« Devine qui vient dîner ce soir ? » (1)
Nés en Angleterre où ils ont rencontré un immense succès, puis se répandant avec un surprenant dynamisme dans le monde entier, les cours Alpha sont entrés en France à la fin des années 90.
« Le parcours Alpha est constitué de dix rencontres hebdomadaires et d’un week-end. Chaque rencontre débute par un repas léger et convivial, suivi d’un bref exposé sur un point central de la foi chrétienne et ensuite d’une discussion, où chacun est libre de partager ses questions ou ses doutes dans une atmosphère de confiance et d’amitié. La nouveauté réside aussi dans la manière décalée et résolument moderne de présenter les bases de la foi : joyeuse, décomplexée, à l’écoute des questions d’aujourd’hui » (Couverture du livre).
Quelques chiffres donnent une ampleur du phénomène : « Depuis une quinzaine d’années, 30000 communautés chrétiennes, dans plus de 150 pays, se sont engagés dans cette entreprise. En France, depuis 1999, plus de 500 paroisses et communautés, catholiques, évangéliques et réformées ont adopté le parcours Alpha » (couverture). Nous sommes ainsi en présence d’une des innovations les plus significatives de notre époque que Témoins a suivi dès les premières années de son développement en Grande-Bretagne. Ce phénomène spirituel, comme en témoignent des témoignages en grand nombre qui nous rapportent conversions, libérations, guérisons, s’inscrit en même temps dans la vie quotidienne, en harmonie avec la culture de notre époque.
Ainsi en 2001, nous pouvions écrire dans le magazine Témoins (2) : « La réussite du processus Alpha montre que, dans certaines conditions, l’annonce de l’Evangile peut répondre au potentiel des aspirations spirituelles et entraîner une forte réponse. Ce processus se développe dans une culture nouvelle. D’une certaine façon, cette culture nouvelle, pourquoi ne pas la nommer la culture Alpha ? Elle ne porte pas seulement l’évangélisation. Elle interpelle aussi les Eglises en les incitant au changement ».
« Devine qui vient dîner de soir ? »
Un livre, tout récemment publié : « Devine qui vient dîner ce soir ? Découvrir Jésus-Christ avec le parcours Alpha » (1) nous rapporte la dynamique de l’expérience Alpha en France, comment, à travers une initiative à tous les égards bien conduite, elle est devenue une réalité familière dans notre pays. En effet, son auteur : Marc de Leyritz, est aussi celui qui, avec son épouse Florence, a joué et joue un rôle majeur dans l’introduction, puis dans la promotion des cours Alpha en France.
Son livre est un témoignage à la fois sur l’œuvre de l’Esprit et sur la manière dont cette nouvelle culture est parvenue à se frayer un chemin dans les différents milieux chrétiens de notre pays, et tout particulièrement dans l’Eglise catholique où s’enracine l’auteur. Ce livre est ainsi une expérience de première main sur le développement et la vie des cours Alpha en France. Et, en même temps, l’auteur, à travers les observations recueillies dans ce parcours et la culture professionnelle et internationale dont il est porteur, développe des réflexions intéressantes.
Quelles sont les grandes étapes de ce livre ? Dans un second temps, nous nous interrogerons sur les questions ouvertes par ce livre, et en conclusion, sur les relations entre la culture Alpha et les Eglises.
ALPHA EN FRANCE .
Présentons d’abord quelques points centraux du livre.
Le point de départ.
Quel est le point de départ de cette aventure ? C’est l’Eglise anglicane : Holy Trinity Brompton à Londres. « Alpha, dans sa forme primitive, est né dans cette paroisse, il y a près de trente ans… l’assemblée vieillissante se réduisait à quelques dizaines de personnes le dimanche… C’est alors que le pasteur, Sandy Millar, a compris l’urgence du changement… ». Il s’est rendu compte que les belles célébrations – et celles-là s’appuyaient sur une remarquable chorale professionnelle – étaient maintenant complètement déphasées par rapport aux aspirations des jeunes générations. L’assemblée a accepté un changement d’orientation. « Ils ont alors recherché des moyens concrets pour rendre la foi chrétienne accessible au plus grand nombre. C’est alors qu’ils commencèrent à organiser des repas. Ils ont appelé ces petites soirées informelles « Alpha » pour bien marquer que ce n‘était là qu’une toute première étape d’un parcours dans le domaine de la foi » (p.41-42). Après quelques années, un des jeunes pasteurs de la paroisse, Nicky Grumble, est devenu responsable de ce parcours. De 5 à 6, les soirées sont passées à 10 avec un week-end d’amitié et d’enseignement à mi-parcours, de plus en plus orienté vers les non chrétiens et les gens en recherche. Ainsi, entre 1980 et 1992, Holy Trinity Brompton a ainsi proposé trois sessions par an. Et puis, à partir de là, la paroisse est entrée dans une dynamique de croissance toute nouvelle. Un second service a été institué le dimanche, de style plus moderne pour répondre aux besoins des jeunes qui venaient de plus en plus nombreux à travers les cours Alpha. La croissance s’est accélérée : aujourd’hui, il y a, chaque dimanche, 5 services rassemblant au total plus de 5000 personnes (3).
À partir de 1992, l’innovation Alpha s’est propagée à travers la Grande-Bretagne. Les différentes dénominations, et notamment l’Eglise catholique, se sont engagées dans ce mouvement. En 1996, 500 paroisses avaient adopté ce parcours. En 2007, plus de 7000 paroisses, églises et aumôneries proposent Alpha en Grande-Bretagne.
C’est en Grande-Bretagne que Marc et Florence de Leyritz ont découvert les cours Alpha. En 1997, invité par un collègue britannique (p. 104), Marc de Leyritz, qui travaillait dans une banque à Londres, a accepté de se rendre à une soirée Alpha avec son épouse. Il nous raconte, comment croyant catholique depuis sa jeunesse, il a été touché par la grâce, en ressentant un appel fort à consacrer sa vie à annoncer l’Evangile (p.59-61). Marc et Florence ont immédiatement organisé un parcours Alpha dans le cadre de l’aumônerie du lycée français de Londres. « Les adolescents ont réagi favorablement aux caractéristiques clés d’Alpha : la liberté de venir ou non, l’humour, la joie de partager un repas ensemble, un enseignement donné comme témoignage et non pas d’une façon magistrale » (p.63).
Un an après, Marc et Florence ont été appelés à organiser un cours Alpha au sein de la paroisse catholique francophone de Londres : Notre-Dame-de-France. À nouveau, dans ce contexte spécifique, pluriculturel, cette expérience a été une réussite où on a pu constater les fruits de l’action de l’Esprit.
L’arrivée d’Alpha en France.
Très vite, dans la décennie 1990, Alpha s’est propagé à vive allure dans de nombreux pays du monde. Cette expansion a été une véritable épopée. Aujourd’hui, environ 8 millions de personnes auraient au total suivi un parcours Alpha. Au départ, ce sont les pays de tradition anglo-saxonne qui ont été les plus réceptifs. Pratiquement, toutes les dénominations ont participé, y compris l’Eglise catholique. Puis, en Europe continentale, les régions protestantes de l’Europe du Nord sont entrées dans le mouvement. « La France fut le premier pays majoritairement catholique à s’intéresser à Alpha, suivie plus tard par le Portugal et la Pologne ». Aujourd’hui, Alpha est présent dans plus de 150 pays. Marc de Leyritz nous donne un aperçu du contexte qui a favorisé cette étonnante expansion : « Un lieu phare, où trouver amitié, encouragement et idées ; un référentiel commun, adaptable à l’environnement commun de chacun ; une culture accueillante et stimulante ; une remise permanente de Dieu au centre des priorités, par la prière et l’intercession » (p.57).
Dès 1996, le magazine Témoins avait fait connaître le phénomène en France. Quelques initiatives avaient commencé à apparaître. Un début de coordination motrice s’esquissait autour d’Olivier Fleury en Suisse. L’engagement de Marc et Florence de Leyritz a considérablement accéléré le processus d’acculturation. À travers leur conviction militante, leur expérience d’Alpha à Londres, leurs relations avec certains milieux catholiques, ils ont manifestement joué un rôle déterminant.
Durant l’année 1999, le passage d’Alpha en France se réalise à travers une conjonction de rencontres. Acteur privilégié de cette histoire, Marc de Leyritz nous décrit la dynamique surprenante qui se manifeste cette année-là (p.68-93). La lecture de ce chapitre est un « must ». À travers des relations déjà existantes, mais brusquement réactivées, ou bien des démarches entreprises par certains groupes, l’expérience Alpha entre en France par des filières souvent d’inspiration charismatique et /ou traditionnelle. L’analyse du processus dépasse une interprétation sociologique, car le déroulement est fertile en retournements et en « conversions » de personnalités à la tête de certains mouvements. On pourrait dire qu’à travers l’action du Saint Esprit, la conviction de foi et l’annonce de l’Evangile atteignent ces personnalités au plus profond d’elles-mêmes par-delà des caractéristiques culturelles auxquelles souvent elles ne participent pas spontanément.
Le processus est déjà bien engagé lorsque, dans la seconde moitié de l’année, le message est communiqué à certains évêques. Un comité ad hoc est nommé par le Conseil Permanent de la Conférence des Evêques de France. Ce comité ouvre la voie à une expérimentation d’Alpha dans les diocèses motivés. Les épiscopats catholiques d’autres pays avaient déjà donné leur accord sur le contenu même de l’enseignement délivré part Alpha. En France, les objections soulevées ont amené la création d’une commission qui est parvenu à un accord acceptable par les auteurs du texte initial et par l’ensemble des dénominations engagées dans cette entreprise commune. « Après le feu vert des évêques et des pasteurs en janvier 2001, et après plus d’un an de travail, le texte voyait le jour »(p.91).
Aujourd’hui, un bureau Alpha créé à la fin de l’année 2000, diffuse l’information et organise des formations d’animateurs (4). Les parcours Alpha se sont développées dans des paroisses qui s’inscrivent aussi bien dans l’univers catholique que dans le monde protestant, particulièrement au sein des Eglises évangéliques.
La culture Alpha
Dans quelle culture les cours Alpha s’inscrivent-ils ? Manifestement, ils se développent dans une culture nouvelle portée par le changement rapide du monde d’aujourd’hui. À cet égard, ils entrent dans le champ d’investigation du groupe de recherche de Témoins qui étudie, depuis dix ans, les rapports entre le changement culturel et les pratiques d’Eglise.
1 La convivialité.
Dans plusieurs chapitres, Marc de Leyritz présente le climat qui caractérise les rencontres d’Alpha et comment des caractéristiques culturelles émergentes rejoignent l’Esprit de l’Evangile. Ainsi, le désir de relation, le besoin de convivialité qui se conjuguent avec la quête de sens et la recherche d’une « validation du croire » pour reprendre l’expression de la sociologue Danièle Hervieu-Léger (5) trouvent une réponse dans l’approche Alpha. Comme l’exprime Marc de Leyritz dans un chapitre intitulé : « l’apostolat de la fourchette », la place importante des repas pris en commun dans les soirées Alpha vient en réponse au besoin de sociabilité, et, en même temps, revêt une signification spirituelle en écho aux textes de l’Evangile de Jean qui traitent de la signification donné aux repas par Jésus.
2 Le respect de chacun.
De même, le développement de « l’autonomie croyante », renvoyant aux analyses sociologiques, implique chez les participants une exigence de respect et de liberté. Marc de Leyritz consacre un autre chapitre à cette question sous le titre : « Une pédagogie de la liberté ». « L’annonce de l’Evangile, telle qu’elle est proposée dans Alpha et la pression sont deux attitudes radicalement opposées… La pression est radicalement incompatible avec la démarche de liberté avec laquelle chaque personne décide de s’approcher – ou non – du Christ. Les équipes destinées à accueillir les participants, le premier soir d’Alpha, sont invitées à le faire de la façon suivante : « Nous sommes ravis que vous soyez là. Mais si vous décidez de ne pas revenir la semaine prochaine, personne ne vous rappellera, c’est votre décision… Tout au long du parcours, nous demandons de répéter : c’est vous qui décidez » (p.125).
3 Le sens du dialogue.
Et, dans un autre chapitre : « Apprendre et désapprendre », Marc de Leyritz invite les chrétiens engagés dans l’animation des cours Alpha à entrer dans une dynamique nouvelle où « des communautés unies, priantes, accueillantes, grandissent et soient, de manière visible pour le monde, des lieux vivants de pardon et de fête » (p.155).
Et, dans cette démarche, certaines attitudes prennent tout leur sens : l’invitation d’ami à ami, le sens de l’accueil, l’attention à l’autre qui appelle une pédagogie exprimant avec clarté et humour le message de l’Evangile en prenant en compte les réactions de nos contemporains, et enfin une disposition à l’écoute que requiert la mise en œuvre d’un vrai dialogue. Ainsi, nous dit l’auteur, « le groupe de discussion est considéré par les participants comme étant de loin ce qui est le plus important. Ils apprécient d’y avoir une totale liberté dans l’échange, un respect de la personne accueillie. Il n’y a pas de regard de jugement sur l’autre. Tout comme l’invitation et l’accueil, l’écoute est un point qu’il faut aussi beaucoup travailler chez les animateurs… Le premier réflexe des chrétiens engagés dans l’Eglise est souvent d’expliquer, de justifier, de répondre à un argument par un autre argument… Or, tant qu’une personne n’a pas exprimé – et n’a pas été entendue – dans ses objections et ses blessures par rapport à l’Eglise ou à ses images de Dieu, elle ne peut progresser dans une démarche de foi… » (p.165-166). La démarche d’Alpha est d’encourager l’échange entre les participants. Il y a là une attitude spirituelle : « la conviction que le participant qui vient à l’une de ces rencontres est déjà guidé par l’Esprit saint » (p.169).
4 Le développement des personnes.
La mise en œuvre des cours Alpha requiert la mobilisation de beaucoup de chrétiens. Elle demande une évolution des mentalités. Tout naturellement, Marc de Leyritz est amené à poser la question de l’utilisation des talents de chacun. Ainsi, dans un chapitre intitulé : « l’apologie de la compétence », il s’interroge sur la manière de promouvoir la coopération, le sens des résultats, le développement des personnes, l’animation d’équipe, la connaissance des besoins du terrain, une vision stratégique, la gestion du changement (p.175-206). Voici un chapitre qui devrait être médité par tous ceux qui sont appelés à exercer des responsabilités dans les Eglises. Manifestement, on constate aujourd’hui, dans la vie professionnelle comme dans la vie sociale, le développement de savoirs faire qui permettent une meilleure réalisation des tâches et une plus grande efficacité pour atteindre des objectifs. Les sciences sociales, la psychologie peuvent concourir à une amélioration des rapports sociaux. L’apparition et le développement de ces compétences font également partie du changement culturel en cours. L’intelligence humaine est un don de Dieu. On constate que les valeurs qui inspirent le développement et la mise en œuvre de ces savoirs faire sont souvent transposées de conceptions chrétiennes (6). Ainsi peut-on attribuer une signification spirituelle à ces nouveaux savoirs faire. Quand on veut promouvoir la coopération, le développement des personnes, l’animation d’équipe, on est bien sur un terrain où les chrétiens devraient être particulièrement actifs. Ainsi, comment ne pas approuver et encourager Marc de Leyritz lorsqu’il cherche « à éclairer par sa pratique professionnelle le fonctionnement de la communauté chrétienne et le développement des talents » (p.178).
L’après Alpha.
Quel va être le devenir de ceux qui sont entrés dans la foi chrétienne dans le contexte d’Alpha ? Plus précisément, dans quelle expérience d’Eglise vont-ils pouvoir se reconnaître ? Marc de Leyritz répond à cette question. Plusieurs points sont esquissés.
« La suite la plus naturelle pour les personnes est de se mettre au service du parcours Alpha suivant. Cela renforce les liens fraternels qui ont commencé à s’établir entre les participants et l’équipe qui était au service… Une autre possibilité est de constituer ou de rejoindre un « groupe de maison ». Il se vit dans ces groupes plusieurs éléments clefs pour permettre l’insertion dans l’Eglise et la croissance dans la vie de disciple : l’apprentissage de l’écoute et de l’accueil de la parole de Dieu, l’approfondissement des liens fraternels de proximité, le soutien de l’engagement missionnaire, la prière qui intègre la vie concrète. Peu importe le modèle, ce qui est essentiel est de créer rapidement de tels groupes. À défaut, la plupart des anciens participants au cours Alpha risquent de se retirer de la vie paroissiale… » (p.234-235).
L’auteur constate que, par des cheminements individuels, certains participants aux cours Alpha s’intègrent dans les paroisses, mais il appuie également les recommandations des évêques qui invitent « les communautés chrétiennes à se préparer aux changements nécessaires pour accueillir ces nouveaux croyants ». Et il reconnaît la distance entre le climat des cours Alpha et la vie de nombreuses paroisses. « Malgré notre bonne volonté, il se trouve de nombreuses lieux où un nouveau venu peut venir chaque dimanche pendant plusieurs mois sans que quiconque lui adresse la parole ».
Cependant des transformations sont en cours. Marc de Leyritz met en lumière quelques axes de changement concernant la vie fraternelle et le service mutuel, la prière de louange et d’intercession, la liturgie, la formation, la mission.
° « De plus en plus de paroisses mettent en place un pot après la messe ou le culte du dimanche matin… L’investissement dans la vie fraternelle est probablement l’un des plus féconds qu’une paroisse puisse faire… (p.239-240) ».
° « Il est important de mettre Dieu au centre de tout ce que nous faisons dans nos paroisses. À cet égard, un nombre croissant de paroisses introduisent la prière de louange et d’intercession au sein des différents services de la paroisse… » (p. 240-241).
° En liturgie, le changement est possible. « L’un des changements les plus frappants dans ce domaine est la multiplication depuis quelques années en France des cultes et des messes des jeunes. Certaines églises ou paroisses ont soigneusement préparé le lancement et en ont confié la préparation aux jeunes eux-mêmes. Il n’y a que cela qui marche… Certaines de ces assemblées rassemblent chaque dimanche plusieurs centaines de jeunes, jusqu’à un millier… » (p. 241).
« Ces changements impliquent de changer un peu les habitudes, notamment au niveau des chants. Si ces changements permettent de développer le sens de la présence de Dieu, plus personne ne regardera sa montre. Les communautés évangéliques l’ont bien compris, dont certains cultes durent plus de trois heures. Une paroisse propose « la messe qui prend son temps ». Une autre paroisse de la région parisienne fait précéder la célébration de la messe d’une heure de prière de louange, puis la fait suivre d’un enseignement par « un grand témoin » avec à la clé un dîner informel. Plus de 800 jeunes viennent ainsi le dimanche soir et restent à l’église pendant près de quatre heures de 18 heures à 22 heures… » (p. 242).
Ces innovations allient ainsi convivialité et mise en œuvre de nouvelles formes d’expression.
Un livre pionnier.
Ce livre apporte le témoignage d’un homme engagé dans une action pionnière, la création, puis le développement des cours alpha en France. Cet homme animé par une foi chrétienne profonde est aussi un homme de notre temps, comme l’exprime sa notice biographique : diplômé de Sciences-Po Paris et de l’Insead, banquier d’affaires à l’échelle internationale, puis conseiller en gestion des ressources humaines, marié avec Florence et père de quatre enfants… Ainsi son engagement est bien situé dans une époque en mouvement.
Nous avons présenté plusieurs facettes de ce livre, mais il y en a d’autres : la manière dont l’auteur situe Alpha comme une « expérience pratique, pragmatique, concrète d’unité entre les chrétiens » (p.227). Et, bien sur, on ira au chapitre clef : « Pourquoi ça marche ? » (p.97-114). « En adoptant Alpha, c’est potentiellement toute la communauté qui se place dans une démarche d’annonce de l’Evangile. Cette annonce a trois grandes caractéristiques : une première annonce de la foi, la communauté où on la propose, le souffle de l’Esprit Saint ».
Bref, ce livre parle au lecteur sur plusieurs registres. Il lui apporte un témoignage fort sur l’action du Saint Esprit telle qu’elle se manifeste aujourd’hui, à travers des vies, dans la mouvance d’Alpha. Il lui permet de réfléchir aux conditions de la vie en Eglise dans une époque nouvelle traversée par une mutation culturelle sans précédent. Et enfin, il le renvoie à la Parole biblique, à l’Evangile pour éclairer cette expérience dans toute sa nouveauté. Voilà un livre qui mérite non seulement une lecture personnelle, attentive, mais aussi une approche qui en fasse l’objet d’échanges et de débats en groupe.
ALPHA : UNE CULTURE .
Ouvrir de nouvelles pistes.
À partir de ce livre, nous voudrions maintenant ouvrir quelques pistes de réflexion en nous situant dans une approche qui fait appel aux sciences sociales. Comment la culture Alpha s’inscrit-elle dans une culture nouvelle, émergente dans un monde où, bien sûr, des cultures plus traditionnelles demeurent et continuent souvent à prospérer dans les institutions ecclésiales ? Dans ce contexte, comment la culture Alpha participe-t-elle au renouvellement du paysage chrétien ?
Une nouvelle culture à l’échelle mondiale.
La rapidité de l’expansion d’alpha dans le monde se lit, bien sûr, comme une œuvre de l’Esprit, mais, en même temps, elle nous paraît en relation avec le développement d’une nouvelle culture à l’échelle mondiale. En effet, si l’approche des cours Alpha est bien reçue dans des pays différents, c’est bien parce que des représentations et des comportements communs sont en train de se répandre. Et la France ne fait pas exception. Certes, l’évolution y est peut-être plus lente dans certains domaines. À cet égard, dans le cas d’Alpha, l’intervention d’acteurs convaincus et expérimentés s’est avérée décisive.
Par ailleurs, le succès d’Alpha à l’échelle planétaire tient aussi au développement d’un réseau et à la production de ressources. Cependant, si les espaces culturels demeurent bien spécifiques, nous assistons également à l’expansion d’une culture commune. C’est un contexte plus favorable pour le développement des innovations en France.
Un nouveau paysage religieux
De la même façon, si des fondamentalismes religieux se développent actuellement dans le monde en fonction des craintes engendrées par la mondialisation et des frictions suscitées par la confrontation des cultures, des tendances inverses sont également à l’œuvre. À cet égard, la diffusion d’Alpha dans des dénominations chrétiennes très variées est à méditer. Certes, là aussi, il y a des résistances. Aujourd’hui encore, le siège d’une grande Eglise peut proclamer sa suprématie doctrinale. Mais le paysage est en mouvement. La « culture de contrôle » perd du terrain. Comme le montre le sociologue Bernard Lahire dans son livre : « L’homme pluriel » (7), les gens participent chacun de plus en plus à des univers culturels différents. Si Alpha s’exerce globalement dans le cadre des dénominations existantes, la culture Alpha est transversale. Et lorsque apparaît un déphasage trop grand entre cette culture et celle qui se manifeste dans le fonctionnement ordinaire de telle Eglise, elle peut déboucher sur la naissance de communautés nouvelles comme le fait remarquer Michael Moynagh dans son livre : « L’Eglise autrement » (8).
Le livre de Marc de Leyritz est très clair dans son engagement oecuménique. On aurait pu d’autant plus souhaiter que son ouvrage soit précédé par une préface plurielle. Car, il y a parfois dans l’avant-propos de Monseigneur André Vingt-Trois, archevêque de Paris, des boutades contestables comme celle où il évoque la menace d’une « Eglise transconfessionnelle » (p.10). C’est méconnaître l’apparition de fluidités nouvelles. En allant à l’essentiel de la foi : l’adhésion personnelle à Jésus-Christ, dans une culture nouvelle, relationnelle et respectueuse du cheminement de chacun, la culture Alpha n’est pas éloignée de la culture des Eglises émergentes telle qu’elle nous est présentée par exemple dans une superbe vidéo britannique : « Stories of church for a changing culture » (9).
La culture Alpha dans son rapport avec les cultures du passé.
Les recherches sociologiques mettent en évidence, dans tous les pays, l’ampleur du changement culturel en cours depuis plusieurs décennies (10). Cette mutation se poursuit aujourd’hui. Elle entraîne de nouvelles modifications dans les mentalités et suscite par ailleurs une diversification des milieux et des publics. Cette évolution a un impact sur la réception du message chrétien. Ainsi, par exemple, on est beaucoup plus sensible aujourd’hui au respect de la liberté. Une annonce directe, non contextualisée paraît beaucoup plus provocante qu’autrefois. Les cours Alpha s’inspirent de la veine charismatique, mais ils ont opté pour une proposition attentive au respect du cheminement personnel. À cet égard, le livre de Marc de Leyritz répond bien aux objections soulevées dans certains milieux, surtout dans les premières années (11), vis à vis d’une approche qui paraissait trop percutante .
Une observation du processus Alpha fait ressortir le déphasage de beaucoup de pratiques d’Eglise par rapport aux comportements et aux représentations des gens d’aujourd’hui. L’héritage du passé reste prégnant dans beaucoup d’Eglises (12). Le pouvoir descend d’en haut et engen&@ @&@dre une « culture de contrôle » qui, dans le passé, était facteur de peur et d ‘asservissement. Parallèlement, la culture des Eglises continue à véhiculer des représentations associées à une société passée, soumise à la contrainte économique et sociale et peu propice à un épanouissement de la personne rendu possible par le relâchement de cette contrainte. Aujourd’hui, le retour au message évangélique, dans sa fraîcheur et son dynamisme, permet de fonder des valeurs propagées par la nouvelle culture. Ainsi, lorsque Marc de Leyritz parle de « pédagogie de la liberté », on rejoint les aspirations actuelles, on rompt avec des comportements religieux traditionnels et on se fonde sur le message évangélique. De même, lorsque Marc de Leyritz évoque le développement de la personne et la mise en valeur des talents, il s’inscrit dans un mouvement qui rompt avec l’uniformité du passé, s’appuie sur de nouvelles pratiques sociales, quitte les séquelles d’un héritage religieux et peut très simplement se fonder sur le message évangélique.
Dans cette conjoncture, la survie des Eglises, au moins en tant qu’organisations, dépend de leur volonté et de leur capacité à s’engager dans un processus de changement. Le premier pas est sans doute de considérer en face la réalité et d’accepter le diagnostic. C’est parce que le pasteur de « Holy Trinity Brompton » a su percevoir le déphasage de sa paroisse qu’une nouvelle forme de contact avec le grand public a vu le jour, débouchant par la suite sur le développement du cours Alpha. Certes la situation varie beaucoup selon les Eglises, et aussi selon les publics desservis. En France, on sait comment la pratique dominicale diminue progressivement depuis les années 60 (13). Pour une part, on peut incriminer l’écart entre la forme des célébrations et une culture relationnelle, demandeuse d’expression et de créativité. À cet égard, un fait cité par Marc de Leyritz est particulièrement éloquent. Dans l’Eglise catholique, la moitié des baptisés adultes cessent de fréquenter une communauté dans les douze mois qui suivent leur baptême. Et cette proportion atteint 90% après cinq ans. « Quel extraordinaire gâchis lorsqu’on pense au parcours d’un catéchumène adulte, l’éveil intime à la foi qui provoque la demande de baptême, la catéchèse sur un parcours de deux ans, les amitiés qui se créent avec ceux qui l’accompagnent » (p. 103).
Cependant, le manque de vitalité et de créativité de beaucoup de paroisses dépend également, nous semble-t-il d’un effet de système.
En effet, si les dirigeants d’une Eglise n’encouragent pas la participation à une échelle globale, les efforts de changement engagés à la base s’exercent pour une part à contre courant. Le changement requiert le dialogue et la communication à tous les niveaux. Il appelle une structure souple et décentralisée. Qu’en est-il aujourd’hui dans telle Eglise où l’autorité supérieure a progressivement réduit la collégialité entre ceux là mêmes qui ont des responsabilités majeures et diffusent des messages faisant barrage à une évolution sensible de la liturgie. En regard, les modes de gouvernance d’une Eglise également institutionnelle comme l’Eglise anglicane ont permis et permettent des évolutions importantes. Les cours Alpha ont trouvé dans cette ambiance un climat favorable à leur émergence.
La culture Alpha. Quelle contribution au changement ?
Marc de Leyritz montre comment, en France comme ailleurs, les cours Alpha peuvent engendrer un processus de croissance des communautés locales à travers la participation de tous ceux qui s’y engagent. Manifestement, il y a là une voie particulièrement féconde.
Elle peut contribuer au changement des communautés qui acceptent de s’y engager.
Cependant, la question est plus vaste comme le montre le dernier recensement mené en Angleterre par l’association : « Christian Research » (14). L’enquête a été menée en 2005 dans l’ensemble des églises anglaises impliquant toutes les dénominations et permet d’évaluer la pratique dominicale, un dimanche de référence, en comparaison avec les résultats d’une précédente enquête menée en 1998. L’impact positif des cours Alpha apparaît clairement puisqu’on évalue à 100 000 le nombre de nouveaux arrivants attribués à cette fréquentation durant les sept dernières années. D’autres formations, qui mériteraient d’être également connues en France (15), ont suscité 50 000 entrées. Mais, en regard, 250 000 personnes sont parties parce qu’elles estimaient les pratiques d’Eglise sans rapport avec leurs besoins (« irrelevant »). Et 50 000 encore se tiennent en dehors parce qu’ils ne trouvent pas une église correspondant à leur attente, à leur désir d’authenticité (p.202-203). C’est dire l’importance du problème posé par le manque de pertinence attribué aux Eglises.
Dans cette perspective, il n’y a pas de solution miracle. Par rapport à la diversité des milieux et des attentes, les voies de l’innovation sont appelées à être également variées. Ainsi, les pionniers britanniques de l’Eglise émergente reconnaissent l’utilité des Eglises classiques pour ceux qui ne sont pas en situation d’entrer dans un changement profond. Mais ils appellent à la création de communautés chrétiennes nouvelles en phase avec la culture actuelle.
Dans cet ensemble, le processus Alpha occupe une place importante. Dans certains cas, il permet un renouvellement en profondeur des Eglises existantes. Dans d’autres cas, il crée un mouvement salutaire qui peut déboucher dans des voies alternatives. Dans tous les cas, il apporte une dynamique qui a un impact sur l’ensemble des communautés chrétiennes. Voilà un remède au pessimisme, une source de confiance et d’espérance, une voie de mobilisation. Oui aujourd’hui encore, la Bonne Nouvelle est annoncée et elle produit des fruits. Des gens découvrent Jésus-Christ et leur vie s’en trouve transformée. La proclamation d’un chant déjà daté : « Dans le monde entier, le Saint Esprit agit », trouve encore aujourd’hui son actualité dans les parcours Alpha.
Jean Hassenforder
21 08 2007
(1) Leyritz (Marc de). Devine qui vient dîner ce soir ? Découvrir Jésus-Christ avec le parcours alpha. Avant-propos de Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Paris. Presses de la renaissance, 2007. Les citations sont accompagnées des pages correspondantes.
(2) Hassenforder (Jean). Bienvenue à la culture Alpha. Témoins, N°136, septembre-octobre 2001, p. 12-13 (site de Témoins : groupe de recherche, innovation)
(3) À juste raison, Marc de Leyritz recommande au français de passage à Londres d’aller un dimanche dans cette Eglise. Il pourra se renseigner sur le site internet très dynamique de Holy Trinity Brompton (avec une vidéo !) : www.htb.org.uk
(4) La communication mise en œuvre par cet organisme est particulièrement moderne et dynamique (Un site, une newsletter, un journal). Elle rend bien compte non seulement des activités de promotion, mais aussi des merveilles qui se réalisent dans la vie des participants à travers de beaux témoignages. Elle reflète la diversité des milieux engagés. Un site à explorer : www.coursalpha.fr. Un journal riche en témoignages et en informations sur les activités Alpha: Alpha News.
(5) Danièle Hervieu-Léger est auteur de nombreuses publications. Voir notamment : Hervieu-Léger (Danièle). Le pèlerin et le converti. La religion en mouvement. Flammarion, 1999.
(6) Ce sujet a été abordé dans le magazine Témoins : Nouveaux langages. Nouvelles cultures. Témoins,N° 133, janvier-février 2001, p. 12-13
(7) Lahire (Bernard). L’homme pluriel. Les ressorts de l’action. Nathan, 1998.
(8) Moynagh (Michael). L’Eglise autrement. Les voies du changement. Préface de Guy Aurenche, Stéphane Lauzet, Jean Hassenforder. Empreinte temps présent, 2003. Voir la présentation sur le site de Témoins : À Monde qui change, Eglise qui change (Groupe de recherche, perspective).
(9) Expressions : the dvd. Stories of church for a changing culture. Fresh expressions . The Methodist Church. Church House Publishing.
(10) Pour la France, voir notamment : Mendras (Henri). La Seconde Révolution Française 1965-1984. Gallimard, 1994. Consulter le site de Témoins : www.temoins.com
(11) Débat autour d’une méthode d’évangélisation. La Croix, 31 janvier 2002, p.14-15.
(12) Murray (Stuart). Post-Christendom. Church and mission in a strange new world. Paternoster, 2004 (Présentation par Jean Hassenforder : Faire Eglise en post-chrétienté, sur le site de Témoins : groupe de recherche, perspective)
(13) Hassenforder (Jean). La messe dominicale : une forme qui s’épuise.Un article de La Croix sur les évolution de la pratique religieuse (15 aout 2006) (Site de Témoins : groupe de recherche, enquête).
(14) Brierley (Peter). Pulling out of the nose dive. A contemporary picture of churchgoing : what the 2005 English Church Census reveals. Christian Research, 2006. Présentation sur le site de Témoins (groupe de recherche, enquête) ;
(15) D’autres approches existent comme les cours Emmaus, Christianity explored… (p. 231). Manifestement, la diversité est nécessaire pour répondre à des sensibilités différentes. Ainsi, pour certains milieux, on estime qu’il faut laisser plus de place au questionnement et que la conceptualisation d’Alpha n’est pas toujours immédiatement accessible à des personnes sans aucun background chrétien.
Références: Groupe Recherche Témoins