Un texte bien déroutant de prime abord, qui semble faire quelque part l’éloge d’un filou ! Mais le rôle des textes bibliques n’est-il pas bien souvent de nous faire sortir des « routes » que nous avons l’habitude de parcourir pour nous faire emprunter celles de Dieu qui, dès l’Ancien Testament sont décrites comme étant très différentes des nôtres ?
Notons d’abord que ce gérant n’a pas été renvoyé parce qu’il volait, mais parce qu’il gaspillait les biens de son maître (« dénoncé comme dissipant ses biens ») ; il ne cherche d’ailleurs pas à nier sa faute, mais découvre, après avoir réfléchi, les moyens pratiques de se tirer d’affaire, manifestant ainsi sa capacité d’anticiper, d’inventer, de voir les tenants et les aboutissants ; et quelle solution trouve-t-il ? Se faire des amis avec les différents débiteurs de son maître en allégeant leurs dettes.
La réaction du maître est alors bien curieuse : loin de condamner un intendant qui « objectivement » continue à dissiper ses biens, il le loue pour son » habileté »relationnelle ; quel est donc ce maître si généreux, qui relativise à ce point l’argent ? Pourrait-on dire que l’intendant ne fait qu’imiter son maître quand il fait passer le bien matériel après le bien relationnel ? Quand il pratique la remise de peine, une approche qui ne fait pas partie normalement de la culture du gestionnaire ? Et qui contraste de façon frappante avec la réaction du mauvais serviteur, dans une autre parabole, à qui le maître a pardonné et qui va pourtant réclamer son dû à ses débiteurs (Matthieu, 18,23-35).
L’argent est souvent cité par Jésus, et aussi dans l’Ancien Testament qui met en scène des serviteurs de Dieu fort riches : Abraham, David, Salomon, Job ; mais il est signalé ici comme un sujet de chute (« l’argent trompeur »), dans la mesure où l’on peut être tenté d’être son serviteur, en devenant auto-suffisant, indifférent à la misère du monde.
Se « faire des amis avec les richesses injustes », n’est-ce pas plutôt faire valoir l’argent qui nous a été confié par Dieu pour libérer les endettés insolvables, pour redonner une chance aux miséreux, pour soutenir des missionnaires ou du micro-crédit humanitaire ? aller jusqu’à distribuer un héritage pour créer des bourses d’étude en Afrique, Asie… Comme l’intendant de la parabole, ne craignons pas de puiser dans les réserves du Seigneur sans crainte de le ruiner, quand nous honorons sa générosité, recevant comme lui le message du père dans la parabole du fils retrouvé qui se situe juste avant notre texte : « ce qui est à moi est à toi ».
Il s’agit pourtant de bien gérer cette aide, de ne pas agir de façon désordonnée, mais « prudemment » (verset 8) ; les qualités humaines mises en œuvre sont d’autant plus importantes qu’elles peuvent être canalisées, utilisées par Dieu dans le domaine spirituel ; Jésus, à travers le maître de la parabole, n’hésite pas à donner l’avantage aux « enfants de ce siècle » (les non-convertis ) sur les « enfants de lumière » dans le domaine de l’habileté relationnelle ; les chrétiens reçoivent, comme les autres, des dons et des capacités : qu’en font-ils pour servir Dieu ?
Les versets 11-13 nous rappellent pourtant que cette parabole ne justifie pas pour autant une gestion frauduleuse des affaires ! Dans la langue de l’Ancien Testament, le mot « habileté » est employé pour tout savoir-faire, honnête ou non ; et il est évident que Jésus loue ici l’habileté, et non la tromperie ! Comme le dit très nettement le texte, c’est en proportion de notre fidélité dans les « richesses injustes » que l’on pourra nous confier les « richesses véritables », les richesses spirituelles.
Le bien relationnel et le bien spirituel se relient dès le verset 9, qui marque le passage de la parabole aux sentences sur l’argent : ces amis acquis grâce aux richesses injustes qui nous accueillent dans les tabernacles éternels peuvent en fait désigner Dieu, qui nous donnera « ce qui est à nous » – verset 12 – (le bien du royaume) si nous avons été fidèles dans ce qui est à autrui.
Alain Bourgade
Sur la base des notes prises par Gisèle McAfee