Colloque 18-20 novembre 2010.

« Les protestants en France. Une famille recomposée. État des lieux et repères », tel est le titre d’un colloque organisé à Paris, du 18 au 20 novembre 2010, par Jean-Paul Willaime et Sébastien Fath du groupe « Sociétés, Religions, Laïcités » avec l’appui de l’Institut Européen en Sciences des Religions, sous le patronage de la Fédération Protestante de France (1). C’est un événement important à plusieurs égards.

 

Un événement important et significatif.

    Tout d’abord, ce colloque va permettre de faire le point sur un aspect majeur de la conjoncture religieuse en France à la fin d’une décennie au cours de laquelle on peut déceler une évolution profonde des mentalités. On attend ici les résultats d’enquêtes Ifop effectuées en 2010 sur les protestants et les pasteurs en France qui seront présentées dans le cadre de ce colloque.

    Cette manifestation intervient au moment où on note également une modification récente dans le paysage institutionnel à travers la création d’un organisme qui se veut fédérateur du courant évangélique : le Conseil National des Evangéliques en France constitué le 15 juin 2010 (2). Le colloque lui-même est placé sous le patronage de la Fédération Protestante de France créée en 1905 et qui, depuis plus d’un siècle, rassemble et assure la représentation du protestantisme français.

    En s’engageant dans la mise en œuvre de ce colloque, la Fédération Protestante de France manifeste son intérêt pour la recherche en sciences sociales et la capacité de celle-ci d’éclairer les enjeux auxquels les églises sont confrontées aujourd’hui. Le groupe  « Sociétés, Religions, Laïcités » qui organise ce colloque à travers deux personnalités scientifiques particulièrement actives dans ce domaine : Jean-Paul Willaime, sociologue éminent des religions et versé depuis des décennies dans l’étude du protestantisme, et Sébastien Fath, pionnier de la recherche sur le courant évangélique, met en évidence l’apport des sciences sociales des religions face à « la forte demande sociale d’informations et d’analyses portant sur les mutations religieuses actuelles, les caractéristiques et évolutions de tel ou tel monde religieux, les questions et polémiques relatives à l’expression des identités religieuses ou les laïcités et les défis qu’elles rencontrent ». On notera particulièrement un désir de rencontre entre chercheurs et acteurs : « Il s’agit toujours pour les membres du G.S.R.L  de situer leur apport proprement scientifique dans des débats où les acteurs eux-mêmes sont demandeurs d’analyses objectivant les situations et les interprétations diverses qu’elles suscitent ». C’est une attitude que nous apprécions particulièrement à Témoins et pour laquelle nous militons. Dans ces conditions, ce colloque devrait pouvoir, non seulement permettre un état des lieux et la mise en évidence de repères, mais aussi ouvrir des perspectives et des horizons. 

Un paysage religieux en profonde transformation.

    Ce colloque intervient dans une conjoncture où le protestantisme est entré dans un véritable renouveau. Comme le notent Jean-Paul Willaime et Sébastien Fath dans la présentation du colloque : « Il est loin le temps où Jean Baubérot s’interrogeait sur la mortalité du protestantisme français (Jean Baubérot. Le protestantisme doit-il mourir ? Seuil, 1988). Erodés par la sécularisation française, mis au défi par une modernité qu’ils avaient eux-mêmes contribué à installer, les protestants semblaient décliner comme peau de chagrin. Deux décennies plus tard, ce sont pourtant 20.000 fidèles des églises de la Réforme qui se sont réjouis à Strasbourg, dans le cadre de la manifestation « Protestants en fête » (2009), confirmant un fait social incontournable : diversifiée et rajeunie, la minorité protestante a fait mieux que se maintenir, sa part dans la population française a même légèrement progressé ».

    De fait, il y a quelques années déjà, en 2006, une enquête réalisée pour le compte de La Croix et Réforme (3) mettait en évidence les transformations en cours. En dix ans, de 1995 à 2006, la population française âgée de 18 ans et plus se déclarant proche du protestantisme était passée de 3 à 4%. Et la composition de cette population était elle-même caractérisée par un changement intense profond : la progression des églises évangéliques et pentecôtistes. Ainsi, apparaissaient des « chrétiens d’un nouveau type », selon l’expression amicale de l’éditorialiste de La Croix, Michel Kubler (4).
    Au début de la décennie, la visibilité nouvelle de ces groupes chrétiens dans l’espace social avait suscité des réactions agressives et discriminatoires de la part de certains médias. Nous avons recherché les causes de ce phénomène pour nous y opposer (5). Les sociologues des religions ont joué un rôle majeur dans la connaissance et ainsi la reconnaissance de ces nouvelles sensibilités chrétiennes. À cet égard, le livre de Sébastien Fath : « Du ghetto au réseau. Le protestantisme évangélique en France 1800-2005 » (6) est une œuvre déterminante.
    Quelques années plus tard, la nouvelle enquête sur le valeurs des européens, effectuée en 2008, a confirmé la transformation des mentalités telles qu’elles avaient été analysées et annoncées dès la fin du XXè siècle par des sociologues comme Danièle Hervieu-Léger et Jean-Paul Willaime, entre autres, le développement de « l’autonomie croyante » (7). C’est aussi la fin de la suprématie catholique. Dans ce nouvel espace, le dynamisme des nouvelles sensibilités chrétiennes apparaît clairement.

    Le colloque permettra d’évaluer la situation et d’apprécier les tendances. « À partir d’un état des lieux liminaire qui fournira une image actualisée de toute la réalité protestante en France (I), on se penchera sur la diversité des identités qui constituent cette famille recomposée (II), pour aborder ensuite les formes d’ancrage de ces églises dans la société française contemporaine (III). Pour parachever ce panorama, on se gardera d’oublier l’impact protestant français à l’échelle internationale (IV). Cette empreint planétaire s’inscrit dans le contexte plus large des recompositions religieuses à l’œuvre dans une « société monde » marquée par la primauté croissante des choix individuels (V).

Quels enjeux ?

    « Comprise entre 3% et 4% de la population française, la sensibilité protestante est une expression religieuse minoritaire. Pourtant, en dépit de la sécularisation croissante de la société, ce type de christianisme maintient et diversifie sa présence ». De fait, les recherches récentes ont montré un potentiel dans un contexte où les formes ecclésiales sont appelées à prendre en compte l’autonomie croyante. Ce potentiel est aussi l’inscription de cette sensibilité dans une tendance mondiale. Nous avons présenté sur ce site le livre novateur de Jacques Lévy : « L’invention du monde. Une géographie de la mondialisation » (8). À partir de la distinction opérée par les sociologues entre deux types de société : « gemeinschaft » et « gesellschaft », Jacques Lévy montre que la deuxième forme : « la société des individus » est en train de l’emporter sur le plan de la configuration mondiale. Or c’est bien cette problématique qui est mise en avant dans l’avant propos de la dernière séance du colloque : « Par sa souplesse et son accent sur le rôle des laïcs, le protestantisme marquerait-il une affinité particulière avec l’affirmation d’une « société monde » (Jacques Lévy) où le choix individuel prime sur la tradition et le réseau sur l’institution ? ». C’est  le beau titre donné par Jean-Paul Willaime en conclusion : « Un christianisme participatif au sein d’une civilisation du choix ».

    Le protestantisme en France se caractérise également par une réalité et une expression plurielle. Il y a là un défi et un atout. La Fédération protestante de France a une expérience de longue date dans la gestion de la pluralité. Aujourd’hui la diversité est particulièrement marquée. La gestion de la pluralité implique nécessairement des questions et des problèmes susceptibles d’être analysés aussi sur le plan sociologique, mais qui ne sont pas ici à l’ordre du jour. La pluralité est également un atout. En analysant la population des « proches du protestantisme », les enquêteurs ont montré qu’elle comportait une frange de catholiques en sympathie avec ce qu’ils percevaient de liberté « dans la manière protestante de vivre la foi chrétienne ». À un moment où l’institution catholique continue à être caractérisée par de fortes contraintes hiérarchiques, l’engagement protestant dans l’œcuménisme porte une espérance auprès de tous ceux qui sont en recherche de pratiques nouvelles.

    Nous avons salué la dynamique qui se manifeste actuellement dans le protestantisme français. Ce colloque la met en évidence et se construit dans sa perspective. Cependant, on peut lui soumettre également un certain nombre de questions.
    S’il y a bien pluralité dans la mouvance protestante (« un kaléidoscope »), sans évoquer la gestion à long terme de cette pluralité, il y a manifestement des problèmes différents selon les églises. Mais, en regard de la montée des aspirations spirituelles, la diversité de l’offre est un atout. Elle permet de rejoindre des milieux socio-culturels différents. Cependant, où s’arrête aujourd’hui cette influence ? Y a-t-il des limites dans l’accueil de la culture protestante telle qu’elle est aujourd’hui ?  Dans quels milieux et pourquoi ?
    Une intervention portera sur la méconnaissance de l’identité protestante par les médias. Ceux-ci sont sans doute encore marqués par la culture religieuse dominante à travers l’histoire. Ils manifestent aussi une difficulté sensible à accueillir la nouvelle diversité socio-culturelle. Mais on peut également s’interroger à l’inverse sur les rapports entre le protestantisme et la nouvelle donne culturelle telle qu’elle apparaît aujourd’hui. Certes, il y a, on le sait, dans certaines de ses composantes, une remarquable capacité à entrer dans les nouveaux modes de communication. (Intervention au colloque: "Du converti au connecté. Une forte présence dans le web"). A l’inverse, sur un autre registre, une affirmation identitaire se manifestant à travers une référence répétée à l’histoire du protestantisme français et aux grandes figures fondatrices, parle peu à nos contemporains.
    Cependant notre question est plus générale. Quel rapport le protestantisme français entretient-il avec la culture post-moderne » ou, selon les termes des sociologues français « ultra-moderne » ? En Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, on est capable de s’interroger sur le déphasage des pratiques institutionnelles par rapport à l’évolution des comportements et sur l’éloignement qui en résulte chez beaucoup de gens, y compris des croyants ? En regard, l’innovation abonde et parvient d’ailleurs jusqu’à nous. Mais ce déphasage porte-t-il  uniquement sur les pratiques d’église ? Ne concerne-t-il pas également les représentations théologiques et les comportements qu’elles ont engendrés ? Les conflits du passé ont généré des excès de part et d’autre. À cet égard, on peut prendre en exemple la question des arts. Dans certains milieux protestants, n’y a-t-il pas eu dans le passé une méfiance vis à vis des arts plastiques ? Cette attitude n’avait-elle pas sa racine dans des représentations théologiques qui, manifestement, sont en complet déphasage avec la culture d’aujourd’hui ? Qu’en reste-t-il dans les inconscients collectifs ?
    Bref, en regard de la mutation culturelle d’aujourd’hui, il y a de nouveaux regards théologiques à développer (9). Ce rappel a simplement pour but d’appeler une réflexion prospective qui s’inscrit aussi dans une dimension transconfessionnelle.

    Au total, après une décennie où le paysage religieux en France a profondément changé, ce colloque est particulièrement bienvenu. Le patronage accordé par la fédération Protestante de France nous paraît exemplaire à travers une prise en compte des sciences sociales. Ainsi, cet événement nous paraît concerner les chrétiens français au delà des différences dénominationnelles.

Jean Hassenforder

(1)    Colloque : Les protestants en France. Une famille recomposée. Etat des lieux et repères. 18-20 novembre 2010. Ce colloque est organisé à Paris par Jean-Paul Willaime et Sébastien Fath, du Groupe Sociétés, Religions, Laïcités ** Voir le site www.gsrl.cnrs.fr **, avec l’appui de l’Institut Européen en Sciences des religions, sous le patronage de la Fédération Protestante de France. Renseignements et inscriptions (avant le 15 octobre 2010) au Service communication / Colloque novembre 2010. Fédération Protestante de France. Tél : 01 44 53 47 12. ** Voir le site  www.protestants.org ** .
(2)    On trouvera une bonne information sur la constitution du Conseil National des évangéliques de France avec un interview du nouveau président, Etienne Lhermenault, animé par Henrik Lindell sur son site ** Voir www.dieu-et-moi.com ** . C’est une occasion pour rappeler le rôle important de ce site animé dans le domaine de l’information religieuse. Il y a aussi une relation d’amitié entre Témoins et l’animateur de ce site : Henrik Lindell.
(3)    Enquête et commentaire parus dans La Croix (jeudi 13 avril 2006 et Réforme (13-19 avril 2006).
(4)    Sur ce site : « Des chrétiens d’un nouveau type » ** Lire l’article **
(5)     Sur ce site : « les rapports entre le politique et le religieux » ** Lire l’article **
(6)    Fath (Sébastien). Du ghetto au réseau. Le protestantisme évangélique en France 1800-2005). Labor et Fides, 2005. Présentation sur ce site ** Lire l’article **. Outre cet ouvrage majeur, Sébastien Fath a écrit de nombreux livres et nous offre un blog riche et diversifié ** Lire l’article ** .
(7)     Sur ce site : « L’émergence d’un nouveau paysage religieux en France. Croire sans appartenir » ** Lire l’article **
(8)    Lévy (Jacques). L’invention d’un monde. Une géographie de la mondialisation. Sciences Po Presse, 2008). Sur ce site : « L’invention du monde » ** Lire l’article ** .
(9)    Depuis plus d’une dizaine d’années, Témoins a développé une recherche sur la pertinence des pratiques d’église par rapport à la mutation culturelle. On pourra suivre cette recherche sur le site de Témoins. Cependant, les interrogations ne portent pas seulement sur les pratiques, mais aussi sur les représentations. Un  théologien américain, Philip Clayton, pose la question dans un livre récent : « Transforming Christian Theology » (Fortress Press, 2010). Dans le contexte nouveau de la société américaine (post-modernité ou modernité tardive) où l’encadrement des églises s’affaiblit de plus en plus, il  constate le manque de pertinence d’une théologie académique fonctionnant en cercle fermé et donc incapable de répondre aux questions actuelles des chrétiens. Et il encourage ceux-ci à construire eux-mêmes leur théologie, car « faire de la théologie, c’est simplement réfléchir à la foi ». Il propose en ce sens aux chrétiens un ensemble de pratiques, comme formuler leur vision du monde et de la vie (« world-and-life view) ou écrire des récits personnels. Dans un nouveau monde, caractérisé par de nouvelles formes de communication, les héritages théologiques, souvent fortement conditionnés par le contexte social et théologique du passé, sont mal adaptés. Philip Clayton appelle une réflexion théologique partagée  et donne des pistes pour la mettre en œuvre. Dans le mouvement de l’Esprit de Vie, de l’Esprit Saint, la nouvelle donne culturelle appelle une transformations des représentations, une réflexion théologique transconfessionnelle.

 

 

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