Le contenu du texte qui suit émane d’un petit groupe de 8 personnes, qui s’est réuni pour partager un texte biblique particulier (ici, il s’agissait du début de l’entretien entre Jésus et Nicodème) ; les participants, qui n’avaient pas de formation théologique approfondie, et qui provenaient de dénominations, mais aussi de cultures différentes, étaient désireux de travailler la Parole ensemble dans l’écoute et le respect de la sensibilité de chacun pour aboutir à des échanges à la fois fraternels et productifs de sens.
Les Pharisiens sont souvent la cible des critiques de Jésus dans les évangiles ; c’est pourtant l’un d’entre eux, Nicodème, qui vient, (de nuit , il est vrai, mais les autorités juives de l’époque inspirent une grande crainte) protester de sa foi auprès du maître : « nous savons que tu es un docteur venu de Dieu, car personne ne peut faire ces miracles que tu fais, si Dieu n’est pas avec lui. »
Mais la réaction de Jésus ne correspond peut-être pas à ses attentes, s’il souhaitait être fortifié par une réponse encourageante : « si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu. »
La foi, qui permettrait de « savoir »que Jésus est bien envoyé par Dieu, en se fondant sur des signes « manifestes » ne suffirait donc pas ? c’est déjà ce que semble bien penser Jésus dans le passage précédent (Jean 2, 23-25), où il est précisé que beaucoup crurent en lui lors de la fête de la Pâque, en voyant ses nombreux miracles, mais que Jésus « ne se fiait pas à eux….parce qu’il savait lui-même ce qui était dans l’homme. »
Dans l’évangile de Jean, le royaume de Dieu, c’est une nouvelle façon de vivre, profondément différente de l’ancienne, qu’on ne peut recevoir que par grâce ; et ce qui « est dans l’homme » naturel (l’homme « né de la chair** »), dans l’homme qui n’a pas encore pu accepter cette grâce, semble donc être le besoin de contrôler la relation avec Dieu, de s’appuyer sur du « solide » ; besoin lié à la peur de s’abandonner à l’imprévu de Dieu, dans le cadre d’une relation et d’une écoute confiante, d’une relation personnelle, où Dieu n’apparaît plus comme un être lointain, mais comme un ami dont on entend régulièrement la voix (cf. un autre passage de Jean : « les brebis le suivent, parce qu’elles connaissent sa voix ») ; un ami qui peut vous soutenir dans les moments les plus difficiles, et même faire des épreuves les plus dures (la disparition d’un être cher) l’occasion d’une évolution spirituelle, selon la parole : « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu. »
Pour rendre compte d’une nouveauté de vie aussi radicale, Jésus utilise l’image saisissante de la « nouvelle naissance »provoquant l’ahurissement de Nicodème qui, dans son incompréhension manifeste, se résigne à une interprétation « au premier degré » (qui ne doit pas le convaincre lui-même ! mais qui est pour l’évangéliste Jean l’occasion de montrer une fois de plus avec humour le cheminement auquel les auditeurs de Jésus sont confrontés) : « comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître ? »
Mais Jésus insiste, et amène quelques précisions dont certaines, pour Nicodème comme pour nous, ne sont pas obligatoirement plus éclairantes, au moins dans un premier temps : « si un homme ne naît d’eau et d’Esprit , il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. »
L’image de l’eau est très riche : elle évoque bien sûr le baptême, la purification nécessaire avant le développement spirituel et la sanctification (on peut penser au baptême de repentance de Jean Baptiste, qui « aplanit les sentiers » avant la venue du Messie) ; elle évoque pour les anciens Hébreux les eaux primordiales, les forces obscures liées à la mort que le créateur a domptées, que Jésus dompte de nouveau quand il trône sur sa barque en enseignant la foule restée sur la rive, quand, réveillé par ses disciples au milieu de la tempête, il donne des ordres aux éléments déchaînés ; le baptême n’est-il pas d’ailleurs décrit par les premiers chrétiens comme une mort avec Christ, mort à sa vieille nature au travers de ces eaux dont on émerge comme par une naissance ? mais l’eau, c’est en même temps la vie, l’eau courante, l’eau où l’on baptise justement à l’époque de Jésus ! c’est le torrent sortant du temple qui fait croître toutes sortes d’arbres dont les fruits nourrissent, et dont les feuilles guérissent (Ezéchiel, 47, 12), arbres qui évoquent l’arbre de vie de l’apocalypse, dont les feuilles guérissent aussi ; c’est, dans l’évangile de Jean, « l’eau vive »dont Jésus parle à la Samaritaine, ce sont les « fleuves de vie », toujours dans Jean, qui couleront de ceux qui recevront l’Esprit, cet Esprit que Jésus invite Nicodème à recevoir d’une façon surprenante.
Alors que veut dire l’expression : « naître par l’Esprit ? » (avec un e majuscule) et comment distinguer l’Esprit de l’esprit que Dieu a installé en nous, esprit lié de façon intime à nos facultés psychiques ?
L’image de l’Esprit, au verset 8, c’est le vent, dont le mouvement rappelle celui de l’eau vive ; ce vent « souffle où il veut », et si on en entend le bruit, on ne sait « ni d’où il vient, ni où il va », ce qui ne contribue pas à nous faire mieux comprendre son origine et sa nature ; mais quelques images, prises dans le texte biblique, mais aussi dans notre vie quotidienne peuvent nous aider à avoir, mieux qu’une compréhension intellectuelle, une intuition de ce qu’il peut être :
Jésus est le cep, et nous sommes les sarments (Jean, 15) : l’image de la sève nourrissante, qui part du cep et vient dans le sarment pour lui permettre de produire du fruit nous est donnée par la Parole : l’Esprit donné par Jésus vient nous remplir, attestant une unité « organique » entre l’Esprit de Dieu et notre esprit.
Les images de la lumière, de la lampe allumée, présentes aussi dans la Parole, répondent à notre expérience quotidienne : notre esprit est comme une ampoule qui s’éclaire quand le courant passe entre l’Esprit de Dieu et nous ; attention à ne pas actionner l’interrupteur !
Naître par l’Esprit, naître de nouveau : deux expressions qui se rejoignent, donc (l’expression grecque d’origine pour « naître de nouveau » signifie d’ailleurs aussi : naître d’en haut) et relèvent du même mystère : l’homme né de l’esprit vit de la grâce de Dieu. Les voyages qui, en nous confrontant à d’autres cultures, peuvent nous aider à nous découvrir nous-mêmes nous donnent une idée de cette grâce qui nous mène, elle, dans un voyage intérieur vers notre véritable identité, mais là où nous ne « savons » pas ; ce qui nous ramène à Nicodème, disciple très débutant de Jésus, « cramponné » à son besoin de certitudes rationnelles, ployant encore sous le fardeau de la peur, mais ouvert, curieux, prometteur à long terme….Nicodème, est-ce nous ?
Notes.
(*) qui s’est déroulé le samedi 20 juin à Bourg-la-Reine dans le cadre des activités de l’association Témoins
(**) mot qui ne désigne pas ici le péché, mais la nature humaine avec ses limites.
Alain Bourgade