Pour une Eglise en phase avec un monde en gestation

Comment vivre et annoncer l’Evangile avec les aspirations et les questions des gens de notre époque ? Le repli sur des pratiques anachroniques n’éloigne-t-il pas de plus en plus de gens ? Dans des formes variées, ces questions se posent aux différentes églises. Depuis des années, elles sont l’objet de la recherche engagée à Témoins (1). Et, en regard, nous cherchons à mettre en évidence les expériences novatrices. Dans le contexte catholique, le Centre Pastoral Saint-Merry est une église innovante, au cœur de Paris, près du Centre Beaubourg. Et c’est dans la foulée du Concile Vatican II et de mai 1968, en 1977 que cette église, sous l’impulsion du cardinal Marty est devenu un lieu expérimental afin « d’inventer des modes nouveaux pour l’Eglise de demain » (p 13).

Aujourd’hui, la responsabilité ecclésiale de cette communauté est assumée par un prêtre ayant eu précédemment un itinéraire original de journaliste à la télévision et de psychanalyste, Daniel Duigou. Daniel Duigou vient d’écrire un livre qui mérite toute notre attention : « Lettre ouverte d’un curé au pape François » (2). Cette lettre n’est pas un geste isolé, mais, en quelque sorte, la poursuite d’un dialogue. En effet, en 2015, Jacques Gaillot et Daniel Duigou qui l’accompagnait, ont été reçu par le pape François à son invitation. Ce livre nous relate le dialogue chaleureux qui est advenu à cette occasion.

Cet ouvrage témoigne ainsi d’un mouvement significatif. La dynamique du Concile Vatican II, s’est, par la suite, heurtée à une réaction conservatrice. Or, depuis cinq ans, le pape François proclame une ouverture évangélique et rompt avec l’enfermement d’un système hiérarchique. Cependant, il rencontre de fortes oppositions tant au niveau des mentalités que des cadres hiérarchiques. Dans ce contexte, ce livre, tant à travers son auteur qu’à travers celui auquel il s’adresse, témoigne de la relation qui s’établit pour un témoignage évangélique, pour une Eglise en mouvement. Il retient donc tout naturellement l’attention de Témoins.

Il y a quelques années, nous avions déjà mis en évidence, sur ce site, le mouvement innovant du Centre pastoral Saint-Merry (3). Ce livre nous fait part de la dynamique actuelle, forte et originale, de cette communauté. Puisqu’elle est originale et innovante, elle attire beaucoup de gens. Elle est donc un lieu d’observation. A partir de ce lieu, Daniel Duigou peut donc mettre en évidence les interpellations, les questionnements, les aspirations auxquelles l’Eglise catholique se trouve confrontée. Ainsi peut-il abonder dans un désir de réforme en vue de remédier à un repli du système sur lui-même et à la régression correspondante.

 

Les priorités de Saint-Merry

Quarante ans après la création de Saint-Merry, Daniel Duigou fait le point. Il rappelle le choix initial : une expérience répondant « à la nécessité pour l’Eglise de s’ouvrir à la modernité et de faire rupture ». « Aujourd’hui… le pari est en partie réussi, même si la recherche est toujours à poursuivre. Il demeure un lieu unique de liberté pour l’expérimentation d’un  nouveau rapport entre l’église et le monde, prêtres et laïcs… ». En regard, on peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles cette expérimentation ne s’est pas étendue. Mais l’exemple est là en pleine vitalité. « Grâce à ces trois priorités : accueil et écoute inconditionnelle de l’homme et du monde, gouvernance démocratique, créativité et inventivité, prêtres et laïcs, hommes et femmes, paroisse et ville, croyants et incroyants, nous dialoguons à Saint-Merry à partir d’une confrontation au réel. Notre dynamique consiste à interpréter les signes de la promesse de Dieu à travers les évènements du monde et à ouvrir des chemins nouveaux de fraternité. Prêtres et laïcs dans un échange permanent, nous faisons Eglise, c’est à dire Assemblée pour dire Dieu dans l’actualité du monde. Chaque célébration est alors un événement, une chance extraordinaire pour cette communauté ! Et pour moi ! »

 

A l’écoute des aspirations

Saint-Merry est un carrefour, un lieu de rencontre. Ainsi Daniel Duigou peut y entendre les aspirations des gens d’aujourd’hui et, en particulier, de la jeunesse. Et il est à même d’exprimer en quoi l’Evangile est pour eux une réponse alors que l’institution actuelle constitue pour eux un obstacle. Ecouter l’autre, c’est le maitre mot de la Bible. C’est aussi celui de Saint-Merry… les luttes… les souffrances. Mais aussi écouter celles et ceux qui veulent vivre tout simplement de la modernité et de leur temps. Ecouter tous ceux qui sont heureux de vivre ou veulent le devenir malgré les épreuves qui sont les leurs, celles et ceux qui n’espèrent qu’une chose : aimer et être aimés… » (p 24-25). Et, dans le contexte de liberté offert par Saint-Merry, il y a bien une réponse pour cette recherche spirituelle. « Il suffit de réécrire le catéchisme avec des yeux d’adulte pour qu’ils retrouvent le goût de la recherche de sens, dans l’esprit même de la Bible, c’est à dire dans une exigence critique à la fois individuelle et collective. Pour qu’ils reçoivent le sens d’une vie spirituelle et le goût du questionnement de l’existence. Ils discernent alors une autre vision du christianisme, libérée d’une instance religieuse qui juge et pèse sur les consciences… Le christianisme redevient pour eux un élément vital dans leur projet de vie et leur désir d’accomplissement… »  (p 29).

« Mais,  globalement,  le message institutionnel de l’Eglise passe de plus en plus difficilement auprès des jeunes générations. Aujourd’hui, il semble ne plus rien dire au monde ou presque : c’est comme un divorce (p 37). Ainsi, « les jeunes » (et beaucoup d’autres), « n’acceptent plus le discours dominant qui persiste et qui distingue toujours dans l’Eglise le sacré du non-sacré, un discours qui justifie l’ensemble du système ecclésial et son fonctionnement… Ils conçoivent autrement les rapports humains dans la société, ceux entre l’être et le pouvoir, entre l’être et la vie. Régulièrement, la remise en cause du discours clérical est au centre de nos débats à Saint-Merry ; Ils constituent le principal point d’achoppement pour penser l’avenir » (p 51). Et Daniel Duigou voit bien la racine historique et théologique de ce hiatus. C’est la séparation entre le sacré et le non-sacré qui avait été aboli par le Christ et qui est progressivement réapparu dans l’Eglise, « le pouvoir dans l’Eglise redevenant le monopole du corps sacerdotal » (p 66-67). « Cher pape François, lorsque l’Eglise organise dans le rapport entre ses membres, cette séparation entre le sacré et le non-sacré, lorsqu’elle s’adresse au monde en maintenant l’interdit dans la trame de son discours, elle maintient dans les esprits un espace imaginaire qui infantilise l’homme, alimente une structure régressive, rend coupable le besoin de liberté et d’indépendance… Or, aujourd’hui, les hommes et les femmes ne supportent plus de ne pas être considérés comme des adultes à part entière » (p 67).

 

Pour une réforme de l’Eglise

Daniel Duigou rappelle la réorientation décisive introduite par le concile Vatican II. Mais si « une ouverture a été faite avec la notion de « sacerdoce commun » entre les baptisés, réunissant sur un même plan prêtres et non prêtres, l’axe organisationnel de l’Eglise est resté celui du sacerdoce des prêtres… La structure est celle de l’Ancien Testament. Le sacré, et donc le pouvoir, est exercé par un corps sacerdotal dans le cadre d’un culte » (p 71). Dans le cadre d’un monde en mutation rapide, l’archaïsme de cette structure apparaît au grand jour. Daniel Duigou appelle le pape François à engager l’Eglise dans un grand chantier « pour que la parole s’incarne dans le temps et qu’elle soit signe d’espérance dans ce siècle qui ne fait que commencer ». C’est un nouveau projet, c’est une nouvelle structure pour une Eglise qui se défasse de son cléricalisme par une participation des laïcs. Daniel Duigou expose cette ligne de transformation en trois points auxquels nous renvoyons. Et il conclut son adresse au pape François par un appel : « L’important est que l’Eglise se remette en marche. Comment ? De la même façon que pour Saint-Merry, il s’agit de revenir au temps de l’expérimentation en dehors de toute logique cléricale. Revenir à la praxis qui seule peut produire une parole vivante, comme au premier temps du christianisme, à la rencontre des plus pauvres. Autoriser au lieu d’interdire. Et faire confiance à l’Esprit qui souffle où il veut… » (p 82).

A une époque où une angoisse s’instaure face aux exigences et aux risques de la grande mutation en cours et engendre, chez certains un repli sur soi et un regard en arrière, ce réflexe conservateur prend souvent des formes religieuses qui se manifestent aujourd’hui dans différentes traditions (4). C’est une impasse. Dans une théologie de l’espérance, reconnaissons l’œuvre de Christ ressuscité et le mouvement de l’Esprit dans la créativité, la fraternité, la solidarité, tout ce qui unit, libère, et construit (5). Parmi d’autres, en des contextes variés, cette voix plaide pour un Evangile, communion d’amour et puissance de vie.

Jean Hassenforder

 

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