L’actualité cinématographique de ces dernières semaines met sur le devant de la scène le film Intouchables qui est en passe de pulvériser le record du nombre d’entrées. Je l’ai vu 2 fois, en ce qui me concerne. Certains en retiennent le comique de quelques scènes ou quelques répliques, d’autres l’excellent jeu des acteurs, ou y voient simplement une bonne comédie. Ce qui m’a particulièrement touchée, c’est ce regard sans concession et sans pathos sur le handicap qui est le fil conducteur du film. A mon sens, il est résumé par une réplique de François Cluzet (Philippe) à qui on fait remarquer que son aide- soignant, Driss, est sans pitié, et qui répond que c’est justement parce qu’il est sans pitié et sans commisération qu’il l’a choisi.
Et, en effet toute l’attitude de Driss est celle d’un homme qui n’aurait pas remarqué le handicap de son patron, pouvant choquer par son attitude désinvolte ou mettre très mal à l’aise le spectateur notamment dans cette phrase : « Non, je ne vous donnerai pas de chocolat, pas de bras, pas de chocolat » ! Quel manque de pitié apparente ! Mais au fait, la pitié est-elle positive, fait-elle avancer les situations ou évoluer la personne qui en est l’objet ?
Je suis convaincue que la réponse est non car la pitié est une relation dans laquelle les 2 parties ne sont pas à égalité, qui suppose « un dominant et un dominé » et qui n’aide pas l’autre à se construire ou se reconstruire. Pourtant Driss plusieurs fois nous prouve qu’il aime et respecte Philippe : il refuse au début de lui mettre des collants « comme à une gonzesse » ou de le charger dans un fourgon comme un cheval. Il le pousse vers l’amour, convaincu que son handicap n’empêche pas cet homme d’être terriblement attachant. C’est que ce n’est pas la pitié qui le guide mais qu’il a de l’empathie pour son patron et beaucoup de respect. Il veut l’aider à vivre pleinement sa vie malgré ses terribles contraintes et à aller au bout de ses plaisirs, si limités soient-ils.
En bref, l’aider à voir que sa vie vaut d’être vécue. Pour moi, c’est ce qui est merveilleux dans ce film, ce qui rend les 2 personnages « intouchables », leur amitié, leur complicité. Chacun en ressort « gagnant » car l’empathie, contrairement à la pitié, fait grandir les 2 participants, est gratifiant pour les 2. Dans le cas de Driss, il découvre grâce à Philippe la grande musique, il fait des choses dont il se croyait incapable (surmonter sa peur en avion, faire du parapente et y trouver un plaisir extrême….).
Cela résonne fortement en moi, car je vis aux « Resto BB du cœur » ces situations tous les jours dans mon activité bénévole qui me fait rencontrer des mamans en grande difficulté avec des petits bébés de moins d’un an. Elles ne cherchent pas la pitié, croyez-moi, mais bien au contraire, quelqu’un qui les écoute, qui partage leurs souffrances, qui les accompagne avec bienveillance et sans jugement. Et quel bonheur, lorsque ces regards tristes, désespérés s’éclairent d’une lueur d’espoir, de malice ou de fierté lorsqu’on les complimente sur leurs bébés. Quand on arrive à briser le mur de leur solitude, que, tel le Petit Prince avec son renard, on a réussi, précisément grâce au respect qu’on leur témoigne à les « apprivoiser », les mettre en confiance ! Notre rôle est de leur communiquer notre énergie pour qu’elles se battent et ne baissent pas les bras. Et le plus souvent çà marche, elles nous remercient mais c’est elles qui ont fait le travail en trouvant en elles les ressources nécessaires. Nous sommes là juste pour les encourager, les rassurer, les aider à se relever si elles trébuchent ou si elles doutent. Elles ont une telle dignité qu’il n’y a aucune place pour de la pitié, j’aurais l’impression de les rabaisser… elles sont déjà si bas quand elles nous arrivent !
J’ai toujours estimé, quand on considère ces 2 notions dans le cadre de la religion chrétienne, que Dieu a fait preuve d’amour, d’une empathie poussée jusqu’à l’extrême en nous envoyant son Fils pour qu’il donne sa vie pour nous, et surtout pas de pitié. Ce qui me trouble, dans cette théorie qui est la mienne et qui n’est peut-être pas religieusement correcte, c’est la prière qu’on récite à la Consécration : « Prends pitié de nous, Seigneur »… Mauvaise traduction ? En tous cas, ce n’est pas de pitié dont j’ai besoin, car cela ne m’incitera jamais à me dépasser mais d’amour, oui c’est sûr, qui va me pousser à en être digne et à devenir meilleure.
L’empathie est rassurante, stimulante dans toutes les situations difficiles ou douloureuses de la vie : maladie, deuil, moments de doute où on a besoin d’échanger avec quelqu’un qui écoute et renvoie la balle. Il y a la prière qui peut apporter un certain apaisement ou permettre de voir une petite lumière au bout du tunnel, mais la relation humaine quand elle est riche, de bonne qualité sans complaisance mais bienveillante (qualité essentielle pour que cela fonctionne) me parait complémentaire, avec toute la modestie de rigueur.
La difficulté dans la relation à l’autre est toujours d’avoir le bon positionnement et cela est particulièrement vrai quand l’autre peut sembler en état d’infériorité (maladie, précarité, handicap physique ou social….). On est touché, ému, on a envie d’aider mais, à mon sens, on aide déjà beaucoup en portant un regard « normal » sur l’autre, en restant naturel et en respectant ce que lui-même, quelquefois, pense avoir perdu : sa dignité.
Une autre fois peut-être, il serait intéressant d’élargir ce débat en rajoutant le mot « charité »… Mais c’est encore une autre histoire et une autre dimension……
Danielle