Nous avons quitté notre pays, le Rwanda, en 1994 à la suite des évènements dramatiques qui ont secoué notre pays et marqué l’histoire de l’humanité.

Après avoir séjourné trois ans dans quelques pays d’Afrique, nous avons atterri en France, à Roissy, en décembre 1997.

En effet, l’espoir d’un retour à la paix dans notre pays s’amincissait et nous avons fait le choix de poursuivre notre histoire de vie dans un pays où nous serions en sécurité et de préférence où nous avions des proches : la Belgique. Le Rwanda étant une ancienne colonie Belge, nous avons des proches qui étudiaient ou travaillaient en Belgique à cette époque.

Mais notre avion devait atterrir en France, nous pensions poursuivre notre voyage pour la Belgique en train. Arrivé en France, les choses se sont déroulées autrement. En effet, la législation précisait que toute personne en situation d’exil devait se déclarer dans le premier pays de l’Union Européenne où elle arrivait. C’est ainsi que le terminus de notre chemin d’exil fût la France. Terminus ? destin ? volonté de Dieu ?

Cette longue traversée de notre pays natal jusqu’à aujourd’hui fut jalonnée de multiples rebondissements : des pertes, des changements, intégrations progressives d’autres modes de vie, ruptures et créations d’autres liens, des moments de grande peine mais aussi moments de joie… un récit de vie qui s’écrit.

Ce qui nous a marqué c’est la capacité de l’être humain à s’adapter aux changements, dans nôtre cas du moins, rien n’était planifié et du jour au lendemain nous avons été confrontés à la découverte d’autres cultures passant par les changements de monnaie, de climat, de langue, d’habitudes alimentaires et vestimentaires. Allant à la découverte d’autres schémas de pensées, de méthodes d’apprentissage, de modes de vie en famille et en communauté, de façons de manifester des sentiments tels que la joie ou la peine mais aussi d’appréhender le sens de la vie, bref de penser le monde.

A la relecture de notre trajectoire en France, nous avons été bien accueillis, on a eu tout de suite un toit au-dessus de notre tête et de quoi vivre. Toutefois, nous n’avions pas droit au travail, ni à la formation ; contraints à rester en attente de l’obtention ou pas de statut de réfugiés ; ce fut long même si cela peut paraître illusoire comparé à la situation des migrants, en France, aujourd’hui.

Nous sommes donc restés pendant 3 ans demandeurs d’asile politique, et après tout s’est enchainé très vite : l’obtention d’un titre de séjour, la nationalité française, puis la formation professionnelle, et enfin le travail.

Sur ce parcours, nous pouvons toutefois témoigner de quelques difficultés rencontrées telles que passer 3 premières années en France, sans le droit d’accéder ni au travail, ni à la formation. Ceci a considérablement ébranlé notre identité, notre dignité. Une situation très inconfortable pour nous qui étions habitués à vivre de notre travail.

Nous pouvons également partager l’inconfort lié aux regards croisés, des gestes ou des paroles peu fraternels face aux exilés, y compris au milieu de nos frères et sœurs chrétiens !

A côté de cela, nous avons aussi connu un accueil « merveilleux ». Nous voulons vous partager notre histoire avec notre amie qu’en accord avec nos enfants nous avions surnommée « La perle ».

Nous avons rencontré « La perle » deux mois après notre arrivée en France, à la sortie de la messe dominicale. Ensuite, on s’est retrouvé à la réunion de l’ACAT (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture), mouvement dont « La Perle » faisait partie également. Elle habitait à 20km de notre hébergement pour demandeurs d’asile.

Un jour, c’était pendant l’hiver, « La perle » vient nous voir et nous fait la proposition suivante : « reconduisez-moi à la maison, et vous gardez ma voiture pour pouvoir accompagner les enfants à l’école, chez le médecin, aux activités extra-scolaires, et pour faire les courses. Venez me chercher seulement dimanche pour aller à la messe, et de temps en temps pour m’aider à faire mes propres courses. »

Très surpris, nous avons hésité à répondre ; mais devant son insistance, nous avons accepté la proposition. Nous n’avons pas regretté, surtout pendant les périodes hivernales.

Nous gardons de bons souvenirs des vacances que nous avons passées avec « La perle » dans sa maison de vacances en Arromanches, ou encore des séjours à son appartement de Paris. Parfois, pendant les vacances scolaires, nos enfants y allaient même seuls ou avec leurs cousins et passaient de bons moments avec elle. Elle nous a fait découvrir Paris en balades, ainsi que pas mal de jeux de sociétés sur lesquels nous avons parfois passé de longues heures.

Les dernières années, c’est surtout « La perle » qui prenait le train de Paris, où elle était définitivement installée, pour venir passer quelques jours chez nous. Aujourd’hui, « La perle » est sans doute auprès du Seigneur. Son rayonnement, sa douceur, et sa bonté nous ont aidés à traverser les moments difficiles et nous ont permis de poser notre fardeau. Elle a été pour nous, en quelque sorte une bouée de sauvetage. Grâce à elle, nous avons retrouvé notre dignité et le courage pour envisager l’avenir.

Pour conclure, chacun réserve, à sa mesure, une attention particulière à l’accueil de l’exilé ; notre expérience nous a ouvert le regard à ce sujet. Nous trouvons qu’on confond souvent l’accueil et le fait de fournir à l’exilé les choses matérielles. Devant une personne blessée par la vie, un simple geste, un regard, une attitude fraternelle, peut s’avérer d’une importance inestimable, voire thérapeutique.

Solange et Jean de Dieu BAJYAGAHE

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