Il y a un va-et-vient entre la réalité sociale et les représentations que nous nous en faisons. Selon l’orientation de notre pensée, nous nous attachons plus particulièrement à tel ou tel aspect de cette réalité. Les angles de vue varient. Nos représentations à leur tour influent sur la situation. De la même façon que notre regard sur nous même oriente notre comportement, la manière dont nous percevons le monde et l’humanité exerce une grande influence sur nos attitudes et nos modes d’action dans la société et la culture.
Economiquement, socialement, politiquement, nous nous sentons confrontés aujourd’hui à de nombreuses menaces, mais face aux défis auquel actuellement fait face l’humanité, on observe dans la durée une multiplication des initiatives. Et parallèlement une conscience collective apparaît.
Ainsi, en février 2011, le magazine : Sciences Humaines, a consacré un dossier au : « Retour de la solidarité : empathie, altruisme, entraide… » (1).
Que se passe-t-il ? Dans la crise économique et financière actuelle, il y a des mouvements d’indignation, mais à plus long terme, en regard des fléaux sociaux, qu’ils soient installés de longue date ou prenant une forme récente, il y a également de plus en plus de gens engagés dans des actions d’entraide et de solidarité. « Sur une planète mondialisée, l’altruisme s’étend à tous les malheureux de la terre en bas de notre immeuble ou à des milliers de kilomètres ». Et, parallèlement, les chercheurs, les philosophes transcrivent dans le domaine de la pensée cette attention pour ceux qui souffrent en mettant en évidence les mouvements qui cherchent à porter remède au mal social, mais aussi en fondant cette action en termes de valeurs. Quelles sont les exigences qui viennent à la conscience ? Quelles sont les motivations qui orientent les comportements ? On connaît par exemple le courant de pratique et de recherche qui s’est développé en France autour du « Care », mouvement et notion d’origine anglophone qui met en valeur le fait de prendre soin d’autrui.
La coordinatrice du dossier paru dans Sciences Humaines, Martine Fournier, nous présente cette évolution comme un rejet de « l’idéologie de « l’homo œconomicus » à la recherche de son intérêt égoïste, des vertus de la société libérale et de la compétition ». « Ce que montrent les travaux récents, qu’ils viennent des sociologues, ou des psychologues, des tenants du culturalisme ou de la psychologie évolutionniste, c’est que les émotions ont une grande part dans les conduites humaines. La multiplicité des formes de solidarité apparaît comme une preuve que « l’homo œconomicus » ne saurait suffire à définir l’être humain dans sa totalité ». Une nouvelle forme de lien social est en train de se tisser. La participation à une communauté humanitaire contribue également à fortifier l’estime de soi. Mais, s’il en est ainsi, à notre sens, c’est bien parce qu’il y a un changement profond dans les aspirations profondes de l’homme.
Cette évolution nous interpelle d’autant plus qu’elle s’étend dans un regard qui, au delà de l’humain, se tourne également vers la nature. Ainsi, écrit Martine Fournier, « L’empathie et la solidarité seraient-elles devenues un paradigme dominant qui traverse les représentations collectives ? De l’individualisme et du libéralisme triomphant passerait-on à une vision portant sur l’attention aux autres. Ce basculement s’observe effectivement aussi bien dans le domaine des sciences humaines et sociales qu’à celles de la nature (p 34). En fait, dans ce domaine comme dans tout autre, tout dépend de notre regard. Pour une part, les découvertes dépendent des questions posées. Ainsi, « alors que la théorie de l’évolution était massivement ancrée dans un paradigme darwinien « individualiste » centré sur la notion de compétition et de gène égoïste, depuis quelques années, un nouveau visage de la nature s’impose. La prise en compte des phénomènes de mutualisme, symbiose et coévolution entre organismes tendent à montrer que l’entraide et la coopération seraient des conditions favorables de survie et d’évolution des espèces vivantes, à toutes les étapes de la vie » (p 34).
Si nous vivons aujourd’hui dans la menace d’une crise économique et financière de grande ampleur et s’il faut chercher des voies pour y faire face, nous devons également considérer le changement culturel à plus long terme. A notre sens, la transformation en cours de la vision de l’homme, de l’humanité, de la nature, s’inscrit dans l’émergence d’une conscience spirituelle qui nous paraît à la fois un signe des temps et un appel à une avancée de la pensée théologique, notamment dans une prise en compte de l’œuvre de l’Esprit (2).
Comment participons-nous à ce nouveau regard ?
Jean Hassenforder
Cet article a déjà été mis en ligne dans un autre cadre: le blog: Vivre et espérer ** Voir ce blog **
NOTES
(1) Le retour de la solidarité. Dossier animé par Martine Fournier, p. 32-51, in : Sciences Humaines, N° 223, février 2011. Après une mise en perspective de Martine Fournier, ce dossier présente des articles portant sur diverses facettes de la question et une bibliographie des livres récents. ** Voir le site : www.scienceshumaines.com **
(2) ** Voir le site : www.lespritquidonnelavie.com **