Un autre regard sur la parabole du bon Samaritain

La parabole du bon samaritain est sans doute une des plus marquantes de l’Évangile. Mais, en a-t-on saisi tout le sens ? Une philosophe Marie Grand veut élargir notre compréhension la plus habituelle à partir d’une peinture de Rembrandt et d’une réflexion prenant en compte la lecture de la Bible comme la philosophie de Paul Ricoeur. Dans son livre : « Géographie de l’amour. Une autre histoire du bon samaritain » (1), Marie Grand s’interroge sur l’étendue du déploiement de l’amour.

 

Le bon Samaritain et l’hôtelier

Son point de départ est l’examen d’un tableau de Rembrandt qui, au lieu de mettre l’accent sur la rencontre initiale entre le bon Samaritain et la victime des brigands, décrit « la fin de l’histoire en faisant entrer dans son cadre un personnage habituellement tapi dans l’hors-champ des tableaux et des commentaires bibliques : l’hôtelier » (p 14). Dans le dialogue entre le bon Samaritain et l’hôtelier à qui il confie le blessé, l’auteure perçoit un autre mode d’exercice de la charité. Et elle y trouve une occasion de distinguer les différentes formes selon lesquelles l’amour se déploie, « une géographie de l’amour ». « Vouloir aimer tout le monde, c’est en réalité vouloir deux choses très différentes que l’on peine d’ordinaire à bien distinguer. C’est en même temps ‘aimer tout un chacun indifféremment et tout le monde simultanément’… Généralement, seule la première question nous intéresse, car elle appelle les réponses les plus spectaculaires et les plus télégéniques… Les plateaux de télévision mettent régulièrement sous les projecteurs les Abbé Pierre, Cédric Villani, et autres bons samaritains. Chez ces aventuriers de l’amour, tout est à égale distance, car ils savent personnellement s’approcher de chacun. Mais ils ne sauraient avoir le monopole du cœur. On ne peut quadriller intégralement le monde par des rapports insulaires, des rapports de personne à personne. Il faut aussi se demander ce que devient l’amour quand les demandes et les sollicitations augmentent » (p 17-18).

Marie Grand en vient à souligner que l’action collective en vue d’aider les malheureux est une autre manifestation d’amour. « Devant le vertige des grands nombres, l’amour ne se contente pas d’improviser, il doit s’organiser. Ce visage-là est plus ingrat : c’est celui de l’Hôpital, de l’Éducation Nationale, de l’Ehpad, de la justice, de l’État, de la division du travail et du monde économique en général. C’est le visage de l’hôtelier ». L’auteure veut nous apprendre à voir dans des pratiques sociales une manifestation de l’amour au quotidien. « Signer, instruire, nourrir, loger, protéger et accueillir tout le monde : la tâche n’est plus de la même nature et pourtant c’est encore de l’amour. En effet, dans chacun de ces actes nous nous entretenons mutuellement dans la vie, ce qui est peut-être l’unique vocation de l’amour. Pour se faire, l’amour mobilise nos forces quotidiennes, s’inscrit dans l’épaisseur du tissu social, fait de nous les partenaires anonymes et interchangeables d’un système de services réciproques » (p 18). Certes, Marie Grand voit bien où réside l’écueil : « Nécessairement, en s’organisant, l’amour court le risque de profondément s’altérer, voire de disparaître dans les rouages de ce que nous appelons le « système » (p 19).

L’auteure met en lumière l’ampleur des besoins qui requièrent attention et soin en évoquant un autre passage de l’Évangile : « Les Évangiles nous racontent l’histoire d’une brebis perdue et retrouvée pour laquelle le berger délaisse son troupeau. On est en droit de s’interroger : qui veille sur les quatre-vingt-dix-neuf autres brebis quand il se porte au secours de la malheureuse ? Car, contrairement à ce que l’on croit, elles ne se trouvent pas en sécurité dans la bergerie, mais dans la montagne ou au désert » (p 19).

Marie Grand nous fait alors part du message qu’elle veut communiquer : « La conviction principale de ce livre est simple. On ne peut donner à l’amour son envergure et sa géographie maximale sans toujours tenir ensemble ces deux voies : celle du bon Samaritain et celle de l’hôtelier, celle de la rencontre interpersonnelle par laquelle nous tâchons de nous faire proches de quiconque et celle du service impersonnel par lequel nous allons à tous. Aimer tout homme, aller loin à la rencontre des territoires perdus de l’amour pour sauver la brebis égarée, tel est le défi du bon Samaritain. Aimer tous les hommes, les servir partout en même temps, veiller sur les quatre-vingt-dix-neuf autres brebis, tel est le défi de l’hôtelier. Il arrive que ces deux dimensions ne s’harmonisent pas ; pourtant elles se conditionnent et se corrigent réciproquement » (p 20).

Le livre se déroule ensuite en deux parties : ‘Aimer tout homme. Le bon Samaritain’ ; ‘Aimer tous les hommes. L’hôtelier’. Marie Grand soulève beaucoup de questions et y apporte de nombreuses analyses auxquelles on se reportera.

 

Aimer tout homme. Le bon Samaritain

Marie Grant commente la demande : ‘Qui est mon prochain ?’. ‘Pourquoi as-tu besoin de savoir au préalable à qui s’adresse ton amour ?’… Aimer authentiquement, n’est-ce pas refuser de faire de la réponse à cette question un préalable de l’amour. Car c’est en aimant que l’on y répond… « (p 28). La réponse appelle à nous conduire en prochain. « Le prochain, c’est la conduite même de se rendre présent » commente Paul Ricoeur. « On n’a pas un prochain, on se fait le prochain » (p 30).

L’auteure introduit alors une analyse subtile de nos comportements oblatifs Notre amour peut s’adresser à différentes personnes et un conflit peut apparaitre entre ces différentes conduites. « Aimer tout le monde serait si simple si nous n’avions pas sans cesse à articuler des loyautés et des allégeances contradictoires, celles du lévite, du prêtre et du bon Samaritain. Il se peut que nous ayons de bonnes raisons de passer notre chemin : un enfant, un parent, un proche à secourir ou encore une responsabilité à exercer. Peut-on nier qu’il existe un ordre légitime et naturel de l’affection ? Il n’est pas honteux de commencer par s’aimer soi-même, c’est même un impératif vital. Ne dit-on pas d’ailleurs qu’il faut aimer le prochain comme soi-même ? » (p 35). Cependant, nos attachements ne sont-ils pas souvent trop exclusifs ? « Au sein de nos interactions, le sentiment aménage des zones d’extrême intensité, de hautes fréquences et de contrée froides et lointaines… Les différentes formes de l’affection devraient nous rapprocher les uns des autres mais elles produisent aussi des écarts et des différences… » (p 37-38). L’auteure explique le processus de nos attitudes différenciées.

« Paradoxalement, le défaut d’ouverture n’est pas le contraire de l’amour mais son ombre portée. Ce n’est pas faute d’aimer que nous sommes indifférents, voire inamicaux mais parce que nous aimons. Tel le soleil, nos sentiments investissent, éclairent et réchauffent certaines zones de l’espace social et en délaissent d’autres » (p 38). « L’amour doit se battre afin de parvenir à aimer tout le monde et faire triompher sa géographie rêvée (celle du bon Samaritain) sur sa géographie réelle (celle du lévite et du prêtre) » (p 40).

Marie Grand revisite l’épisode fratricide de Caïn et Abel. Caïn, l’enfant préféré de sa mère rejette son cadet et le tue. Elle remarque qu’il y a des familles enfermantes. « L’affection naturelle peut devenir une prison » (p 43). « En plaçant un fratricide à l’orée de sa grande saga, la Bible part d’un constat et indique une direction : c’est en s’étendant au dehors que nos liens se purifient. » (p 44). « Et sur un registre anthropologique, la prohibition de l’inceste est une première loi de civilisation qui nous prescrit de ne pas nous lier les uns aux autres, n‘importe comment. Elle nous invite à dépasser le cercle de la proximité… » (p 43). La société humaine se caractérise par son hypersociabilité. « En nouant de multiples contacts, les êtres humains tissent une solidarité d’un nouveau type qui préfigure progressivement le lien politique ». La devise : ‘Liberté, égalité, fraternité’ fait place à la fraternité qui évoque un sentiment familial. Marie Grand estime que « c’est parce que les liens de la famille ont vocation à s’universaliser. Le contrat social a besoin de puiser en eux une partie de sa force…. Pour vouloir l’égalité et la justice… le libre jeu des intérêts ne suffit pas… » (p 48). L’auteure estime que la parabole du bon Samaritain n’entraine pas un ‘universalisme abstrait’. C’est un récit qui renvoie à une réalité très concrète où des frontières existent et comptent.

Au total, Marie Grand met l’accent sur l’importance de l’attention. « L’exclusion est souvent le résultat d’un processus d’inattention passive, voire d’invisibilisation active » (p 54). Pendant que notre attention se porte sur certains sujets, elle se détache d’autres aspects de la réalité. « Un tri met en jeu des filtres qui reflètent nos à priori et nos intérêts » (p 58). Une juste attention est nécessaire. Elle n’est pas aisée el l’auteure rajoute une autre exigence. « Prêter attention ne suffit pas. Prêter attention, ce n’est pas encore être attentionnéL’attention doit se faire passive et patiente… » (p 61-62). Ainsi l’attention apparaît comme une priorité. « L’extension du domaine de l’amour est étroitement corrélée à l’extension de domaine de l’attention » (p 62).

 

Aimer tous les hommes. L’hôtelier

Marie Grand rappelle la formule de Michel Rocard : « On ne peut accueillir toute la misère du monde ». Si cette phrase peut paraitre abrupte, elle n’en exprime pas moins une part de la réalité. L’auteure commente en ce sens : « L’amour n’est pas seulement un sentiment, c’est une aptitude : ce qui suppose de s’enquérir des moyens par lesquels il s’incarne dans la réalité. C’est manifestement le cas du bon Samaritain qui a non seulement la compétence, mais aussi les ressources nécessaires pour dispenser les premiers secours » (p 66). Dans ce livre, Marie Grand apporte une vision originale en mettant l’accent sur un aspect le plus souvent négligé ou ignoré : la tractation du bon Samaritain avec l’hôtelier en le rémunérant pour lui confier le blessé. Elle trouve dans la peinture de Rembrandt le même regard. « La parabole ne suit pas une pente romantique. Le bon Samaritain ne fait pas l’impossible. Il fait ce qu’il sait faire avec ce dont il dispose. Il délègue la suite à celui qui a fait de l’hospitalité un métier. Rembrandt a choisi de nous montrer le moment précis où l’hôtelier prend le relai du bon Samaritain, où l’acte de charité se continue tout en se métamorphosant » (p 67).

L’auteure aborde la dimension collective de l’amour. « La fraternité universelle s’adresse à quiconque indifféremment, mais aussi à tous simultanément. Aimer ce ‘quiconque’, ce n’est pas encore aimer tous ces « quiconque ». (p 71). Telle exigence ne doit pas faire oublier l’autre. « Si l’on ne doit pas sacrifier l’individu à la communauté comme le font le lévite et le prêtre, on ne peut pas davantage sacrifier la communauté à l’individu comme certains bons Samaritains bien intentionnés pourraient être tentés de le faire » (p 73). L’auteure aborde la question du changement d’échelle. C’est un problème courant dans la vie économique. Ces changements appellent un changement de mentalité et d’organisation. Étendre l’œuvre de l’amour implique de même une approche nouvelle. « Plutôt que de réclamer une multitude de bons Samaritains, ne serait-il pas plus rationnel d’exiger que les routes de Palestine et du monde entier soient sûres ? Car on oublie souvent que l’histoire s’ouvre sur une scène de brigandage » (p 77). A partir de la parabole du bon Samaritain, l’auteure met l’accent sur une exigence sociale souvent méconnue. « Tant que nous ne remontons pas aux racines économiques et politiques de la difficulté, notre amour reste à la surface de la réalité. Pire, il procède en ordre dispersé de manière aléatoire et sélective » (p 80).

Le concept de justice apparait ici : « Pour prendre en charge de manière ordonnée l’augmentation exponentielle des besoins, l’amour se fait justice. Seule cette métamorphose lui permet de changer d’échelle et d’atteindre le niveau de généralité auquel il veut prétendre. La justice construit patiemment et rationnellement des équilibres. Elle répartit l’amour selon la règle de l’équivalence et de la réciprocité afin d’éviter toute forme de privilège… Exercice difficile… Inévitablement, en devenant justice, l’amour accepte des compromis imparfaits moins spectaculaires que ses élans spontanés » (p 83).

Aux côtés du bon Samaritain, l’hôtelier mérite sa place au cœur du récit de la fraternité universelle. « N’incarne-t-il pas une autre facette du lien social et un visage possible de l’amour ? ». Dans cette perspective, Marie Grand recourt à un article de Paul Ricoeur : ‘Le socius et le prochain’. « Le philosophe remarque que la société nous place toujours à l’entrecroisement de deux types de relations : des ‘relations courtes’ et des ‘relations longues’. Les premières sont immédiates et intimes. Elles rendent présentes une personne à une personne… Les secondes sont distantes et impersonnelles, car intermédiées par des circuits complexes et collectifs où l’argent jouent un rôle central » (p 85). Dans les ‘relations longues’, « nous jouons un rôle social… nous nous appréhendons en tant que nous sommes hôtelier, boulanger… Nous prenons place d’une manière plus ou moins anonyme dans une organisation sociale… le socius selon Paul Ricoeur, désigne la relation longue, celle par laquelle nous devenons réciproquement partenaires d’un vaste système de services » (p 86). On peut opposer ces deux relations, mais l’auteure met l’accent sur leur complémentarité. « C’est en réalité par la voie longue de nos rôles sociaux et même de nos interactions politiques et économiques que l’amour chemine le plus loin, et atteint justement ceux que nous ne choisissons pasPar cette voie, l’amour rayonne au-delà du cercle de la proximité et de la connivence » (p 87). A partir de là, nous envisageons notre activité professionnelle sous un jour nouveau. « Prendre conscience qu’elle est à sa manière un lieu d’amour exige de questionner nos priorités… Quels hôteliers nous voulons être, quelle société nous souhaitons soutenir chaque jour par notre énergie et notre talent… » (p 91).

Marie Grand ajoute un autre registre de relation : ‘le tiers’ (p 91). C’est ‘aller à la rencontre de ceux qu’aucune interaction sociale ne placera jamais sur notre chemin’. « L’amour doit aussi s’engager dans cet extrême bord du lien social qui est l’au-delà de la présence, l’au-delà même du partenaire. Aimer, c’est se soucier de ceux que je ne vois pas mais pourrais voir si j’étais né ou si je vivais ailleurs » (p 94). Emmanuel Levinas évoque ‘le tiers’. ‘Il laisse entendre qu’il est potentiellement un tiers exclu’. Il y a là encore un sujet d’attention, mais nous dit Marie Grand, « garder à l’esprit ce tiers invisible ne suppose pas seulement un effort d’attention mais d’abstraction » (p 94). C’est donc « s’enquérir en chaque situation de ce que je dois à tous, à cette pluralité abstraite qui avoisine mes relations effectives… ». Cette attention va jusqu’à remettre en cause « des manières de vivre qui reposent structurellement sur l’asservissement d’un tiers que l’on ne voit pas » (p 95).

L’auteure élargit constamment le champ de sa réflexion. Ainsi, elle nous appelle à envisager l’institution comme une garante de la durabilité d’un lien d’amour. « Par l’institution, les êtres humains édifient un univers plus durable que leurs élans spontanés » (p 97). L’auteur dresse un bilan nuancé, mais globalement positif du rôle des institutions (p 97-105). C’est encore une invitation à réfléchir au-delà de nos impressions immédiates. « Nous avons tendance à ne plus faire confiance aux institutions… Nous les contournons en privilégiant tantôt les relations très courtes, le monde chaleureux de la communion où chacun se sent intimement lié à chacun ; tantôt les relations très longues, le monde flexible et fluide de la connexion où chacun peut s’engager et se désengager quand bon lui semble. L’institution a un tout autre style : ni communion, ni connexion mais communauté. Elle organise la coexistence humaine la plus large possible autour de pratiques communes et de significations partagées qui sont toujours les fruits d’une histoire » (p 104).

Cependant, l’auteure sait nous montrer comment les institutions peuvent dériver. En ce sens, elle procède à une interprétation originale du récit évangélique racontant l’accueil de Jésus par Marthe et Marie. « En s’affairant, en suivant à la lettre le protocole de l’hospitalité et les tâches qu’elle s’est fixée à l’avance, Marthe fait fonctionner la maison, tourner son organisation mais entre-t-elle en relation avec celui qu’elle sert ? … Marie a choisi la meilleure part selon le texte. Mais quelle est cette part ? C’est tout d’abord celle de l’attention. Elle écoute la parole de son hôte, nous rappelant qu’avant de servir, il faut connaitre celui qu’on sert. Il faut ajuster son service aux besoins qui sont les siens… La part de Marie est aussi celle de la relation. Marthe s’apprête à couvrir ses hôtes de présents, mais est-elle présente ? Les conditions matérielles de l’accueil prennent le pas sur l’accueil lui-même » (p 209-110).

A partir de là, l’auteure met l’accent sur ‘la dualité intime de l’accueil comme du soin’. « Le philosophe Frédéric Worms remarque que l’on soigne indissociablement quelque chose et quelqu’un » (p 110). Or, ces deux aspects peuvent être dissociés, la part essentielle de la relation étant méconnue. On en vient à comprendre les possibles dérives des institutions. « L’opposition des deux sœurs illustre une tension : la logique de l’institution est en partie contraire à celle de l’attention… Dans l’avalanche des procédures et des protocoles, il est difficile de prêter attention à la singularité des situations. La généralité des rôles ou le respect scrupuleux des règles peuvent nous conduire à ne plus être attentionnés, à nous absenter de ce que nous faisons en exécutant notre fonction de manière mécanique et désengagée » (p 111).

Presque tout le monde connait la parabole du bon Samaritain. Elle est répétée dans les églises, mais, bien au-delà, elle est devenue un texte emblématique pour tous ceux qui accordent priorité au souci de l’autre.

Ainsi, dans son livre : « Une philosophie de l’histoire. Darwin, Bonaparte et le Samaritain », le philosophe Michel Serres voit dans le bon Samaritain la figure d’un monde nouveau, un âge plus doux en voie d’advenir (2). En lui, Michel Serres célèbre la figure du médecin : « Celle qui se penche sur les blessés ; celle qui écoute les plaintes de l’agonie ; celle qui s’incline ; l’attentive qui cherche à comprendre et peut-être guérir… Non, il n’est pas seulement le héros de ce temps, mais sans doute celle et celui de toute l’histoire ».

Emblématique, ce texte s’ouvre à de nombreuses lectures. L’interprétation à laquelle il donne lieu dans le livre de Marie Grand, ‘La géographie de l’amour’, est particulièrement riche et originale. Elle tranche avec ce qu’on entend et lit couramment : une admiration, un appel à la ressemblance du seul samaritain et un regard critique pour ceux qui ont passé leur chemin sans prendre soin. Marie Grand a découvert un tableau de Rembrandt représentant cette scène d’une manière originale et elle peut s’appuyer sur cette peinture pour développer un commentaire particulièrement riche et avisé. C’est une réflexion sur les exigences de l’amour et la manière de les considérer et d’y répondre en évoquant les tensions et les ambiguïtés. Cependant, la grande originalité réside dans la mise en valeur du rôle de l’hôtelier dans son accord avec le bon Samaritain pour poursuivre son œuvre de sauvetage. Marie Grand met là en évidence que l’œuvre de l’amour ne peut se suffire de belles actions individuelles. Elle requiert également une action plus collective et plus continue. D’autant qu’il ne peut s’agir seulement de sauver tel ou tel, mais de venir à l’aide de tous les hommes sans exception. Marie Grand expose ainsi la conviction principale de son livre : « On ne peut donner à l’amour son envergure et sa géographie maximales sans toujours tenir ensemble ces deux voies : celle du bon Samaritain et celle de l’hôtelier, celle de la rencontre interpersonnelle par laquelle nous tâchons de nous faire proches de quiconque et celle du service impersonnel par lequel nous allons à tous » (p 20). Ce livre a ainsi le grand mérite de susciter une prise de conscience que des métiers ordinaires, en répondant aux besoins humains, participent à une œuvre d’amour en les valorisant ainsi à nos yeux.

Jean Hassenforder

 

1- Marie Grand. Une autre histoire du bon samaritain. Cerf, 2024

Interview de Marie Grand sur son livre : « Voyage au pays de l’amour » sur Regards Protestants : https://www.google.fr/search?hl=fr&as_q=Marie+Grand+bon+Samaritain+you+tube+&as_epq=&as_oq=&as_eq=&as_nlo=&as_nhi=&lr=&cr=&as_qdr=all&as_sitesearch=&as_occt=any&as_filetype=&tbs=#fpstate=ive&vld=cid:2ede7e11,vid:0bDdb8Ydk_8,st:0

2- Une philosophie de l’histoire, par Michel Serres : https://vivreetesperer.com/une-philosophie-de-lhistoire-par-michel-serres/

 

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