La foi et la peur : couple antinomique ? L’expression « faire un pas de foi » montre bien, pourtant, que mettre sa foi en action implique souvent un combat, qui n’est pas toujours contre le doute, mais contre notre sentiment de culpabilité : sommes-nous vraiment dignes d’être exaucés ?
La femme dont il est question dans ce texte est donc atteinte d’une perte de sang constante depuis longtemps (12 ans) ; à vue humaine, son cas est désespéré, aucun médecin n’ayant pu la guérir ; circonstance aggravante, la maladie qui la frappe se double, d’après la Loi de l’Ancien Testament, d’une impureté qui s’étend à toute personne avec qui elle entrerait en contact ; elle est donc non seulement malade, mais exclue de la société.
Jésus, qui vient de traverser le lac de Tibériade, est précédé par sa réputation : une foule immense l’attend, et se presse tout de suite autour de lui ; la femme a entendu parler de lui comme tout le monde (verset 27), et reprend espoir.
Mais la démarche de foi qu’elle envisage est particulièrement difficile dans son cas : que vont penser les autres, si elle prend le risque de rendre impur le maître ? Elle perçoit sans doute au fond d’elle-même qu’il est au-dessus de toute contamination ; elle ose venir à lui, mais par derrière, et se contente de toucher son vêtement : signe d’une foi un peu magique ? Et qui n’ose pas dire son nom ?
Mais la foi n’implique pas obligatoirement l’absence de peur ; au contraire, mettre sa foi à l’épreuve, faire un « pas de foi », s’exprime souvent par le courage de surmonter sa peur au nom d’une conviction intime ; et c’est ce que fait cette femme en s’appuyant sur la conviction que « si elle peut seulement toucher les vêtements de Jésus, elle sera sauvée » (verset 28).
De fait, c’est une foi qui opère : la perte de sang s’arrête, et Jésus sent « qu’une force est sortie de lui » (verset 30), sans être totalement conscient de tout ce qui s’est passé, puisqu’il demande : « qui m’a touché ? » : mystère de l’incarnation ; comme les apôtres après lui, et comme tout homme « né de l’esprit » (Jean 3, 6-7), Jésus a en lui une force qui ne vient pas de lui ; une force qui, par exemple, donnera plus tard à Pierre le courage de s’adresser à la foule à la Pentecôte et d’affronter ensuite le Sanhédrin.
En entendant la demande de Jésus, la femme est toute tremblante (verset 33). Que va-t-il se passer si la vérité éclate ? La peur est là encore ! Mais la réaction de Jésus chasse en elle toute inquiétude : faisant fi du problème de l’impureté, il reconnaît pleinement sa foi ; une foi qui « l’a sauvée » (verset 34) : mot qui dans le texte d’origine, peut se traduire aussi bien par « sauver » que par « guérir » : pas de frontière, pour jésus, entre la guérison physique et la guérison spirituelle, comme le montre déjà sa déclaration au paralytique quelques chapitres avant dans Marc (2) : « mon enfant, tes péchés te sont pardonnés ».
Grâce à ce combat de la foi, la guérison est donc pleinement acquise ; la femme n’est pas seulement guérie de sa maladie ; retrouvant à la fois sa dignité et sa place dans la société, elle peut maintenant « aller en paix » (verset 34).
Alain Bourgade
Sur la base des notes prises par Gisèle McAfee