La mondialisation qu’en penser ? Il y a les anti-mondialisation, qui font corps avec les anti-OGM, les anti-OMC (Organisation Mondiale du Commerce : haut lieu du libéralisme international), les partisans de la taxe Tobin (destinée à limiter les transferts de fonds spéculatifs), les défenseurs du protocole de Kyoto sur l’environnement, etc. Je pourrais prolonger cet inventaire à la Prévert : on voit immédiatement que la question éclate tout de suite en une série de questions assez différentes les unes des autres. Pour y voir clair il vaut mieux parler des mondialisations et essayer de faire la part des choses sur des sujets plus limités. On voit alors que les choses sont plus ambiguës qu’il n’y paraît à première vue.
Je vais donner un exemple : les militants anti-mondialisation réunis à Gênes, lors du dernier sommet du G7, comment étaient-ils venus sur place ? A pied, en pèlerinage, en vélo, ou bien à l’aide des moyens de transport modernes ? Gageons que la majorité d’entre eux avaient tiré profit de la mondialisation des moyens de transport. En dehors même de ces grands rassemblements, ces militants restent connectés entre eux par Internet et, donc, par le moyen de la mondialisation des communications. L’information, les personnes, les idées circulent à travers le monde et quelque chose comme le sommet anti-mondialisation de Porto Alegre au Brésil, l’hiver dernier, aurait été impensable sans cette mondialisation.
Les mennonites, pour leur part, ont très tôt tiré parti de la mondialisation. Les mennonites seraient, en effet, aujourd’hui, bien moins nombreux, sans le secours qu’a représenté, bien souvent, à travers l’histoire, l’émigration. Cette émigration vers l’est de l’Europe ou vers les Etats-Unis a été rendue possible par l’amélioration des moyens de transport et par l’ouverture de certaines sociétés locales à la réception d’autres cultures. MCC s’est constitué, ensuite, autour d’un geste de solidarité entre les chrétiens américains et leurs frères russes affamés par la révolution de 1917. Les oeuvres mennonites, en France, doivent beaucoup, également, au départ, à l’initiative de frères venant d’autres horizons. Beaucoup de mennonites français ont, par ailleurs, découvert une autre dimension de leur foi en participant à des conférences mondiales.
La diminution vertigineuse des coûts de transport semble avoir bien des vertus. Jésus-Christ en fut, d’ailleurs, un chaud partisan en expédiant ses disciples “à Jérusalem, en Judée, en Samarie et jusqu’aux extrémités de la Terre”. L’empire romain avait, en effet, réussi à structurer des transports fiables tout autour du bassin méditerranéen et cela a rendu possibles les voyages de l’apôtre Paul. Mais, d’un autre côté, les cultures les plus faibles ont toutes les chances d’être laminées par les cultures dominantes si les frontières culturelles s’ouvrent. La diminution des coûts de transport est, d’ailleurs, aussi ce qui favorise la civilisation mondiale du Coca-Cola, de la télévision poubelle et du pillage des matières premières par des acheteurs en position de force.
Alors que dire ? Comment voir clair dans un tel entrelacs ? A mon avis, j’y reviens, il faut éviter de juger en bloc “pour” ou “contre” la (?) mondialisation et juger, au cas par cas, différents processus de mondialisation avec leurs apports et leurs risques. En raisonnant au cas par cas on peut manier des outils d’évaluation assez classiques et plus faciles à utiliser : Tel processus est-il porteur d’une plus grande justice ou, au contraire, d’un risque d’oppression accru ? Qui est susceptible de tirer parti de cette innovation ? Quels sont les inconvénients prévisibles et les avantages attendus de ce processus ? etc.
Ainsi plutôt que de raisonner sur les OGM en général on peut se poser des questions plus précises. Dans les pays développés qui génèrent des surplus agricoles, à quoi cela sert-il de développer des OGM qui vont provoquer des économies minimes en engendrant des risques réels pour l’environnement ? En revanche, dans des zones arides qui souffrent de dépendance alimentaire et de malnutrition, les OGM pourraient fournir des solutions, à condition qu’elles ne provoquent pas une dépendance économique accrue de certains pays à l’égard de certaines multinationales. Cela définit un enjeu précis et limité mais réel.
Sur les mouvements de fonds au niveau international, l’essentiel du problème n’est peut-être pas tant la spéculation (qui n’est pas tellement plus importante au niveau international qu’au niveau national) mais l’évasion des capitaux hors des pays en crise (par exemple : des brésiliens fortunés préfèrent investir leur argent aux Etats-Unis). Cela dit, la fermeture des frontières financières est aussi un encouragement à développer des règles bancaires ad hoc dans le pays concerné et à supprimer, ainsi, rapidement toute transparence sur les mouvements de fond ce qui est, alors, la porte ouverte à la corruption et au blanchiment de l’argent sale. L’enjeu, ici, est donc d’exiger, en échange de la facilité dans la mobilité des capitaux, l’imposition effective de règles bancaires communes dans un maximum de pays.
Au niveau des connaissances, l’évasion des cerveaux et la domination des pays à fort capital scolaire est sans aucun doute un phénomène néfaste. En revanche le partage d’expérience dans des domaines difficiles, rares et pointus est incontestablement un plus.
J’arrête là ma liste. Cette approche pragmatique et au coup par coup est sans doute moins exaltante que les invectives globales et massives. Elle me paraît néanmoins plus juste et plus facile à convertir en actions concrètes ou en revendications précises.