Marcher pour rencontrer Dieu « en esprit et en vérité » cela peut sembler étrange. En fait, parlez-en autour de vous et vous vous apercevrez que beaucoup de chrétiens l’ont fait ou le font. Il m’est impossible d’expliquer ce qui se passe dans ces moments-là ; cela reste, en partie, un mystère pour moi. J’ai pratiqué l’approche méditative des textes bibliques depuis plusieurs années et cela a porté ses fruits dans des retraites. Mais si je suis seul et immobile, j’ai tendance à tourner en rond et à ressasser.
Et puis j’ai eu l’occasion de faire la même chose en marchant, de manière organisée d’abord, puis seul ou en petit groupe ensuite. Là les choses sont différentes : j’ai en face de moi la nature qui me parle de Dieu ; mon corps est en jeu et la parole s’incarne plus directement ; je construis un dialogue pas à pas avec Dieu et je sors de mes ruminations.
Faites-le et vous comprendrez.
Avant de vous lancer, vous pouvez relire les évangiles et les actes des apôtres et vous vous apercevrez que Jésus et les apôtres passaient leur temps à marcher. Je n’ai compris certains textes des évangiles que lorsque je me suis mis à marcher moi-même.
L’image de la marche pour parler de la vie chrétienne est commune. Mais c’est parfois plus qu’une image.
La tradition chrétienne a inscrit le pèlerinage au cœur de ses pratiques. Mais autrefois les croyants marchaient pour atteindre un lieu sacré dont ils espéraient recevoir une bénédiction spéciale.
Aujourd’hui la plupart des personnes qui pérégrinent dans un but religieux se focalisent sur le moment de la marche lui-même.
Tout cela m’a donné l’envie de marcher plusieurs jours de suite et de me joindre au pèlerinage le plus pratiqué, en France, celui de Saint-Jacques-de-Compostelle.
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J’y ai donc marché dix jours, début juin, avec Christine, mon épouse, entre Le Puy-en-Velay et Decazeville dans la partie sud du Massif Central.
Je ne vais pas rapporter ici ce que nous avons reçu, mais plutôt témoigner des rencontres particulières que nous avons pu faire sur le chemin.
Chacun marche à son rythme et l’on se retrouve le soir, un peu au hasard, dans les gîtes d’étape. Les premiers jours les conversations étaient décevantes. Les personnes gardaient un masque sans livrer ce qui les concernait. Mais au fur et à mesure nous avons commencé à retrouver des compagnons, de lieu en lieu, au fil de la journée. Cela a donné de brefs moments d’échange. Chacun se soucie de savoir si tout se passe bien pour les autres. On se retrouve à la même halte pour boire un café.
Au fur et à mesure les langues se sont déliées.
Nous nous sommes rendu compte alors que chacun marchait en cherchant quelque chose. Les uns hésitent à prononcer le nom de Dieu. D’autres en parlent sans trop pouvoir lui donner des contours précis. Certains ont une pratique religieuse plus structurée.
J’ai cru plusieurs fois me retrouver dans le livre de Danièle Hervieu-Léger, Le Pèlerin et le converti. Les croyances sont bricolées, la plupart du temps, et chacun cherche à sa manière.
Mais tous sont habités par quelque chose.
Certains ont subi une maladie grave et sont reconnaissants d’être encore en vie. D’autres veulent faire le point, au moment de leur départ à la retraite ou suite à des moments difficiles. D’autres encore ont perdu un proche ou portent la maladie d’un proche. L’un parle à mots couverts de sa dépression. Il nous dit que le chemin de Saint Jacques devrait être remboursé par la Sécurité Sociale au même titre que le Prozac.
Ainsi, nous marchons et chacun respecte la recherche de l’autre.
En parlant, chacun témoigne de ses choix de vie, de ses convictions propres. Tout le monde écoute et personne ne juge.
Nous sommes en marche, ensemble, prêts à nous secourir.
Une grand-mère a déballé, au détour d’un virage, les sparadraps dont j’avais besoin. Le lendemain elle nous rejoint et me demande si je vais mieux.
Il y a peu de lieux où j’ai eu l’occasion de parler de questions spirituelles avec autant de respect mutuel. Il n’y a pas d’invectives, pas de prosélytisme crispé, pas de cynisme. Tout le monde est face au sérieux de ses choix et avance côte à côte avec les autres.
J’ai beaucoup aimé cette expérience et ces rencontres d’un genre spécial.
Sur le bord de la route, des prêtres et des laïcs se tiennent disponibles pour écouter qui en a besoin.
Quant à ce que j’en ai reçu pour mon compte propre … je dirai que j’ai reçu quelque chose que je ne cherchais pas. Que demander de mieux ?
Frédéric De Coninck