Stéphane Hessel, notre ami, puisqu’il suscitait notre sympathie à travers sa présence dans les médias, est décédé, le 17 février 2013, au terme d’une longue et belle vie sur cette terre. Chacun pourra trouver les mots pour décrire ce qui émane de lui dans les nombreuses vidéos qu’il nous lègue : enthousiasme, conviction, empathie, passion pour la justice et la défense des êtres humains face aux menaces de toutes sortes, et puis, une présence sensible, immédiatement ouverte à l’autre, dans une fragilité assumée, une noblesse d’âme, un beau sourire.
Tout ou presque a été dit, écrit sur sa vie (1) depuis une enfance européenne, la résistance où la vie a triomphé de la mort, sa participation à l’émergence de la Déclaration universelle des droits de l’homme, une carrière diplomatique, des engagements politiques en soutien de
Pierre Mendes France et Michel Rocard, son implication dans des causes nombreuses et variées, non sans risque parfois, et puis, en fin de parcours, la rédaction du manifeste :
« Indignez vous ! », qui n’est pas une œuvre sans défaut, mais qui a répondu à des aspirations profondes et suscité en retour un immense retentissement. Manifestement, au vu des commentaires qui se sont multipliés, que pourrions-nous ajouter de plus dans la description et l’appréciation d’une vie publique qui apparaît comme l’expression d’une conscience qui se communique ?
Mais, sur ce blog : « Vivre et espérer », comment ne pas exprimer ce que nous recevons de lui ! En effet, nous voyons dans Stéphane Hessel, une dynamique de vie qui n’aurait pu perdurer s’il n’y avait pas en lui une espérance intime. Et de même, son indignation ultime est à la mesure d’une passion pour la justice au sens le plus noble du mot, telle que nous la voyons personnellement s’exprimer dans la sève judéo-chrétienne. A cet égard, on peut présumer que sa culture familiale n’a pas été sans influence.
On trouvera des analyses nuancées au sujet de la spiritualité de Stéphane Hessel, notamment dans l’orbite protestante et le journal « Réforme » (2) parce qu’il y a une certaine proximité, au moins culturelle, entre la foi protestante et cette personnalité qui refuse cependant de s’engager dans une religion. Dans une interview à LCI WAT en mars 2012, Stéphane Hessel s’exprime en croyant qui regarde au delà du visible immédiat, mais sans référence à une religion particulière. Il ne redoute pas la mort : « une expérience peut-être la plus intéressante de la vie ». Et il ajoute : « Je suis profondément acquis à la philosophie de Spinoza. Je pense que l’Etre est partout ». Et il ajoute : « Je pense que nous allons à travers la vie vers quelque chose qui est encore plus grand et où nous pouvons apporter notre petite participation » (3)
Il y a chez Stéphane Hessel une capacité d’émerveillement qui s’exprime dans son amour de la poésie. Ségolène Royal, avec qui il a collaboré dans une amitié réciproque, vient d’écrire à ce sujet un très beau texte : « Le testament poétique de Stéphane Hessel : « La poésie, ma nécessité » (4).
Elle nous rappelle qu’à l’âge de 86 ans, « Stéphane Hessel a présenté 86 poèmes d’auteurs français, anglais et allemands, les trois langues maîtrisées par cet européen accompli, qu’il avait la fierté de connaître par cœur et aimait réciter entre amis, en public ou simplement pour lui même, en marchant dans les rues, en prenant le métro ». Intitulé :
« O ma mémoire, la poésie, ma nécessité », cet ouvrage, disponible en édition de poche est précédée par une introduction qui évoque le goût de la poésie qui n’a cessé de vivre en lui, de le rendre heureux et confiant, de nourrir ses combats et de l’aider à affronter les épreuves de l’histoire ». Et ainsi, il raconte « comment dans les moments les plus dramatiques qu’il dut affronter, la poésie lui fut d’un immense secours. « L’émotion poétique », nous dit-il aussi, « fut pour lui une source de liberté et de sérénité face à la mort ». Et de citer « une lettre de Rilke qui décrit un va et vient entre ceux d’avant et ceux d’après dans un monde ouvert à tous, les vivants et les morts, les butineurs du visible et les abeilles de l’invisible ».
« Ses poèmes », nous dit Ségolène Royal, « constituent une sorte d’autobiographie et de testament poétiques. C’est le geste d’un homme convaincu que le propre de l’humain est de poursuivre des fins qui dépassent la finitude individuelle et que la poésie, parce qu’elle subvertit et transgresse, parce qu’elle nous ouvre à des émotions bouleversantes et touche aux sentiments les plus profonds, représente une nourriture vitale à laquelle chacun doit pouvoir accéder, source de bonheur et de courage ».
Nous accueillons cette vision dans l’inspiration qui est la nôtre, la foi dans un Dieu qui est communion d’amour et qui, en Christ ressuscité et par l’œuvre de l’Esprit, dans un processus de résurrection, nous conduit vers une nouvelle création où Dieu sera tout en tous.
Sur ce blog, nous sommes accompagnés par la pensée théologique de Jürgen Moltmann qui sait nous introduire dans la présence d’un Dieu à la fois transcendant et immanent (5). Et combien cette pensée, dans la dynamique d’espérance et la passion de la justice dont elle témoigne (6), nous paraît en dialogue avec le parcours que nous venons d’évoquer. Dans un de ses écrits, Moltmann nous parle de l’histoire à partir de la foi juive et chrétienne (7). « Le passé et l’avenir ne sont pas des univers séparés, mais au contraire des réalités en interaction…. S’il n’y a plus d’attente d’expériences à venir, alors disparaissent également les souvenirs d’expériences faites. S’il n’existe plus d’expériences dont on se souvient, alors disparaissent également les attentes. Souvenir et espérance sont les conditions qui permettent qu’il y ait des expériences de l’histoire ». Les religions historiques issues de l’histoire d’Abraham sont orientées vers l’avenir. Dès lors, on peut envisager les évènements humains et naturels « dans un horizon d’attente ». On peut les considérer comme des moments d’un processus qui visent au delà d’eux-mêmes ». Et, par ailleurs, on ne se représente plus le passé comme définitivement clos, sans suite. « Nous ne nous posons plus la question de l’avenir pour les morts, mais celle de l’avenir de la vie vécue dans le passé ». Le fil ne se rompt pas. « La rétrospective historique doit donner à reconnaître et à actualiser la perspective passée. Ainsi, il sera possible d’articuler ensemble les expériences de ceux du passé et les espérances de ceux du présent et de les inclure avec le projet d’avenir présent »
Oui, dans cette vision, si Stéphane Hessel a quitté cette vie terrestre, il n’a pas « disparu » à tout jamais. Ensemble, dans des formes différentes (8), nous avançons dans un projet. Ensemble, dans le chemin de l’histoire, nous marchons dans un projet d’avenir.
Jean Hassenforder
(1) ** Lire sur Wikipedia **, un excellent article retrace en détail la vie de Stéphane Hessel.
(2) ** Voir le site de « Réforme » **
(3) ** Visionner sur My News ** : « Quand Stéphane Hessel évoquait sa mort ».
(4) ** Lire sur le blog de Ségolène Royal ** : « Le testament poétique de Stéphane Hessel » ; ** Et sur le même blog ** , quelques jours plus tôt, un hommage de Ségolène Royal à Stéphane Hessel.
(5) ** Lire sur le blog « L’Esprit qui donne la vie » ** : « Vivre la présence de Dieu ».
(6) ** Sur le même blog : La vie et l’œuvre de Jürgen Moltmann ** « Une théologie pour notre temps ».
(7) ** Et ** « En marche. Dans le chemin de l’histoire, un processus de résurrection ».
(8) ** Lire sur le blog : Vivre et espérer ** « Sur la Terre comme au Ciel »
Cet article a été au départ mis en ligne sur le blog : ** Vivre et espérer **