Les recherches sur la manière de vivre les relations intergénérationnelles dans le monde du travail ne seraient-elles pas également pertinentes pour le monde ecclésial ? C’est le pari fait par Témoins qui, le mardi 29 mars 2011, à l’église Notre Dame de la Pentecôte située sur le parvis de La Défense, avait invité les responsables d’églises et d’associations chrétiennes à une conférence sur la problématique des rapports entre générations dans l’entreprise.
Quels en furent les grands axes ? Après une courte présentation du contexte qui l’a conduite à élaborer ce rapport pour le compte d’une grande entreprise française, l’oratrice a dégagé trois angles d’approches :
Elle a tout d’abord analysé des questions générationnelles que pose, dans les entreprises en France et même au-delà de nos frontières, la conjonction entre le départ massif des « baby-boomer » d’après guerre et l’arrivée massive de jeunes au style parfois déconcertant pour les séniors : « Comment rendre les entreprises attractives pour les jeunes ? Comment répondre aux attentes supposées différentes des nouvelles générations vis-à-vis du travail ? Existe-t-il un risque de conflit intergénérationnel ? Comment faire rester les seniors ? Faut-il des politiques spécifiques ? »
Elle s’est ensuite interrogée sur des préjugés qui sont à combattre comme : la catégorisation par les âges, dont celle des jeunes en « génération Y » (les moins de 30 ans), est-elle pertinente pour comprendre leurs attitudes face au travail ? Y a t-il chez eux une réelle uniformité de comportement quelque soit leur milieu social ou leur niveau d’études ? Le conflit intergénérationnel est-il inévitable dans l’entreprise quelque soit son mode de gestion des personnels ? Les jeunes sont-ils par nature allergiques au travail et les séniors bons à rien en fin de carrière ? Les réponses apportées par la conférence offrent un éclairage utile et surprenant.
Pour finir, son 3ème angle d’approche consistait à suggérer quelques propositions permettant de relever le défi intergénérationnel. Par exemples : prendre conscience de nos préjugés sur les âges et changer notre regard à ce sujet ; revoir, dans l’entreprise, la conception d’un management trop centré sur la recherche de productivité ; revoir l’organisation du travail en y intégrant davantage la diversité des salariés.
Salarié ou non, chacun a des richesses à mettre au service de tous. Comment favoriser leurs déploiement au sein d’une entreprise ou d’une église ?
L’exposé ** Voir texte exhaustif de la conférence ** et ** voir la bibliographie associée ** – fut alors suivi d’un échange sur les apports que pouvaient en retirer les « gestionnaires » des églises.
Voici le compte rendu des échanges.
Préambule de Marie-Thérèse P. (Témoins):
« L’intuition à l’origine de cette conférence est le constat que ces salariés dont a parlé l’oratrice sont comparables aux personnes qui fréquentent les églises et qu’une église, au sens d’organisation, d’institution a aussi des problèmes de management, d’objectif, de pilotage, d’évaluation des hommes, etc. Les deux univers ne sont pas si différents que cela. Alors, pour ouvrir nos échanges, je vous propose une question toute simple : dans ce que vous avez entendu, qu’est-ce qui vous a étonné ? »
Isabelle B. (ACSER- ** Voir le site **) :
« Ce qui m’a étonnée ? C’est que j’ai tout compris ! Au-delà de cette boutade je me dis que si j’ai tout compris c’est qu’il y a là énormément de bon sens. Ce n’est pas mon métier et je n’ai pas fait d’étude sur ce sujet même si je m’intéresse au monde du travail. Néanmoins j’ai l’impression que ce sont des observations de bon sens dont on s’est écarté et je me demande comment on a pu s’en écarter et comment on va pouvoir y revenir. »
Henri B. (Logoscom- ** Voir le site **) :
« Ce qui m’a étonné ? C’est le soin qu’a une entreprise de ses salariés. Elle a une stratégie. Des gens y travaillent pour savoir comment mieux faire. Le phénomène que j’observe dans les communautés que je fréquente, et qui ont notamment un certain âge, c’est que dans l’église il n’y a pas de management, pas de politique de formation ou d’accompagnement. On travaille beaucoup grâce au bénévolat et aux bonnes volontés or les bonnes volontés sont souvent des personnes à la retraite qui ont élevé leurs enfants et ont du temps. On retrouve donc le vieillissement dont vous avez parlé, et le management réel est celui de la génération des anciens envers la génération des plus jeunes.
Autre chose, avec le groupe de jeunes on assiste à ce phénomène que vous avez évoqué, qui consiste à laisser les équipes fonctionner selon leurs générations. Or quand les jeunes ont 18 /20 ans, on les plonge soudain dans un bain intergénérationnel auquel ils n’ont pas été préparés. ».
Franck T. (mission intérieure luthérienne) :
« J’ai travaillé quelques années en Allemagne avec des bénévoles âgés (on incitait au bénévolat les personnes âgées). Je me retrouve dans ce que vous dites, puisque nous sommes arrivés à la conclusion que pour trouver des bénévoles, il fallait créer un contexte qui soit favorable au bénévolat, ne pas se polariser sur l’absence de bénévole, le manque de bonne volonté des personnes qui ne veulent pas venir alors que l’évangile invite à se sacrifier etc.
Non, c’est à l’organisation, dans ce cas l’église, de changer, de donner le bon cadre pour que les bénévoles puissent s’y épanouir en donnant leur force de travail, leurs compétences, leur engagement pour l’avancement de la cause commune. L’intérêt pour l’entreprise ou la cause commune n’est pas suffisant. L’entreprise ou l’association a la responsabilité de créer les conditions favorables au bon travail pour l’une, au bénévolat pour l’autre. C’est très important.
Ce qui m’a donc étonné c’est que mon cas, situé dans un autre pays, une autre « industrie » (le bénévolat), une autre génération, une autre époque (il y a 20 ans) rejoigne vos conclusions selon lesquelles c’est l’organisation qui doit changer ».
Martine B. :
« Ce qui m’a frappé dans votre exposé ? La place de l’idéal au sens où, pour arriver à vos fins, vous avez besoin de gens hyper compétents, non seulement au niveau professionnel mais encore éthique, psychologique etc. Je ne nie pas que ce soit possible mais, du point de vue de l’église, je dirais qu’en fait vous devez engager des saints ! Cela dit, nous aussi. »
Alain B. (Témoins) :
« Ce qui m’a étonné c’est le souci de l’entreprise pour les gens, pour qu’ils soient suivis et accompagnés, y compris sur le plan médical. Ce n’est pas ce que j’entends, à travers mon fils par exemple, d’autres entreprises où ces « soucis humanitaires » semblent nettement moins pris en compte »
Réponse de L’oratrice :
« Je vais tout de suite répondre sur ce que vous appelez le « souci humanitaire ». Les choses sont infiniment plus pragmatiques. Si les grandes entreprises ne préservent pas la santé de leurs salariés elles risquent de voir se multiplier les arrêts maladie, particulièrement chez les salariés de plus de 50 ans. Et comme l’Entreprise dont je parle, à l’égal d’ailleurs du Royaume Uni, est une entreprise qui autofinance en partie les dépenses de maladie, vous voyez que c’est son intérêt. Une entreprise, quelle qu’elle soit, est de toute façon incitée à prendre en charge la santé pour éviter un fort absentéisme qui serait très pénalisant pour la production. Il existe certes un souci pour la personne mais aussi une nécessité économique bien comprise ».
Un participant :
« Et sur les saints dans votre entreprise ? »
L’oratrice :
« Oh non je pense qu’il ne s’y trouve que des personnes comme Marie-Thérèse et moi ! »
Marie-Thérèse :
« Pour y avoir effectivement travaillé, je pense que les objectifs de management qui nous étaient fixés et sur lesquels nous avons en partie œuvré ensemble étaient des objectifs qui, j’ose le dire, avaient des composantes évangéliques puisque l’un des points sur lesquels s’engageait l’équipe de direction était d’augmenter l’employabilité du personnel, de faire en sorte qu’entre le moment où un salarié arrivait dans notre service et le moment où il en partait, il sache faire plus de choses. C’est une clef du management et nul besoin d’être un saint pour le réaliser, il faut juste comprendre que ça paye. On peut agir au nom de valeurs chrétiennes, mais le fait de se mettre au service de son personnel, en particulier des cadres qui vont, eux, animer les équipes, c’est agir pour sa propre tranquillité. A vouloir tout porter soi-même on va à l’échec. De même, déléguer les choses que l’on aime faire n’est pas facile pour son égo mais c’est la base pour faire en sorte que les gens soient contents de travailler là. Nul besoin d’être un saint pour ça, c’est la logique d’un bon management.»
Un participant :
« Sur ce sujet ne sommes-nous pas davantage interpelés par ce qui se dit dans les média, en particulier sur France Télécom, que par ce que vous venez de nous dire ? »
L’oratrice :
« Aucune entreprise n’est réellement à l’abri de ce genre de difficultés. C’est souvent à la conjonction d’univers personnels et professionnels que se manifeste le malaise des salariés.
On est dans une période que je nommerais de dé-standardisation des modes de vie. Dans nos sociétés modernes l’accent est mis sur l’individu. Il doit porter de plus en plus de choses avec de moins en moins d’institution pour le soutenir. La charge qui pèse sur lui s’accroît et il ne peut plus compter sur le soutien des institutions comme par le passé, car des choses se sont perdues. Du coup, il vit parfois une espèce de déport de ses attentes vers l’entreprise. Il attend beaucoup d’elle et du monde du travail et moins des institutions qu’il a plus ou moins quittées et, comme dans l’entreprise les exigences de performances se sont accrues, la conjonction des deux peut donner effectivement un cocktail très difficile : On veut se dévouer à l’entreprise car c’est un lieu où on se sent une utilité sociale mais les exigences y sont si fortes que l’on croit ne pas donner assez. Dans notre entreprise, nous avons aussi connu des épisodes difficiles qui nous ont conduits à prendre des mesures en interne. Dans ces situations on revient à un management de proximité où l’on est capable de détecter les signes de détresse chez un collaborateur et d’être assez disponible pour alléger sa charge de travail ou lui apporter du soutien »
Un participant :
« On pourrait peut-être regarder maintenant ce qui se passe dans les églises ! On y assiste parfois au moindre engagement ou même au désengagement de pasteurs. Comme les églises ne pratiquent plus le fonctionnariat comme il y a 30 ans si quelqu’un n’assure plus son poste après quelques temps il n’est plus pasteur (en tout cas dans l’église réformée). Or, avec sa formation théologique Bac + 5 il lui est difficile de retrouver un travail. De plus, chez nous, comme chez les catholiques, c’est l’église qui paie la formation pastorale. Il est donc préférable, quand un pasteur traverse une crise, plutôt que de le laisser partir, de l’accompagner dans son parcours professionnel ».
Un participant :
« Cela ne se fait pas aujourd’hui ? »
Bernard J. :
« Oui, mais pas de manière clairement définie. Si un pasteur ressent le besoin d’être accompagné, d’évoluer, ce soutien existe mais il doit le prévoir assez tôt. L’une des difficultés du ministère pastoral est qu’on se lance « dans la carrière » sans toujours savoir ensuite évoluer. On risque de reproduire les mêmes choses sans tenir compte d’un contexte extérieur qui bouge.
J’aimerais revenir sur la question des générations. Le souci de répondre aux problèmes des jeunes par une réponse « jeunes » peut conduire à l’émergence « d’églises de jeunes ». On commence avec la bonne intention d’apporter l’évangile aux jeunes, on pense méthode jeune et l’on propose alors des projets orientés dans ce sens. Parti du principe que les jeunes attirent les jeunes et qu’il y a une évolution naturelle, notamment chez les ados, d’intégration, d’identification de génération, on voit se mettre en place des groupes qui ne correspondent pas vraiment à ce qui était recherché : une spécificité générationnelle. Je suis donc très heureux de vos conclusions sur l’intergénérationnel et la complémentarité à s’apporter les uns aux autres. Elles me réconfortent. Mais c’est évidemment à nous de trouver comment faire passer et vivre cette complémentarité générationnelle pour que chacun y trouve son compte. »
Henri B:
« Comment évaluez-vous le facteur culturel dans vos groupes inter-âges ? Vous vous occupez de métiers techniques, de pose de câbles, de terrassement etc. Cela touche apparemment peu le domaine culturel qui, par contre, peut transparaître dans un message, ou la musique d’un culte par exemple. Cela m’intéresserait de connaître l’impact du facteur culturel dans vos équipes. Est-il faible, moyen ou fort ? Car en réalité l’église est une entreprise culturelle, pas une entreprise de production de bien matériels, et peut-être butte-t-elle sur ce problème là ? »
L’oratrice :
« Ce que vous me dites me fait penser à l’attractivité de nos métiers à l’intérieur de l’Entreprise. Elle est assez curieuse car nos métiers techniques, comparés aux outils utilisés par les jeunes, y souffrent d’une image de manque de modernité. Il faut beaucoup travailler leur présentation pour les rendre attractifs. Les métiers de réseaux notamment sont perçus d’abord comme ceux où l’on travaille dans les intempéries et avec du matériel peu moderne. A l’inverse, le projet d’implantation à domicile de compteurs intelligents qui va progressivement donner une autre image du service aux clients, est, lui, susceptible d’attirer les jeunes. Spontanément, ils se dirigent plutôt vers les métiers de production et encore, dans ces métiers de production préfèrent-ils les projets à la conduite des hommes. La conduite des hommes n’est guère recherchée aujourd’hui. Les jeunes préfèrent un projet d’ingénierie, un projet innovant compliqué à la conduite des hommes qu’ils perçoivent comme la gestion de toutes sortes de petits ennuis quotidiens. Je ne sais si je réponds à votre question mais c’est ce à quoi cela me fait penser. »
Henri B. :
« En réalité, derrière cela il y a aussi un problème culturel. »
L’oratrice :
« Certainement. »
Guy B. :
« Dans les églises, peut-être pas toutes mais en tout cas dans la mienne, le lien entre les anciens et les jeunes se fait tout le temps. Un jeune pasteur qui débute sera avec un pasteur expérimenté, qui ne sait pas tout certes et continue à apprendre, mais il est clair que le « proposant » va d’abord exercer son ministère avec un plus ancien, même s’il existe aussi des temps de rencontres entre pasteurs proposants pour se retrouver et parler ensemble de leurs difficultés.
Par rapport à l’église je suis fort étonné de cet a priori des entrepreneurs pour la segmentation, étonné qu’ils aient pu penser dès le départ qu’il fallait séparer les âges. Cela m’apparaît d’emblée comme une aberration. Dans l’église il y a des groupes de jeunes, des groupes de caté, mais on est dans autre chose que l’entreprise. On vit un processus dont le but est justement de faire église ensemble. Je prendrai deux exemples. Un qui remonte à mon stage de faculté dans les équipes ouvrières protestantes. J’y ai appris que les équipes ouvrières protestantes résultaient d’une espèce de segmentation. En effet, les ouvriers protestants de Sochaux étant parfois élus aux conseils presbytéraux s’y trouvaient en face d’entrepreneurs et autres paroissiens au vocabulaire et au niveau culturel de compréhension différents du leur et « ça ne passait pas ». Le projet initial des équipes ouvrières protestantes avait été de former un groupe d’ouvriers, de leur donner une culture d’église pour qu’ensuite, se retrouvant dans un conseil presbytéral, ils puissent s’y sentir à l’aise. Le problème est qu’au lieu de ça plusieurs se sont regroupés entre eux et ont fait une église ».
L’oratrice :
« Dans cet exemple la segmentation se fait sur la catégorie professionnelle pas sur le générationnel. »
Guy B. :
« Effectivement. Second exemple : Lors des synodes une région organise en parallèle un synode des jeunes tandis que dans les autres les jeunes participent au synode général. Pour l’instant les deux formules marchentparce que le synode des jeunes peut faire des propositions au synode général et qu’elles sont reçues. Et pour les autres jeunes ça fonctionne bien aussi. Le problème qui demeure est que dans les réunions où tous sont présents, on est obligé de dire aux anciens : ne prenez pas toujours la parole, laissez les jeunes parler de temps en temps ! Il y a un problème de sur-égo des séniors qui pensent savoir mieux que les jeunes et devoir donc s’exprimer à leur place. Il est des cas où c’est très gênant. Dans une église tous devraient se dire : je ne suis qu’un parmi les autres, tous ont leur place et je dois la leur laisser. Est-ce ainsi ? Je n’ai pas l’impression. Peut-être a-t-on à changer les êtres humains et ça c’est long »
Michel B :
« Qu’est-ce qui m’a étonné ? D’abord que les préjugés soient quasi universels et que si j’imagine l’église comme une entreprise de Dieu, je dois m’avouer que ceux qui la vendent feraient bien de faire un travail sur les causes du manque de vocation. A mon sens l’une des raisons pour laquelle les jeunes ne s’engagent pas dans une carrière pastorale ou diaconale est qu’on y offre très peu d’accompagnement. Ils se disent : je serai lâché dans la nature sans savoir si je vais pouvoir m’en sortir ! Cette inquiétude se rattache à une problématique encore liée au générationnel, celle du lien au père et à la mère. Beaucoup de jeunes sont en quête d’une sorte de père, une personne qui n’est pas là pour les dominer mais pour les aider à accomplir ce qu’ils ont envie d’accomplir. Dans le regroupement dit intergénérationnel il n’y a pas plus enthousiasmant que l’église vue comme étant au service de l’être humain. Les jeunes sont emballés par cette mission mais ils ont en face d’eux des institutions peu accueillantes et très exigeantes. Il y a un travail à faire pour redonner aux jeunes l’envie de prendre le risque de cette aventure. Nous ne sommes plus dans la génération du baby-boom, celle des aventuriers qui partaient pour Katmandou sans se préoccuper de la retraite. La génération actuelle est totalement différente. Elle calcule beaucoup avant. C’est pourquoi le travail que vous avez réalisé là, c’est du bon sens, une approche de style familial, un modèle de solidarité entre les générations, entre le père, le grand-père, le fils, le petit-fils pour arriver à créer des liens.
La Bible enseigne que c’est aux parents à épargner pour les enfants ; or, le discours politique ambiant dit aux jeunes qu’on va leur laisser des dettes pour 30 et 40 ans, qu’ils vont devoir payer la facture écologique de leurs parents qui ont surexploité et gaspillé les ressource naturelles etc. Bref, les jeunes reçoivent des messages « médiatiques » lourds de responsabilité. Votre exposé est pertinent et pas très éloigné des préoccupations des églises et des problèmes de générations au sein des œuvres que Dieu accomplit »
Philippe L :
« Je suis un encore jeune pasteur de 38 ans et je me sens interpelé par la question de l’accompagnement. C’est un tel besoin dans notre fédération (adventiste) que nous avons créé un poste de « pasteur des pasteurs » et une association pastorale où chaque pasteur est suivi par une personne qui ne s’occupe que de ses préoccupations spirituelles afin d’éviter qu’il se sente seul sur son territoire. Il sait qu’il a un référent neutre qui n’est pas le président de la fédération, qui n’a pas de lien avec l’administration et qui ne lui donnera que des conseils d’ordre spirituel … Il n’y a qu’un référent pour 40 pasteurs. Le système a ses limites mais il a le mérite d’exister.
Une deuxième chose par rapport aux jeunes : on a organisé voici quelques années des assises de la jeunesse pour faire un état des lieux sur comment les jeunes voient leur église. On pensait que si on les organisait avec toute l’église, les jeunes n’auraient ni temps ni cadre pour y participer pleinement. Ce fut un vrai succès. Ils ont pu s’exprimer localement puis au niveau national. Les délégués se sont regroupés, ont analysé les réponses et ont produit un document qui a été retransmis ensuite aux adultes et aux églises. Et les adultes ont réclamé aussi des assises ! Et donc, dans 2 ans, sont prévues, au niveau national, des assises de l’église au sens large où les adultes pourront avoir la parole ! »
Gilles B :
« Je vais dire deux choses paradoxales et contradictoires : la première, que je suis reconnaissant que vous ayez souligné l’idée de normativité qu’amène un certain marketing sociologique, notamment dans la définition des générations, comme étant juste des segments marketing pour vendre un certain nombre de produits et créer des pseudos consciences de groupes chez des publics bien particuliers. Je ne sais pas si dans l’église on réalise à quel point les gens sont infestés par ce discours. Il fonctionne véritablement dans leur tête. Les gens reproduisent ces schémas-là simplement parce que la télévision les leur impose. Or, dans l’église, on s’intéresse à l’intergénérationnel. J’ai été surpris de voir, dans une église où j’exerçais précédemment que, lorsqu’on a demandé aux jeunes s’ils souhaitaient qu’on organise une fois par mois un culte pour les jeunes ils ont répondu : « Non, surtout pas ! » « Pourquoi ? » leur a-t-on demandé. « Mais parce que si on fait ce culte pour les jeunes, ça veut dire que les trois autres seront des cultes pour les vieux. Vous allez encore plus vieillir le culte et vous reconnaitrez qu’il y a une normalisation inverse ». Or effectivement nous avons quelque chose de très fort à proposer pour réunir les générations : la table de la sainte Cène, ou les repas paroissiaux où les gens mangent ensemble. Il n’existe plus de ces lieux dans le reste de la société où tous sont vraiment ensemble.
C’est un point positif mais en même temps, bizarrement, à l’inverse, je vois dans la Bible, avec les apôtres surtout, une forte segmentation : d’un côté les veuves, d’un autre les grecs, d’un autre encore les hébreux etc. Il y avait des sous-groupes, le statut spécifique des femmes à Corinthe, les différents ministères (on en compte cinq, plus le ministère diaconal). J’observe donc une catégorisation importante et une pente naturelle à glisser vers des phénomènes de groupes. Nous l’avons vécu récemment parce que nous avons la chance d’avoir plusieurs cultes. Dès que vous avez plusieurs cultes pour une même assemblée vous ne pouvez pas empêcher que peu à peu chacun prenne plus telle ou telle couleur. Au final on a clairement un culte d’assez vieux, un culte d’âges moyens et un culte de jeunes alors que ce n’était pas du tout le but initial. Cela s’est fait malgré nous. Derrière tout ça nous mesurons la part du non maîtrisable et combien nous ne sommes pas au bout de nos surprises ! »
Franck T. :
« La remarque sur la normalisation dans les églises, le regard sociologique ou générationnel sont très importants parce que le discours officiel est toujours : nous sommes des chrétiens, point barre. C’est vrai. Par contre je ne suis pas une femme, c’est vrai aussi ! Et je suis de plus ceci et cela et tout ça va influencer ma position vis-à-vis de ma foi. Mais peut-être moins fortement que les activités proposées par les églises. Il ne faut pas se fermer les yeux comme l’Etat français quand il prétend ne pas voir si on est africain, asiatique ou breton au nom d’une idéologie de l’égalité qui veut que l’on ferme les yeux et prétend que si on ferme bien les yeux on voit mieux la réalité ! Dans nos églises, sous l’angle sociologique, à mon avis, c’est aussi frappant et la question des générations y est comparable. Elle n’est pas un facteur clivant pour moi, même s’il existe un effet générationnel indéniable. Par exemple, si quelqu’un a vécu la période décisive de sa jeunesse autour de 68 il aura vécu une autre adolescence que celui dont les parents sortaient tout juste de la guerre de 40 et ignoraient le téléphonique parce qu’il coûtait trop cher. Il ne faut pas confondre l’effet âge et l’effet générationnel. L’effet générationnel induit un type d’éducation du fait qu’on a grandi dans un certain cadre qui a posé les bases, les valeurs, à partir desquelles on a évolué. Par exemple, ces valeurs d’après guerre centrées sur le devoir. Aujourd’hui ce n’est plus ça. Si quelqu’un pense impossible de vivre sans être constamment connecté aux média, il aura une autre manière de faire église que celui qui se souvient qu’après les bombardements le téléphone ne marchait plus, et le reste non plus !
C’est ça l’effet générationnel, ce qui a marqué dans la jeunesse et dans l’adolescence. On le voit bien dans nos églises avec, par exemple, les nouvelles technologies. Ou on les utilise ou on les laisse hors de l’église quand les responsables ne comprennent pas pourquoi il faut communiquer maintenant avec les nouvelles technologies. C’est qu’ils ne connaissaient pas ça quand ils étaient jeunes. »
Henri B. :
« Moi j’y accolerais le terme culturel et je ne suis pas tout à fait d’accord quand vous parlez de différences générationnelles moi je dis différences culturelles. C’est la culture qui est différente et j’ai l’impression que la différence culturelle est moins forte dans une entreprise qui fabrique des produits, qui a des services et qui développe également une culture assez forte. L’église, elle, est davantage confrontée à la culture ambiante mais elle fabrique aussi ses codes et donc une culture très forte.
L’oratrice :
« En effet, j’ai avancé rapidement dans l’exposé, sans développer, faute de temps, les différences de classe d’âges, de générations. Je n’avais pas la possibilité de le faire mais je suis d’accord avec vous. Ce que j’ai simplement voulu dire c’est que des classes d’âges ont été marquées par des faits collectifs tels que l’après guerre, ou mai 68 comme cela a été rappelé mais qu’aujourd’hui les marqueurs sont différents. Ce qui unit les jeunes ce sont peut-être moins les faits historiques auxquels ils sont confrontés ensemble que les modes de consommation. »
Fin du débat. Et remerciements.
Françoise Rontard