Ce compte-rendu peut donner une idée de la richesse des échanges qui ont eu lieu dans notre petit groupe de 7 personnes, réunies dans le cadre des activités de l’association Témoins, pour recevoir ensemble ce texte en toute spontanéité, dans un désir de découverte et d’ouverture à d’autres sensibilités, sans obligation de consensus sur chaque point.
Cette parabole a été en effet une « porte ouverte » à beaucoup de réflexions, de témoignages, et de questions qui n’ont pas nécessairement reçu toutes une réponse ; mais le rôle principal de la parole biblique n’est-il pas de nous mettre en recherche ?
Ce passage de l’évangile de Jean se situe dans un contexte très conflictuel entre Jésus et les autorités juives qui ne reconnaissent pas son identité messianique ; et les « voleurs « et les « brigands » cités dans le verset 1 peuvent les évoquer, en particulier les pharisiens qui par leur attachement à la lettre de la loi, ne peuvent rentrer spirituellement dans son message et qui risquent, du fait de l’autorité dont ils disposent, d’égarer les croyants loin de la seule voie, du seul chemin, Jésus, qui est donc à la fois le bon berger, le seul dont l’autorité soit bienfaisante, et la porte qui permet d’accéder au salut.
Mais cette « porte »ouverte vers cet autre passage si connu de l’évangile de Jean (Jean 14, 6 : « je suis le chemin, la vérité et la vie . Nul ne vient au Père que par moi ») amène une question : est-il absolument nécessaire d’être chrétien, de connaître cet enseignement de Jésus pour avoir une relation réelle avec Dieu ? (relation qui semble exister aussi chez certaines personnes appartenant à d’autres religions) ; l’affirmation de Jésus peut nous paraître bien péremptoire ! Ne voudrait-elle pas dire en fait que Jésus agit en toute personne qui, sans partager cette foi chrétienne manifeste dans sa vie une nature en harmonie avec son enseignement ? ou peut-on penser, sans aller jusqu’à cette interprétation, que si une relation réelle avec Dieu est possible en dehors de la foi chrétienne, seule la porte qu’est Jésus, le fils de Dieu, peut ouvrir sur une relation intime avec Dieu, reçu en tant que père, et non plus en tant que maître ?
A ce stade de l’échange, un nouvel élément est venu enrichir la problématique : Jésus est aussi la Parole incarnée, la Parole faite chair, cette Parole (symbolisée par les « pâturages »dont il est question au verset 9) qui est la nourriture principale de notre vie spirituelle, qui « nourrit »par exemple notre échange aujourd’hui ; lorsque l’on a été touché par l’amour de Dieu, on trouve en elle un véritable cadre de vie où l’on est à la fois guidé et protégé ; faisant partie des brebis de son troupeau, nous allons donc pouvoir « avoir la vie en abondance » et trouver en même temps la vraie liberté, évoquée au verset 9 par l’expression « entrer et sortir », qui implique à la fois l’échange et la possibilité d’être dans une dynamique, de ne pas être figé.
Le verset 4 nous dit que Jésus « fait sortir toutes ses propres brebis », les brebis qui « connaissent sa voix » ; et cela soulève une autre question : certains sont-ils prédisposés d’avance à suivre Jésus ? (comme semble l’évoquer un autre passage de l’évangile de Jean, la prière que Jésus adresse à son Père avant son arrestation : « j’ai fait connaître ton nom aux hommes que tu m’as donnés du milieu du monde. Ils étaient à toi, et tu me les as donnés ; et ils ont gardé ta parole »- Jean, 17,6) ; on pense à la prédestination, à un choix que Dieu le Père aurait fait par avance, et au problème que cela pose par rapport à la liberté de l’homme : un débat ancien !
Les brebis qui « connaissent la voix » de Jésus ne seraient-elles pas plutôt les personnes qui, en entrant en contact avec lui se sentent « en affinité « avec sa personne, son attitude, sa façon de s’exprimer (peut-être parce que, par nature, elles sont déjà, comme il est dit dans la parabole du semeur, de la « bonne terre » prête à être ensemencée, de la terre déjà débarrassée des cailloux, des épines, de tout ce qui peut entraver la germination) ; de la même façon, nous-mêmes, en entendant la voix de quelqu’un, nous pouvons nous sentir mystérieusement en communion avec lui, au-delà même du sens porté par les paroles qu’il prononce ; tant la tonalité de la voix véhicule en elle-même tant d’éléments qui peuvent nous « parler » sans que nous puissions exactement dire en quoi. Ceux qui vivent une relation personnelle avec Jésus depuis leur conversion ne reçoivent-ils pas telle circonstance de leur vie, telle idée venue dans leur esprit, ou telle parole prononcée par un frère ou une sœur en Christ comme une Parole non écrite dont l’authenticité est attestée précisément par la « tonalité »de cette petite voix mystérieuse qui s’adresse alors à nous personnellement.
Les brebis, dans le texte, ne sortent en effet de l’enclos que parce que Jésus les « appelle par leur nom », ce qui implique de sa part une connaissance intime de chacune d’entre elles : le nom est dans les textes bibliques l’expression de la personnalité profonde. Dans Jean, 20,16, après la résurrection de Jésus, ce n’est que lorsque Jésus appelle Marie par son nom qu’elle le reconnaît à son tour et l’appelle « rabbouni », maître.
La parabole (ce texte sur le bon berger en est un des nombreux exemples),approche « pédagogique » si souvent utilisée par Jésus, illustre bien la différence entre une approche « scientifique », rationnelle de la foi, qui a d’ailleurs sa valeur, mais aussi ses limites, et l’approche intuitive, par révélation, où la compréhension passe par des images symboliques, et non pas par le sens littéral, trop pauvre pour exprimer pleinement les réalités spirituelles ; quand Jésus dit cette parabole à ses disciples, « ils ne comprirent pas de quoi il leur parlait », pas plus que les pharisiens, prisonniers de la lettre de la loi, et scandalisés par un langage spirituel de Jésus qu’ils reçoivent comme fou ou blasphématoire
La « connaissance » biblique, profonde, doit donc être distinguée d’une compréhension purement intellectuelle, qui ne transforme pas la personne ; ce qui ne nous dispense pas de l’exercice de la vigilance par rapport à une subjectivité excessive : la confrontation avec le ressenti d’autres croyants peut être un utile garde-fou contre les « dérapages » émotionnels ou faussement mystiques, ce qui ne remet pas en cause la réelle spiritualité.
Elle peut permettre aussi, et c’est l’un des buts de ce petit groupe, d’approfondir et d’affiner notre propre vie spirituelle en laissant le Seigneur nous parler, et parfois nous surprendre, à travers les propos de nos frères et sœurs.
Alain Bourgade