Si ce texte a tellement marqué la tradition chrétienne, c’est peut-être parce qu’il montre de façon concrète, sur un exemple précis, quelque chose d’essentiel dans la Bonne Nouvelle de l’Evangile : la différence entre l’esprit et la lettre de la loi divine ( ce qui pourrait s’appliquer d’ailleurs aussi aux lois humaines) ; ou, pour le dire autrement : la Grâce – et le pardon qu’elle implique – est là, non pour abolir la loi, mais pour l’accomplir pleinement (Matthieu 5, 17).
C’est après avoir été rempli de la présence de son Père, lors de la prière qu’il lui a adressée au mont des oliviers (verset 1), que Jésus se rend, dès le matin, au Temple pour enseigner ; tout le peuple vient encore pour l’écouter, ce qui provoque inévitablement la jalousie des scribes et des pharisiens, qui cherchent encore à le « piéger » en lui proposant un cas de conscience redoutable : quelle que soit sa réponse, Jésus semble condamné à passer, soit pour quelqu’un d’incohérent, en contradiction avec son message de miséricorde, soit pour un transgresseur de la loi de Moïse ! (verset 5)
Mais, nourri par sa relation intime avec son Père, Jésus a la sagesse de ne pas répondre tout de suite ; évitant la confrontation frontale avec ses adversaires, il se baisse pour mieux rentrer en lui-même, tout en traçant des signes mystérieux sur le sol avec son doigt : comportement qui a fait couler beaucoup d’encre ! Le texte grec d’origine semble évoquer plutôt un dénombrement qu’une véritable écriture : allusion au dénombrement de nos péchés évoqué dans Job 13, 26 ? ou à la condamnation de ceux qui s’écartent de Dieu dans Jérémie 17, 13 ? (« ceux qui s’écartent de moi sont inscrits dans la terre » – c’est-à dire dans le séjour des morts)
Quoiqu’il en soit, Jésus se redresse ensuite ; ce changement d’attitude corporelle a un sens, comme il en possède un dans nos lieux de culte, où le passage de la position assise à la position debout, ou à genoux, exprime telle ou telle « posture » spirituelle ; en se mettant debout à ce moment, Jésus manifeste qu’il va maintenant témoigner de ce qu’il a reçu dans ce moment de recueillement. Les scribes et les pharisiens se souciaient peu de la vérité, en fait, en amenant cette femme, simple alibi d’accusation sans valeur à leurs yeux, qu’ils traitent d’ailleurs comme un paquet ! (le verset 4 dit qu’ils la « placent » au milieu du peuple) Mais Jésus ne les condamne pas plus qu’il ne condamne la pécheresse ; sachant que la vérité leur fera autant de bien qu’à elle, il veut les amener à rentrer à leur tour en eux-mêmes, et les conduire par un cheminement à la conscience du péché, à s’examiner avant de condamner.
A la question qu’on lui pose : « toi donc, que dis-tu ? » Jésus répond, comme d’habitude, « à côté » ; contrairement à ce qu’on attendait de lui, il n’acquiesce pas à la proposition (lapider la femme), il ne la repousse pas non plus, il déplace le problème, en montrant que la vraie réponse est en rapport avec la vraie nature de la loi, que ses adversaires tronquent d’ailleurs ! L’Ecriture dit que l’homme et la femme adultère seront punis de mort ! (Deutéronome, 22, 22) Où est le coupable dans cette histoire ?
Jésus n’est pas venu pour nous accuser et nous punir, mais pour nous sauver : comme la femme, les pharisiens sont au bénéfice de la grâce, du pardon, qui n’abolit pas la loi, mais l’accomplit dans sa réalité profonde ; mais pour accueillir cette vérité, il faut d’abord se reconnaître pécheurs ; c’est ce qu’ils font à la lumière de la réponse de Jésus (verset 9), en commençant par les plus âgés, plus avertis de leurs fautes ! Leur conscience « éclairée » leur permet alors de remettre en question la loi, ou plutôt une conception littérale de la loi.
Après avoir parlé, Jésus s’est de nouveau baissé ; il reste ainsi tout au long du départ échelonné des accusateurs : discrétion, désir de laisser librement à chacun la possibilité de se regarder à l’intérieur, sans se sentir jugé par un regard ? Quand il se relève, tous sont partis, il reste seul avec la femme.
Jésus, constatant cette situation, n’exige aucune demande de pardon ; à cette femme qui l’appelle « seigneur » et non pas « maître » comme les pharisiens, le reconnaissant ainsi comme le Seigneur de sa vie, il accorde le pardon inconditionnel : c’est uniquement parce qu’elle a reçu ce pardon qu’elle aura désormais la liberté (« va » verset11) de ne plus pécher, manifestant ainsi l’accomplissement de la loi divine.
Alain Bourgade
Sur la base des notes prises par Gisèle McAfee