A la suite d’une rencontre sur la web, Patrick Oden répond ici à une  interview autour de la thèse de doctorat en théologie qu’il vient de  soutenir à l’université Fuller en Californie: “L’Eglise  transformationelle met en oeuvre de nouveaux modèles d’ecclésiologie  en phase avec la théologie holistique de Jürgen Moltmann”. Un horizon  pour notre réflexion sur l’Eglise émergente.

 

La recherche de Patrick Oden

          Partout, dans le mouvement de la mutation culturelle en cours, face aux séquelles d’un héritage et à la désuétude de pratiques traditionnelles, de nouvelles expressions chrétiennes se cherchent (1). Au fil des années, Témoins explore cette quête et c’est ainsi que nous avons rencontré Patrick Oden en découvrant sur le web sa communication : « Hope for the kingdom.
Jürgen Moltmann and the emerging church in conversation » (2) (Espérance pour le Royaume.

Jürgen Moltmann et l’Eglise émergente en conversation ». Cet article, particulièrement original, a attiré notre attention en mettant en correspondance les aspirations de l’Eglise émergente et la grande pensée théologique de Jürgen Moltmann (3).

         Patrick Oden (4), d’abord étudiant engagé dans de nouvelles pratiques d’église en Californie, puis chrétien en recherche à travers une activité d’écriture qui a abouti à la publication de deux livres, a effectué, au fil des années, un parcours théologique dans le cadre d’une faculté américaine réputée :

« Fuller theological seminary » (5). Et là, il vient de soutenir une thèse de doctorat, qui confirme l’intuition manifestée dans sa première communication. Cette thèse est intitulée : « The tranformative church substantiating new models of ecclesiality, with the holistic theology of Jürgen Moltmann » (« L’Eglise transformationnelle met en œuvre de nouveaux modèles d’ecclésiologie en phase avec la théologie holistique de  Jürgen Moltmann »).

          Dans la poursuite d’une démarche d’exploration et de découverte concernant l’œuvre de l’Esprit Saint telle qu’elle s’était déjà exprimée dans son premier livre :

« It’s a dance. Moving with the Holy Spirit » (6), l’auteur de cette thèse met en évidence les éclairages de Jürgen Moltmann, lui-même pionnier d’une théologie de l’Esprit dans son livre : « L’Esprit qui donne la vie » et, dans le même temps, en conversation avec les questionnements actuels, apportant des ouvertures nouvelles dans une théologie holistique.

Il y a là une approche qui va bien au delà des requêtes exprimées aux Etats-Unis. On se réjouit que l’originalité de cette démarche ait été reconnue non seulement par l’université, mais aussi par l’édition puisque cette thèse va être publiée par un éditeur américain réputé : « Fortress Press ».

         Nous remercions Patrick Oden, proche de notre pays par son épouse, Amy, qui y a résidé pendant plusieurs années, pour ses réponses à cette interview. Voilà une contribution qui nous permet de nous situer dans le précepte qui s’est répandu à travers les milieux qui oeuvrent pour le développement durable et qui vaut pour tous :

 « Penser global. Agir local » (7). Jürgen Moltmann nous invite à l’espérance : « La foi qu’un autre monde est possible rend les chrétiens durablement capables de se tourner vers l’avenir » (8).

J. H.

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L’Eglise émergente en conversation avec Jürgen Moltmann. L’Eglise transformationnelle.

Interview de Patrick Oden

 

 

1) Patrick Oden, nous nous sommes rencontrés sur le web à partir d’un texte que vous aviez mis en ligne : « Hope for the kingdom. Jürgen Moltmann and the emerging church in conversation » (Le Royaume de Dieu en espérance. Jürgen Moltmann et l’Église émergente en conversation). Dans quel contexte aviez-vous écrit ce texte ?

 

Entre mon Master et le début de mon doctorat, j’ai pris un long temps d’étude, d’écriture et de réflexion. L’église que je fréquentais quand j’ai commencé, à 18 ans (j’en ai 38 aujourd’hui) est réputée pour avoir été à l’avant-garde du mouvement de l’Église émergente ; elle a été à l’initiative de deux communautés qui avaient tous les éléments de ce que nous appelons maintenant « églises émergentes ». L’une d’elles a été décrite dans le livre d’Alan Hisch et Michael Frost : 

The Shaping of Things to come (Dessiner l’avenir). C’était dans les années 90. J’avais entrevu les promesses de ces églises, mais aussi les erreurs qu’elles faisaient. Je n’en avais pas du tout une conception idéaliste ! Quand l’Église émergente a gagné en popularité, au début des années 2000, ici aux États-Unis, c’était vraiment nouveau pour les gens ; moi j’en étais déjà revenu.

 

Pendant mon temps de lecture et d’écriture, entre 2003 et 2007, j’ai lu une grande partie de l’œuvre de Moltmann – tous ses textes majeurs et un certain nombre des textes mineurs. Au fur et à mesure de ma lecture, j’ai réalisé que son approche de la théologie ecclésiale était très similaire à ce que j’avais expérimenté et lu au sujet des églises émergentes. Pourtant, c’étaient des approches radicalement différentes et sans aucun lien ! Aussi ai-je commencé à examiner comment elles exprimaient un même thème, à partir d’approches et de contextes très différents, cependant. Cet article fut l’une de mes premières explorations. Je l’écrivis dans un cours suivi à l’Université Fuller sur la théologie de Moltmann et mon professeur me dit que ce pouvait être la base d’un travail de synthèse. Pour finir, ma dissertation a traité le sujet d’une manière un peu différente, mais elle a gardé le même objectif fondamental : essayer de montrer pourquoi Moltmann et les Églises émergentes ont beaucoup à s’apporter mutuellement car elles semblent avoir une compréhension similaire de l’Église, du monde et du travail de Dieu là-dedans.

 

2) Depuis lors, récemment, en avril 2013, à la faculté de théologie de l’Université Fuller, vous avez soutenu une thèse de doctorat (Ph.d) ayant pour titre : « The transformative church substantiating new models of ecclesiality with the holistic theology of Jürgen Moltmann » (« L’Église transformationnelle met en œuvre de nouveaux modèles d’ecclésiologie en phase avec la théologie holistique de Jürgen Moltmann) ». Votre travail a été apprécié. En bref, pouvez-nous nous communiquer en quelques lignes le thème majeur de cette thèse ?

 

J’ai passé mon Masters of Divinity (diplôme pastoral professionnel) en 2002, exercé mon ministère dans une église, pendant quelque temps puis vécu une période difficile car l’autorité dans cette église a traversé une période de troubles allant jusqu’au départ forcé du responsable principal. Les éléments politiques de la vie ecclésiale étaient très frustrants de même que le discours rhétorique sur l’engagement des fidèles alors que la réalité était une communauté très passive. J’ai pris du recul par rapport à la vie ecclésiale pour approfondir mes lectures et écrire davantage, explorant le contexte de l’Église et du travail de Dieu dans le monde. En 2008, j’ai commencé mon doctorat avec en tête l’Église émergente et l’œuvre de Moltmann. J’avais écrit un livre qui explorait leurs liens dans un style grand public (c’est une danse) et j’ai cherché à approfondir cette étude de manière plus rigoureuse ; j’avais écrit quelques articles sur ce thème : c’était l’opportunité de traiter cela de façon plus globale.

 

La structure fondamentale de ce travail est de faire entrer en conversation les écrits concernant l’Église émergente et les travaux de Moltmann. Je commence par un examen de l’état actuel des églises émergentes, spécialement telles qu’elles existent aux États-Unis. On peut les classer en quatre grandes catégories pour lesquelles je suggère le terme global d’Église transformative, afin de proposer un vocabulaire plus descriptif de leur théologie. Après tout, l’expression « émergente » ne dit pas grand-chose sur d’où cela émerge et vers quoi ! J’examine ensuite comment nous devrions comprendre la théologie d’une telle Église transformative, comment ces églises comprennent la théologie et comment elles élaborent leurs priorités et leurs thèmes. J’étudie alors brièvement l’approche moltmannienne de la théologie. C’est le premier chapitre.

 

Dans les chapitres suivants, j’examine chacun des textes majeurs de Moltmann, puis les thèmes de l’Église transformative qui sont proches des thèmes abordés par Moltmann. Par exemple, dans le chapitre 4, je regarde l’Esprit qui donne la vie chez Moltmann, et j’explore les thèmes en lien avec l’Église ; je traite alors de « La Transformation de l’espace séculier » qu’Eddie Gibbs et Ryan Bolger discernent dans les Églises émergentes. J’examine ensuite le thème de « l’Illumination », abordé dans un livre récent de Jon Huckins, Thin Places. Enfin je propose quelques pages qui intègrent ces différentes approches, montrant comment elles peuvent exprimer une voix tout ensemble académique et populaire, théologique et pratique.

 

3) Pour comprendre une œuvre, il est indispensable de connaître le cheminement à travers laquelle elle s’est construite. Patrick, pouvez-vous nous dire quel a été votre cheminement humain, spirituel et théologique durant ces deux dernières décennies ?

 

J’ai donné une seule réponse aux questions 3 et 4 qui se recoupent.

 

4) Pourquoi et comment avez-vous rencontré le courant de l’église émergente aux États-Unis ?

 

Quand j’avais environ 17 ans, j’ai commencé à fréquenter une église dont on dit souvent qu’elle a été précurseur de l’Église émergente : NewSong, alors en Californie, initiée par Dieter Zander. C’était une église tournée vers la Génération X (ceux qui sont nés en gros entre 1964 et 1976). J’avais des amis engagés dans ce que l’on appellerait aujourd’hui des églises émergentes, remontant à 1995. Pendant mon séminaire, j’ai fait des stages à NewSong avec, entre autres, pour objectif une approche créative de la vie ecclésiale, pour la rendre plus globale et plus dynamique. Tout en faisant partie de la grande Église, il y avait vraiment des éléments émergents dans les petits groupes que j’animais et le ministère que j’exerçais auprès des jeunes adultes. D’autre part, nous avons commencé une approche très créative du culte, élaborant des chemins de croix très sensoriels qui cherchaient à impliquer la personne toute entière dans sa progression à travers une église transformée.

 

Dans un domaine plus académique, j’ai suivi le cours d’Eddie Gibbs, au premier trimestre de séminaire, et j’ai été en lien avec Ryan Bolger pendant toutes mes études. C’est ainsi que personnellement et intellectuellement, j’ai commencé à vivre cette expérience et à approfondir ma formation en ce domaine, avant même que le terme Église émergente ne soit popularisé dans diverses publications.

 

5) Dans quel contexte êtes vous entré en contact avec la théologie de Jürgen Moltmann ?

 

D’abord au séminaire, dans le cadre de mon master. Le Professeur Veli-Matti Karkkainen donnait un cours sur l’Esprit Saint et c’est là que j’ai vraiment lu Moltmann pour la première fois. J’ai lu L’Église dans la force de l’Esprit et L’Esprit qui donne la vie. Après avoir passé mon master, j’ai dévoré tous les autres ouvrages majeurs sur mon temps libre et lors d’un cours que j’ai suivi comme étudiant libre en 2007. J’ai fait plus amplement connaissance avec sa théologie en mai 2011, lorsque je lui ai rendu visite chez lui, à Tübingen.

 

6) Dans votre cheminement spirituel et intellectuel, vous avez développé une conversation entre les préoccupations des églises émergentes et la pensée théologique de Jürgen Moltmann. Pourquoi et comment ?

 

Il est difficile de répondre à cette question parce que je l’ai fait de manière instinctive. J’avais rencontré ces deux réalités et toutes deux pointaient dans la même direction. Quelle direction ? C’est la question à laquelle je devais apporter une réponse plus complète. Je devais prendre en compte mes impressions peu précises et être capable de les communiquer à d’autres avec davantage de détails et de connexions parce que « Je pense qu’ils poursuivent les mêmes objectifs » n’était pas, en soi, très convaincant. On n’a rien à faire de mes opinions J

 

7) Votre thèse porte sur une « transformative Church », une Église « transformationnelle ». Pourquoi avoir choisi ce terme ? Qu’entendez vous par là ?

 

Aux États-Unis, les thèmes que nous trouvons dans l’Église émergente ont été abordés de plusieurs manières. A cela s’ajoute le fait que l’expression Église émergente a été tellement usée par les éditeurs et autres qu’elle a perdu du sens et que le sens qu’elle a gardé portait le poids de la théologie de certains participants. D’autres participants très influents se sont fatigués de répondre à des questions sur ces positions théologiques qu’ils ne partageaient pas et ont donc laissé tomber la terminologie « Église émergente ». Et pourtant ces différents mouvements partageaient une trajectoire continue. « L’Église émergente » avait donc un point de vue trop limité. D’autre part, le terme « émergent » n’est pas très descriptif. Il ne décrit pas une différence avec les approches antérieures, mais plutôt une trajectoire. Mais vers où ? J’ai en fait pris quelques semaines pour réfléchir à cela car c’était un élément clef de tout mon travail. Et j’ai décidé que « transformationnel » était à la fois descriptif et distinctif. Personne d’autre ne l’utilisait et il décrivait bien l’objectif fondamental des Églises émergentes, qui est d’être une présence transformante du Christ dans leur contexte particulier.

 

En anglais, ce terme a deux composantes : l’aspect « formation », qui implique une communauté en maturation et développement – une déclaration de sainteté en développement – et le préfixe « trans » qui veut dire que la formation s’étend vers l’extérieur et dans tout le contexte. Cela décrit exactement les éléments distinctifs que je percevais. C’étaient des gens qui ne voulaient pas d’une expérience passive de l’Église comme tant d’approches finissent par l’être. Ils voulaient une Église qui change la vie, orientant chacun(e) vers le Christ, en peuple messianique qui apporte le changement dans les contextes particuliers.

 

8) Le thème de la transformation occupe une place centrale dans votre thèse. Qu’entendez-vous par là ?

 

Nous sommes tous façonnés dans nos vies par diverses forces et influences. Beaucoup d’entre elles peuvent facilement servir à essayer de nous définir. Mais aucune voie ne conduit à la plénitude, excepté le Christ. Et donc comment, de personnes formées par ce monde, devenons-nous des personnes formées par l’Esprit. Par une active participation avec l’Esprit dans notre vie, dans laquelle par la grâce donnée par le Christ, nous devenons un peuple nouveau, manifestant une nouvelle manière de vivre notre vie toute entière. Et si nous devenons ce genre de personnes, je pense que nous commençons à changer notre contexte, que nous devenons une présence rayonnante du Christ dans, avec et pour notre environnement.

 

9) Vous vous inspirez de fils conducteurs (guidelines) qui nous sont proposés par Moltmann. A partir de là, dans une mise en relation entre les préoccupations de l’Église émergente et la pensée théologique de Jürgen Moltmann, vous traitez successivement de plusieurs thèmes dans trois perspectives : historique, anthropologique et trinitaire. Pouvez- vous nous expliquer votre approche et ce qui en résulte ?

 

Comme je l’ai dit, j’avais la vague intuition qu’ils avaient des idées similaires, mais ils venaient d’horizons tellement différents ! Comment pouvais-je rendre ce chevauchement d’idées et d’accents ? C’est une tâche gigantesque car Moltmann a beaucoup écrit et l’Église émergente aussi… dans des médias très variés. Quand j’ai lu Expériences de Théologie, j’y ai trouvé le résumé des approches de l’Écriture par Moltmann. Et j’ai réalisé qu’il n’y résumait pas seulement son approche de l’Écriture, mais tout le reste : son accent sur le combat de la vie contre la mort, la communauté et l’intégrité les uns envers les autres et envers le monde et, pour terminer, son triple accent qui met en valeur chacune des personnes de la Trinité. Moltmann donne un résumé très succinct de cette « méthode ». Le défi était de voir si cela collait avec les écrits et la pensée de l’Église émergente. Et cela marchait. J’ai ensuite réexaminé ce schéma et j’ai réalisé que les textes majeurs de Moltmann coïncidaient parfaitement avec ses différents points. Je ne sais pas si c’était intentionnel de la part de Moltmann, mais c’était ainsi. D’autre part, en y repensant, j’ai réalisé que l’on pouvait organiser ces huit points en trois approches théologiques distinctes. Dans sa préface à un livre de Joy McDougal, Moltmann indique qu’il commence chacun de ses livres en esquissant un diagramme de ses objectifs. J’ai fait la même chose et, avec ce diagramme, j’ai commencé à percevoir encore davantage la structure de ce schéma.

 

Fondamentalement, ces trois catégories sont une façon de parler de l’œuvre de Dieu dans le temps, de l’œuvre de Dieu avec nous et de l’expérience que Dieu a de cette œuvre. Cela devient une manière holistique de parler du sens de l’œuvre de Dieu – passée, présente et future – qui pénètre tout l’espace de notre vie et de notre cheminement.

 

10) Vous écrivez que l’Église transformationnelle est un lieu où les gens vivent en Église comme ils vivent dans le monde. Ils vivent en Christ au-delà des barrières qui séparent souvent les Églises du monde. Il n’y a pas deux univers séparés. N’y a-t-il pas là une ligne de partage entre les Églises émergentes et nombre d’Églises traditionnelles. Comment la pensée de Moltmann éclaire-t-elle cette question ?

 

La grande question en théologie de l’Église (ecclésiologie) est : où voyons-nous l’œuvre de Dieu ? Comment exprimons-nous la communauté et comment sommes-nous formés en communauté ? Pour une grande partie de la théologie traditionnelle de l’Église, l’Église est « la cité sur la colline », un lieu où les gens vont pour entendre parler de Dieu et retournent ensuite à leur vie quotidienne. Dans cette approche, l’Église est un peu comme le Temple, le lieu où l’on rencontre Dieu. Une idée analogue consiste à considérer l’Église elle-même comme le modèle de communauté pour le monde : dans l’Église, les personnes expriment ensemble la vie dans sa globalité. Les gens de l’extérieur voient cela et veulent en faire partie (idéalement). Il y a une séparation nette entre l’Église et le monde. C’est une approche séparatiste à des degrés divers. Cependant, Moltmann proteste contre une telle distinction. Plus qu’une protestation, sa théologie – spécialement sa théologie de l’Esprit – inspire et guide notre façon d’être, comme Jésus, incarnée dans, avec et au milieu de notre propre contexte. L’Église est dans le monde et le monde est dans l’Église, comme le dit Moltmann. Il n’y a pas moyen de séparer vraiment les deux sans faire de distinction artificielle. Bien trop souvent cela fait de l’Église un adversaire de ceux qui sont en dehors, plutôt que de participer au monde dans lequel elle vit, être un bon ‘prochain’ au plein sens scripturaire. La compréhension profonde qu’a Moltmann de l’Esprit et son ample perspective sur la vie et la mission de Jésus (comprenant sa vie entière et son enseignement aussi bien que la croix et la résurrection) offre un modèle et un encouragement à voir ce que peut et doit être un peuple transformé, une présence transformante de tout son environnement.

 

11) Quelles sont pour vous les caractéristiques de la pensée de Moltmann qui la rendent particulièrement pertinente pour les gens d’aujourd’hui ?

 

Grande question ! Moltmann a longtemps eu un intérêt pastoral à sa théologie. Il a été pasteur pendant quelques années après son Master of Divinity et c’est là qu’il rencontra le défi qu’il y a à présenter les questions bibliques et théologiques à des gens aux prises avec les problèmes très concrets de la vie réelle et qui, très souvent, n’étaient absolument pas concernés par les discussions théologiques académiques. Par exemple, une des questions-clefs de son approche de Dieu a été : « Où était Dieu pendant l’holocauste ? » Son expérience de la mort et de l’injustice pendant la seconde guerre mondiale a été exacerbée par le fait qu’il se battait pour l’Allemagne, avec la question cruciale de la culpabilité dans cette guerre. Comment peut-on appréhender Dieu dans cette terreur ? Son œuvre a traité ces questions et les questions apparues depuis – celles concernant l’environnement, par exemple, ou la pauvreté ou le racisme ou le sexisme. Certes, c’est un théologien systématique, mais il utilise cette approche pour s’emparer à la fois de la réalité présente en ce monde et de la façon dont cette réalité nous force à traiter la question de Dieu. En d’autres termes, il est très honnête par rapport aux défis actuels et cherche à les mettre sur la table en tant que questions pour la théologie.

 

12) Le caractère holistique de la pensée de Moltmann nous paraît correspondre à la mutation en cours dans notre culture. Vous mettez en valeur cette caractéristique. Pouvez-vous nous en dire l’originalité ?

 

C’est là que la façon dont Moltmann comprend l’œuvre de l’Esprit Saint apporte une note distinctive. Jusqu’aux trente dernières années, la théologie n’avait pas beaucoup à dire sur l’Esprit Saint. C’est en train de changer et Moltmann est l’un des contributeurs-clef à ce changement. Le sous-titre de l’édition allemande de son livre sur l’Esprit Saint est « Eine ganzheitliche Pneumatologie » ce qui veut dire « une pneumatologie holistique » (En anglais, le sous-titre donne « A Universal Affirmation » et la traduction française titre : L’Esprit qui donne la vie : une pneumatologie intégrale »). En fait, si nous avons une compréhension holistique de l’Esprit de Dieu infusant tous les secteurs de la vie et, si nous comprenons l’œuvre de Dieu comme pénétrant tous les contextes et domaines de la vie, nous ne pouvons avoir une image séparatiste ou autonomiste de l’Église. Tout comme avec les apôtres dans les Actes, l’Esprit travaille de multiples façons et, au lieu d’avoir une conception étroite de son œuvre, nous devrions plutôt chercher à voir où Il est déjà à l’œuvre, nous permettant de célébrer certains éléments des cultures et d’en critiquer d’autres.

 

13) Dans le contexte américain, comment envisagez-vous l’évolution des Églises ? Quel avenir pour le courant de l’Église émergente ?

 

C’est une grande question et pour répondre honnêtement, cet avenir est plein de mystère. Les États-Unis ont une expérience religieuse très différente de celle de la France et du reste de l’Europe, et elle est généralement beaucoup plus positive. L’Église y est donc encore très forte et influente. Cependant cette influence diminue énormément de génération en génération. Nous suivons vraiment la trace d’une grande partie de l’Europe. L’Amérique a une forte tradition de « Renouveaux », de « Réveils ». Je ne sais pas si l’Église émergente pourrait être en première ligne d’un tel réveil, mais elle peut y contribuer en posant de nouvelles questions et en proposant davantage de réponses créatives, en réévaluant la conversation théologique et le ministère. Sur bien des points on pourrait comparer l’Église émergente au mouvement monastique de l’Église primitive – non pas quelque-chose de destiné à tous, mais la proposition d’une voix différente et correctrice par rapport à la grande Église. Après qu’elle ait été déclarée « morte » il y a environ cinq ans, une nouvelle vague de livres et de communautés semble attirer l’attention.

 

14) Dans le contexte de la réflexion théologique américaine, quelle est la réception actuelle de la théologie de Jürgen Moltmann ?

 

Cela concerne presque exclusivement les théologiens et pasteurs formés intellectuellement. Très peu de gens n’ayant pas fréquenté les séminaires en ont entendu parler. Ce qui fait qu’il m’est difficile de parler aux gens du sujet de ma thèse. Il est très lu des théologiens et pasteurs, au-delà de toutes barrières idéologiques.

 

15) Votre thèse de doctorat va être publiée aux éditions Fortress Press. Vous avez précédemment écrit deux livres sur un mode personnel. Vous enseignez la théologie. Vous tenez un blog. Comment communiquez-vous ?

 

Mon cheminement vers le doctorat est parti de mes livres dont les deux premiers visaient plus particulièrement un lectorat populaire. J’adore écrire et explorer l’écriture, et j’essaie d’avancer dans ce domaine. Je pense que la meilleure théologie peut être adaptée à tout niveau de lecteurs. Si nous connaissons bien notre sujet et avons quelque don d’écriture, nous pouvons le communiquer aux gens simples de façon à ce qu’ils comprennent et, dans un autre contexte, nous pouvons communiquer avec les universitaires et les aider à approfondir leur pensée. Je souhaite être capable d’atteindre les deux auditoires – académique et populaire – et cela demande de la pratique.

 

16) Comment envisagez-vous le développement de l’Église transformationnelle au plan international ? Comme votre épouse, Amy, a vécu quelques années en France et que vous êtes maintenant en relation avec Témoins, comment percevez-vous la situation en France ?

 

En fait nous avons tous deux été très surpris d’entendre parler de votre travail car Amy n’était au courant d’aucune recherche du type Église émergente en France. Elle a vécu une expérience dans une paroisse réformée plus traditionnelle à Montauban. Cela dit, c’est une petite église engagée avec la communauté d’une façon qui laisse pointer quelque idéal du type Église émergente. Mon impression est que la France est plutôt une société post-chrétienne et que son histoire religieuse et la philosophie contemporaine laissent la plupart des gens, notamment les jeunes, indifférents à l’engagement religieux. Je crois pourtant qu’il existe une possibilité de renouveau, à la fois parce que les promesses de la laïcité n’ont pas vraiment satisfait les gens et que l’influence musulmane croissante va peut-être les pousser à explorer à nouveaux frais l’héritage chrétien. Je dois cependant confesser mon ignorance et je suis donc tout prêt à recevoir de vous et à apprendre ce que vous faites et ce qui fait écho dans votre contexte.

 

Au niveau international, j’ai entendu parler de petites communautés dans un grand nombre de pays d’Europe et en Australie. Je pense que cela rejoint assez bien ce que l’on a appelé les communautés de base en Amérique latine. Étant donné que les Églises émergentes au sens strict se trouvent d’abord dans les sociétés post-chrétiennes, même s’il existe des modèles similaires dans un contexte mondial, elles sont différentes des Églises émergentes.

 

Interview de Patrick Oden
Questions de Jean Hassenforder
Traduction par Edith Bernard

NOTES

(1)            Depuis plus de dix ans, le groupe de recherche de Témoins partage ses découvertes dans la rubrique : Recherche et innovation. Récemment : « Une autre manière de vivre, de penser et de croire… » ** Voir sur ce site **

(2)            Texte d’orientation, « Hope for the kingdom. Jürgen Moltmann and the emerging church in conversation », a inspiré la réalisation de cette thèse. Il a été immédiatement apprécié par les milieux pentecôtistes : communication en 2008 à la « Society of pentecostal studies », puis article dans le « Journal of Pentecostal Theology ». L’avant-titre est alors : « An emerging pneumatology » (« Une théologie émergente de l’Esprit »). Le texte, disponible sur le web, exprime les affinités et les correspondances entre les aspirations de l’Eglise émergente et la pensée de Jürgen Moltmann dans des termes très accessibles. On pourra consulter ce texte sur le blog de Patrick Oden ** Voir le Blog **

(3)            Pour connaître et apprécier la pensée théologique de Jürgen Moltmann, on pourra consulter la mise en perspective de l’autobiographie de Jürgen Moltmann : « A broad place » : « Une théologie pour notre temps » ** Voir sur ce site **  

         Par ailleurs, un blog : « L’Esprit qui donne la vie » se donne pour but de présenter la pensée théologique de Moltmann à l’intention du grand public francophone ** Voir ce blog ** 

(4)            Sur son blog, Patrick retrace son itinéraire. La thèse de Patrick Oden apparaît comme l’aboutissement de tout un processus : expérience de jeunesse dans des formes d’église émergente, études approfondies de théologie (Wheaton, Ba, 1997), (Fuller, Master in Divinity, 2002), puis une recherche méditative en communion avec la nature et un engagement dans une activité d’écriture, la publication de deux livres : « It’s a dance. Moving with the Holy Spirit » (Barclay Press, 2007) et « How long ? A trek through the wilderness » (Barclay Press, 2011). « It’s a dance. Moving with the Spirit » met en évidence l’œuvre de l’Esprit Saint à travers un récit expérientiel et dialogué. Sa publication a été remarquée et appréciée par des théologiens réputés, et, en particulier par Jürgen Moltmann : « J’ai lu le livre de Patrick Oden avec une admiration croissante. Ce nouveau style de théologie est accueilli avec surprise de chapitre en chapitre. C’est un livre inspiré par la créativité de l’Esprit ». A partir de 2008, à la faculté de théologie de Fuller, Patrick Oden s’engage dans le travail de doctorat qui, au printemps 2013, se termine par la soutenance appréciée de sa thèse : « The transformative church substantiating new models of ecclesiality with the holistic theology of Jürgen Moltmann ». Itinéraire autobiographique de Patrick Oden ** Voir le Blog ** 

Parcours académique ** Voir le Blog **
Blog de Patrick Oden : Ravens ** Voir le Blog ** 

(5)             Située en Californie, Fuller est une communauté universitaire, évangélique, multiconfessionnelle, internationale et multiethnique, qui, au fil des années, a grandi en influence à travers une approche de recherche ouverte. ** Voir la présentation sur Wikipedia **

(6)            Patrick Oden. It’s a dance. Moving with the Spirit. Barclay Press, 2007 (voir note 4). Ce livre a suscité un éloge de la part de nombreuses personnalités, entre autres : Jürgen Moltmann, Eddie Gibbs, Michaël Frost, Carole Spencer…

(7)             « Penser global. Agir local ». Sur Google, recherche avancée, on verra l’apparition et la diffusion de cette parole dans les milieux du développement durable. ** Voir sur Wikipedia **   

(8)            

Moltmann (Jürgen). De commencements en recommencements. Une dynamique d’espérance. Empreinte, 2012. (p. 110)

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