Présentation de Brian Mc Laren :
Brian Mc Laren est pasteur d’une église innovante et inter dénominationnelle aux Etats-Unis et auteur de plusieurs ouvrages (1). Sensible aux aspirations nouvelles en phase avec le changement culturel il est attentif à la question de la pertinence des pratiques d’église. Dans un livre récent: « Generous orthodoxy » il exprime son itinéraire spirituel, comment, au long de ses rencontres avec des milieux chrétiens de différentes dénominations, il a découvert, à chaque fois, une facette du visage de Jésus, un apport pour l’Eglise.

La rencontre était organisée par Évangile et Culture (Groupe de travail de l’Alliance Évangélique) et le groupe de recherche de Témoins (Association Chrétienne Interconfessionnelle) Elle a eu lieu à l’Église Réformée de la rue Madame à Paris.
La traduction était assurée par Jonathan Hanley (2).

L’assistance, entre 80 et 100 personnes était composée de chrétiens ayant des itinéraires très divers, notamment à travers des milieux différents. Elle comportait également un nombre significatif de représentants d’églises ou d’associations (évangéliques, protestantes, catholiques) qui ont apprécié l’opportunité, lors des temps de partages et du repas pris sur place, d’échanger et de faire mieux connaissance.

Exposé et échanges :

Itinéraire spirituel : les visages de Jésus

Le premier de Jésus est celui de l’enfance. Pour Brian Mc Laren l’image d’un Jésus assis sur un rocher entouré d’enfants de tous les pays du monde : une image d’amour et d’accueil gravée en lui plus profondément que des mots ne pourraient dire.
Dans les mots cette première image du Christ est apparu comme celle des « protestants conservateurs » : Le Jésus venu mourir sur la croix pour expier nos péchés à notre place et nous racheter. Sa mort nous purifie et nous ouvre le ciel. L’insistance sur ce point occulte un peu ce qu’il vit entre sa naissance et sa mort et donne l’impression que la foi chrétienne se réduit au bonheur d’être pardonné.

Le second visage de Jésus est celui des charismatiques pentecôtistes qui proclament le « plein évangile » par le don du Saint Esprit. Si le Jésus des conservateurs nous sauve par Sa mort, celui des charismatiques continue à nous sauver par le Saint Esprit en qui Il est vivant et agit aujourd’hui.

C’est à l’université que Brian Mac Laren découvre, à travers des auteurs, le Jésus catholique, Celui de la résurrection, de la victoire sur la mort, Celui qui donne une espérance et une dimension sociale au christianisme.

Il y eut ensuite le Jésus des orthodoxes qui nous sauve par Sa naissance, par Son incarnation dans la chair et le monde. L’histoire du salut est perçue comme un baume sur ce monde. Si le Jésus des protestants et des catholiques se focalise sur l’individu et le péché, celui des orthodoxes se focalise sur le monde et sa guérison.
De plus, les orthodoxes accordent une grande place au mystère de la Trinité et l’image qu’ils en donnent a la beauté d’une danse où chacune des trois personnes fait une place à l’autre et l’honore. Dieu est une société de bonheur et d’amour. « Dans la Trinité les trois personnes sont mutuellement en habitation chacune avec les autres ».

Pour nombre de protestants « conservateurs » les protestants « libéraux » sont presque l’équivalent du diable. Un jour qu’il discutait théologie avec un ami, Brian Mac Laren a découvert que celui-ci, lassé par les chrétiens qui réduisent leur foi au credo, était devenu libéral. Il accordait une grande importance à l’enseignement de Jésus et à des personnalités comme à Martin Luther King ou Gandhi.
Brian Mac Laren a réalisé que les libéraux ne cherchent pas à se compromettre avec le monde mais à y avoir une action et une parole pertinentes.

La piété et la manière de vivre des anabaptistes ont impressionné Brian Mac Laren ; Ils accordent une grande importance à l’enseignement de Jésus et s’y réfèrent, non seulement pour combattre les mauvais points de la société mais également pour le vivre en communauté. Il existe en effet deux courants anabaptistes : une qui tend à la confrontation avec le monde, l’autre qui tend à l’isolement communautaire.

Le septième visage de Jésus Brian Mac Laren l’a connu chez les théologiens de la libération. Pour eux le Christ a une vision politique décelable entre autres dans ses discours sur l’oppression des pauvres

Cette diversité de lectures doit être aujourd’hui perçue comme une richesse à partager entre nous et avec ce monde en mutation. Le temps est venu d’agrandir nos regards et notre vision de Jésus pour la rendre plus juste et plus visible à nos contemporains.

Comprendre notre monde

Nous vivons dans monde divisé en trois grands courants culturels :
– Les pré modernes : les sociétés traditionnelles (ex : les société islamistes, les courants fondamentalistes)
– Les modernes : le mouvement de pensée issu de la Réforme, du Concile de Trente et de Vatican 2.
– Les post-modernes : la société qui « émerge » après la chute des idéologies, des religions et des pensées totalisantes et unificatrices. On parle de post-communisme, de post-chrétienté etc. Exemple d’attitude post moderne : si vous demandez à un individu sa religion il répondra qu’il n’a pas de religion mais qu’il vit une spiritualité.

Ces distinctions ne sont pas des jugements de valeurs. On peut se situer à la fois dans l’un et l’autre de ces courants de pensées. Les chrétiens en contact avec le monde émergent se sentent souvent plus proches les uns des autres que de leur église. .

Temps d’échange, parole donnée à l’assistance :

Image proposée par un participant : comme croyant on a besoin à la fois d’un point d’encrage, d’une maison et d’un chemin, d’une voie.

Brian Mc Laren : Oui. Dans une église quand certains disent : on aurait besoin de plus de ceci ou de cela il faudrait ne pas considérer la chose comme une critique mais comme une perspective, des idées pour avancer. Il faudrait apprendre à dépasser l’orthodoxie de nos dénominations et savoir lire l’évangile en s’interrogeant. Les pages de nos Bibles ne se salissent pas pareillement selon les églises : les feuillets sales des unes correspondent souvent aux feuillets propres des autres !

Quand quelqu’un quitte une communauté pour une autre il amène l’image négative de son ancienne église et la partage avec la nouvelle alors que sa réflexion devrait porter sur les raisons qui font que les autres y sont restés.

Question d’un autre participant : Dieu n’est-il pas à l’œuvre dans les changements (pas toujours négatifs) que connaît le monde et ne nous invite t-il pas, à travers eux, à bouger nous même, à aller à l’essentiel ? Hier la société était hiérarchique, aujourd’hui nous ne pouvons plus rester entre nous et selon ce modèle ancien. Nous devons trouver la voie d’un christianisme émergent et communiquer l’évangile à nos contemporains dans leur langage.

Brian Mc Laren : Oui. Les gens posent aujourd’hui des questions auxquelles ni les églises conservatrices ni les églises libérales ne savent répondre et les jeunes les quittent. Prenons une analogie : Chaque dénomination a un sac de pièces d’or mais leurs ressources s’épuisent. Elles craignent de ne pas survivre et se rassemblent et autour de la table pour apporter leurs traditions, leurs expériences et découvrir leur richesse commune. Or, ce qu’elles apportent c’est ce qui les distingue. La post modernité ébranle les églises mais ces transformations peuvent ainsi les conduirent vers une « orthodoxie généreuse ».

Comment mettre cela en oeuvre ?

Proposition de Brian Mc Laren :
– Par des rencontres informelles et vraies entre pasteurs et prêtres d’églises voisines, des rencontres où puissent être partagés et portés dans la prière les parcours de foi, les luttes et les joies de chacun. Trop souvent les responsables d’églises vivent, à l’intérieur de leur communauté religieuse, dans une grande solitude spirituelle, enfermés dans l’image qu’ils doivent donner de part leur fonction.
– Par des rencontres et des partages, sans débattre pour chercher à convaincre, entre paroissiens de communautés différentes.
– Comme responsable d’église en ne parlant jamais négativement des autres dénominations et en citant d’autres traditions que la sienne.
– En sachant reconnaître les faiblesses de notre propre tradition et ne pas hésiter à essayer de trouver de l’aide dans d’autres traditions. Là où nous sommes faibles d’autres sont forts.
– En invitant des responsables d’autres traditions à prêcher (ex : Brian Mac Laren a invité le représentant d’une communauté catholique à parler sur la prière contemplative)
– En créant des réseaux (sites, évènements, groupes) largement ouverts.
– En lançant des actions communes sur des projets sociaux
– Collaborer à des actions sociales locales, nationales ou internationales
– En enrichissant notre liturgie de celle d’autres communautés.
– En oeuvrant de manière constructive pour racheter les expériences négatives.

De telles attitudes ne sont pas toujours bien perçues et sont parfois sources d’incompréhension et de souffrances qu’il faut savoir l’accepter comme Jésus a accepté de souffrir pour que nous puissions nous réconcilier avec Dieu et les uns avec les autres.

Dans cette démarche des thèmes théologiques pourraient nous rassembler. La Bonne Nouvelle par exemple, c’est-à-dire le Royaume de Dieu. « Le Royaume de Dieu est proche, dit Jésus en Marc 1 v15, changez et croyez à la Bonne Nouvelle ».
Aujourd’hui Il n’utiliserait peut-être pas le mot royaume, très politique dans la Palestine occupée par les romains. Le souci des juifs était de se libérer de César mais ils n’avaient pas tous le même objectif pour y parvenir : le parti des zélotes prônaient la lutte armée, celui des saducéens, au nom du réalisme, la compromission avec l’occupant, celui des Esséniens le retrait au désert pour y vivre en communauté et celui des pharisiens l’attente d’une puissante intervention de Dieu qui tardait à venir à cause du trop grand nombre de pécheurs parmi le peuple.
Or, à ses auditeurs obnubilés par le royaume de César, Jésus parle d’un royaume de Dieu proche qui ne vient ni par les armes, ni par le compromis, ni par la fuite au désert ni par l’exclusion des pécheurs, mais qui est là et consiste à Le suivre. L’apôtre Jean n’utilise, lui, que deux fois ce terme. Il préfère l’expression « vie éternelle » plus compréhensible sans doute à son public.
Aujourd’hui, si Jésus s’exprimait au journal télévisé de 20 heures on lui laisserait peu de temps, entre les publicités, pour développer ses paraboles. Or son message ne peut se dire que sous la forme de ces récits qui, loin des formules réductrices, touchent l’imagination autant que l’intelligence et de nos jours il dérange comme il dérangeait hier les juifs qui ne pouvaient saisir que les romains étaient aussi invités à entrer dans le Royaume de Dieu.
Il nous faut prendre le temps de le recevoir pleinement pour le partager à nos contemporains dans la compréhension et le respect de leurs cultures diverses et en mutation.

En fait, quand nous prions « Notre Père, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » nous sommes souvent plus préoccupés du Ciel à venir que de faire venir le Ciel sur la Terre. Deux pièges sont à éviter : chercher à cultiver une relation avec le Roi sans se préoccuper de son Royaume, chercher à établir le Royaume sans s’intéresser au Roi.

Conclusion

Brian Mc Laren a illustré son exposé d’exemples émouvants et stimulants pour chacun (ses rencontres amicales et non conventionnelles avec les responsables d’églises de son voisinage, ses gestes de sympathie envers la communauté musulmane après le 11 septembre 2001 etc)

Il a également invité les personnes qui le souhaitaient à parler de leurs expériences et nous avons pu entendre le témoignage d’un couple mixte, l’histoire de l’émergence d’un groupe de partages et de prières d’artistes, un représentant du groupe de réflexion catholique « Jonas », une présentation du groupe de la fraternité à Témoins et quelques cheminements personnels.

L’ensemble de cette journée convergeait vers une aspiration commune à voir émerger de nouvelles formes d’églises, de communautés et de rencontres chrétiennes en phase avec une société qui, en continuelle transformation, demeure assurément ouverte à la spiritualité.

D’ailleurs, un certain nombre de participants aurait souhaité un plus large débat sur ce thème en cours d’après-midi. C’est un appel à l’organisation d’une nouvelle rencontre pour étudier, cette fois, à travers un travail de groupe, les conditions requises pour susciter le développement d’un réseau de communautés chrétiennes émergentes en France.

Françoise R.
Groupe de Recherche de Témoins.
Janvier 2006

« Generous orthodoxie » non traduit en français mais objet d’un article important de Jean Hassenforder accessible sur le site temoins.com et « Réinventer l’Eglise » en cours de publication aux éditions de La Ligue pour la Lecture de la Bible.
Auteur de « Une Eglise rayonnante » éditions Farel.

Références: Groupe “Recherche” Témoins

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