Orthodoxie / Orthopraxie
Une autre tension découle de la conversation et des pratiques des Eglises émergentes : celle qui met en miroir l’orthodoxie et l’orthopraxie. Dans le contexte enclin au pragmatisme qui caractérise notre époque, il ne suffit plus d’être convaincu d’une vérité d’un point de vue rationnel pour y adhérer, mais il faut y adjoindre du désir, une expérience, un vécu, des raisons d’utilité. La question que les contemporains se posent n’est plus seulement « Est-ce que c’est vrai ? », mais en même temps « Est-ce que ça marche ? ». Cela trouve un écho dans beaucoup d’Eglises émergentes qui cherchent non seulement à proposer des croyances justes, mais aussi des pratiques justes. Il est bien sûr envisageable et idéal d’allier croyances justes et pratiques justes, mais ce qui peut générer une tension entre ces deux approches est la question de savoir ce qui devient le moteur ecclésial. Au cours de l’histoire de l’Eglise, il a souvent été mis l’accent sur l’importance des affirmations doctrinales. L’époque de la modernité, avec la rationalité qui l’a caractérisée, a probablement offert une apogée à cette priorité à l’orthodoxie. Les Eglises émergentes, à l’ère postmoderne d’aujourd’hui et peut-être en réaction, tendent à relativiser la place centrale de convictions doctrinales affirmées et figées au bénéfice d’une foi vécue comme un cheminement et dans une vision holistique ; les pratiques justes, l’orthopraxie, pouvant prendre le pas sur l’orthodoxie, appelée à être « généreuse » [7]! La tension se focalise finalement autour d’une possible prééminence entre orthodoxie et orthopraxie[8].
Hal Knight, en mettant en miroir les Eglises émergentes avec la pensée de John Wesley[9], apporte à cette tension entre orthodoxie et orthopraxie une réflexion intéressante. « En langage théologique, [les Eglises émergentes] disent que l’orthodoxie ne suffit pas ; l’orthopraxie est également nécessaire. Elles ont bien sûr raison. Mais il existe un troisième terme que les Wesleyiens ont ajouté aux deux autres et qui est tout aussi important : l’orthopathie. Il signifie : avoir un cœur juste » [10]. Ainsi, pour Hal Knight, nous n’avons pas seulement besoin de croyances et de pratiques justes, mais aussi d’un cœur juste, ou dit autrement, d’intentions justes. En tant que chrétien, nous n’avons pas seulement à penser et à agir fidèlement, nous sommes invités à être fidèles ! Hal Knight souligne que le but n’est pas simplement d’ajouter un troisième terme à la liste, mais de mettre en évidence l’interrelation organique des trois. Orthodoxie, orthopraxie et orthopathie produisent chacune un impact positif sur les autres, permettant de vivre une spiritualité holistique si elles sont mises en œuvre. « Wesley était conscient des dangers de considérer ces termes séparément les uns des autres. L’orthodoxie seule peut être une “orthodoxie morte” ; l’orthopraxie seule peut être un “formalisme mort” ; l’orthopathie seule peut mener à un “enthousiasme” qui peut mener à une confusion entre le fait d’être chrétiens et le fait de vivre des expériences religieuses. Mais prises ensemble ces notions sont plus que la somme de leurs parties » [11].