflexion théologique a-t-elle évolué dans le domaine du rapport science et foi au cours de ces dernières années ?
PB : Sur le plan théologique il y a, depuis quelques décennies, des signes encourageants dans l’engagement constructif avec la science (je pense aux travaux passionnants de théologiens comme Wolfhart Pannenberg et Jürgen Moltmann du côté protestant, ou de figures comme Teilhard de Chardin, Karl Rahner et plus récemment John Haught chez les catholiques). Il y a en outre des institutions comme l‘Observatoire du Vatican, l’Institut Faraday déjà cité, BioLogos ou le Centre pour la Théologie et les Sciences Naturelles à Berkeley (Center for Théology and the Natural Sciences) qui font de grands efforts dans ce sens, même si l’imagination populaire persiste à assimiler l’Eglise à l’obscurantisme anti-scientifique.
T : Au cours de cette session, quelles questions théologiques ont été particulièrement abordées ?
PB : Un sujet revient constamment, qui est pour beaucoup une, sinon la plus grande « épreuve de la foi » : la question lancinante de la souffrance. C’est un grand défi pour toute théologie qui veut voir l’évolution cosmique et biologique comme un processus guidé par Dieu. Comment pouvons-nous réconcilier la cruauté des processus « naturels » (prédations, catastrophes naturelles, extinctions massives) avec la vision d’un Dieu d’amour présenté dans la Bible et surtout incarné par Jésus-Christ ? Comment répondre à la fameuse question de Saint Augustin, « unde malum » (‘D’où vient le mal’)? Doit-on vraiment attribuer tout ce qui se passe dans le monde physique à Dieu ? Quel rôle joue non seulement la liberté humaine mais aussi l’intervention d’êtres spirituels libres (anges et démons) dont la science a tendance à nier l’existence mais qui font partie intégrante de la vision du Nouveau Testament et encore de beaucoup de chrétiens ? Ces questions ne sont pas prêtes à disparaître ! En même temps, nous voulons souligner que le message fondamental des Ecritures reste un message d’espérance eschatologique : la promesse que le mal sera définitivement vaincu par l’amour. Pour les chrétiens, la résurrection du Christ est cette promesse, l’avant goût de « l’eschaton » (comme nous le disent avec insistance Moltmann et Pannenberg).
T : Comment percevez-vous un premier bilan de cette session : déroulement, participation, ouvertures pour l’avenir ?
PB : L’enthousiasme pour nos soirées a été très marquant – cela s’est exprimé non seulement par l’adhésion du public (dont plusieurs scientifiques professionnels) mais aussi par la qualité d’écoute et de participation lors des discussions, respectueuses mais franches, avec les intervenants. C’est vraiment une « affaire à suivre » !
T : Vous avez joué un rôle moteur dans l’organisation de cette session. Dans une précédente interview (1) ** lire l’interview **, vous nous avez donné les raisons profondes de votre motivation. Vous abordez souvent ces questions dans votre blog (2) ** Voir le blog ** et, avec un ami, vous animez un blog sur la pensée du théologien Jürgen Moltmann qui est un pionnier et un prophète dans ce domaine (3) ** Voir le blog **. Pouvez-vous nous dire vos questionnements actuels et les ressources qui contribuent à y répondre ?
PB : J’ai personnellement le sentiment que nous sommes au seuil d’un changement de paradigme assez radical dans notre conception du rapport entre science et foi. C’est peut-être grâce avant tout aux avancées de la neuroscience que nous vivrons ce tournant – je pense en particulier à des chercheurs comme Mario Beauregard à Montréal ou au néerlandais Pim van Lommel (4) qui viennent de publier des livres remarquables suggérant que le réductionnisme matérialiste, qui a largement dominé la science (au moins dans la perception du grand public) dans la période moderne, est en train de s’effondrer. Les recherches sur la mort imminente/provisoire jouent à ce sujet un rôle capital (dans le contexte français je pense par exemple à celles de l’anesthésiste Jean-Jacques Charbonier) car elles tendent à montrer de manière décisive que « l’esprit » n’est pas réductible à l’activité neuronale du cerveau. De plus en plus de scientifiques sont prêts à penser l’impensable (pour le matérialisme) : que l’expérience consciente continue après la mort clinique. Ce qui change tout, évidemment !
Interview de Peter Bannister par Jean Hassenforder
(1) « Interview de Peter Bannister, musicien, compositeur et théologien »
(2) « Da stand das Meer. A music and theology webblog »
(3) « L’Esprit qui donne la vie »
(4) Voir le blog : « Da stand das Meer » C.f. note 2 Un article paru sur le site de Témoins : « La dynamique de la conscience et de l’esprit humain. Un nouvel horizon d’après le livre de Mario Beauregard : « Brain wars » ** Lire l’article **. On peut aussi ** Voir l’article ** sur le site de Témoins : « L’esprit, le cerveau et les neurosciences ». Sur le blog vivreetesperer.com : « les expériences spirituelles telles que les « near death experiences… » ** Voir l’article ** .