Précarité / Permanence
Beaucoup d’Eglises émergentes voient le jour depuis une dizaine d’années. Certaines se développent, quelques-unes se transforment, d’autres meurent. Dans cette dynamique d’expérimentation, les acteurs de projets ecclésiaux émergents trouvent souvent normal les aléas qui peuvent advenir, les réussites comme les échecs. Il y a comme une précarité assumée. Selon eux, la vie des Eglises ressemble à la vie tout court : il y a des naissances, des croissances, des maturités, des handicaps, des morts, des renaissances, etc. Ceci étant, n’y a-t-il pas là une tension entre la précarité de l’Eglise et l’importance d’une certaine permanence ? L’Eglise n’a-t-elle pas ce rôle de continuation et de transmission ? N’est-elle pas censée être une forteresse et un point de repère sûr et solide dans ce monde où tout varie ? Une question qui se pose est de savoir si cette permanence ecclésiale est appelée à se manifester au travers de l’Eglise universelle et/ou aussi en partie au travers des Eglises locales. L’émergence de projets ecclésiaux nouveaux peut redynamiser une Eglise à un niveau plus large, mais peut donner une impression d’inconstance liée à une forme de zapping ecclésial en fonction des idées et des convictions des uns et des autres.
Cependant, assumer une certaine précarité de l’Eglise, n’est-ce pas aussi renforcer l’affirmation confiante que les humains, aussi spirituels et convaincus soient-ils, ne sont pas ceux qui dirigent l’Eglise, mais c’est Dieu qui la dirige. Accepter une certaine décentration du leadership humain contribue à l’acte de foi qui affirme et vit l’Eglise comme la famille dont Dieu a la charge, dont la tête est Christ et dont les acteurs humains agissent poussés par l’Esprit.
Un autre aspect de cette tension entre précarité et permanence est lié à la question de l’innovation. On peut définir l’innovation comme un changement introduit délibérément en vue de répondre à la prise de conscience d’un besoin et dans le but de susciter une amélioration. La mise en œuvre de l’innovation en contexte ecclésial n’est pas chose aisée et suscite de nombreuses questions. L’innovation touche-t-elle les formes de la vie de l’Eglise ou ses fondements ? D’où part l’innovation, de la base ou de la hiérarchie ? L’innovation se fait-elle (ou doit-elle se faire) à l’intérieur des structures ecclésiastiques ou en dehors de celles-ci ? L’innovation est-elle le fruit d’initiatives personnelles ou de projets collectifs et communautaires ? Les micro-changements sont-ils plus adaptés que les changements radicaux ou inversement ? Qui sont les personnes les mieux à même d’initier et d’accompagner l’innovation ? Avec humour, Alan Nelson et Gene Appel se proposent d’aider ceux qui le souhaitent, à changer leur Eglise sans la tuer[29] ! Car en effet, la tâche est souvent ardue. D’autres sont plus radicaux, et considèrent qu’ « il est plus facile d’avoir des enfants que de ressusciter des morts » [30] ! En d’autres termes, l’implantation de nouvelles Eglises sera plus efficace pour permettre à nos contemporains de rencontrer Dieu, que de dépenser de l’énergie à réformer les Eglises traditionnelles. Il est en tous cas évident que si l’innovation dans l’Eglise est un sujet sensible et un défi[31], celui-ci ne peut être esquivé. C’est du reste une réalité biblique que Jésus aborde par exemple dans les deux paraboles sur le vieux et le neuf[32]. Toute la question est de savoir quand changer, quoi changer, jusqu’où changer.