J’ai lu une méditation sur un calendrier 2005. A la fin, il y avait une question qui me semblait pertinente et qui venait à point : “… Et moi, dans mon XXIè siècle, où la technique nous offre tant de puissance, serais-je un gardien de ma planète ou son pilleur ?”
Il me semble important de nous rappeler l’importance et le sens de la responsabilité. Il y a un “principe responsabilité” qui doit émerger de nos réflexions et de nos comportements. J’emprunte cette expression “principe responsabilité” à Hans Jonas . C’est toute son oeuvre, harmoniser la réflexion ontologique de l’Être ( à la suite de Heidegger) mais en lui donnant une profondeur éthique. Ce sera celle de la responsabilité, et, entre autres, de la responsabilité vis à vis de la nature. C’est une ontologie ancrée dans le devenir des choses qui souligne leur caractère transitoire et éphémère. La vulnérabilité à laquelle est exposée l’existence humaine exigerait, selon Jonas, une conscience d’autant plus aiguë de la responsabilité à son égard.
“La nécessité s’en est imposée parce que notre action d’aujourd’hui, sous le signe d’une globalisation de la technique, est devenue si grosse d’avenir, au sens menaçant du terme, que la responsabilité morale impose de prendre en considération, au fil de nos décisions quotidiennes, le bien de ceux qui seront ultérieurement affectés par elles sans avoir été consultés. La responsabilité nous en incombe sans que nous le voulions, en raison de la puissance que nous exerçons quotidiennement au service de ce qui est proche, mais que nous laissons involontairement se répercuter au loin. …Jamais une époque n’a disposé d’une telle puissance – de surcroît constamment et nécessairement active -, ni porté une telle responsabilité.” ( Hans Jonas, Pour une éthique du futur – Sur le fondement ontologique d’une éthique du futur, Ed. Payots & Rivages, 1998, p69-70).
Je mentionnerai un autre auteur, John Brunner, afin d’illustrer et questionner le sens de la responsabilité. John Brunner est un auteur de science fiction qui a écrit un livre “Le creuset du temps” . Je trouve que ce type de littérature souligne un trait particulier qui revient souvent par le fait que la grande majorité des auteurs ne font que transposer, dans d’autres époques et d’autres lieux, exactement les mêmes problèmes que nous connaissons aujourd’hui, avec un énorme manque d’imagination sur le fond ( n’étant pas spécialiste dans ce domaine, je peux donc me tromper) . On a ainsi une “science fiction écologique”, une “science fiction dénonçant les méfaits de la civilisation technicienne”, etc. Par contre, je perçois dans Brunner un de ces auteurs de science fiction qui est capable d’imaginer. Dans ce livre, il imagine une planète peuplée de plantes, ayant développé une forme propre d’intelligence. Ce peuple de plantes a, en particulier, développé un grand savoir en matière d’astronomie et d’astrophysique. Probablement parce qu’une plante, non seulement dépend des rayonnements solaires, mais fixe en permanence le ciel, par disposition de sa propre constitution. Elle a amplement le temps d’y penser. – Voilà un beau rappel pour nous humains dont la constitution profonde rappelle que nous sommes fait à l’image de Dieu, celui qui habite dans ce lieu nommé ciel !
L’histoire du livre consiste en ceci : ce peuple de plantes a compris grâce à son savoir, que, au terme d’une très longue durée, leur planète allait être percutée par un autre astre et donc détruite. Et tout le livre nous conte le récit de ce peuple de plantes qui, sur des millénaires, va se mobiliser pour parer à cette catastrophe et développer la capacité à échapper à sa propre destruction.
Voici bien la question que nous pouvons nous poser : et si l’espèce humaine, au lieu d’avoir les yeux et le regard posé sur la face du visage, au dessus du nez, à regarder devant soi, voire vers le sol (si le dos se voûte, c’est à dire à très faible distance, ignorant, sauf à des rares instants, ce qui se passe au dessus de lui) avait les yeux disposés au sommet du crâne ? Bien entendu, un bon darwinien ( que je ne suis pas) nous expliquerait que, pour qu’il en soit ainsi, il faudrait que les dangers viennent du ciel et non des êtres que nous pouvons voir “à hauteur d’homme”. Mais pourquoi pas ? Si donc, nous humains, avions les yeux logés sur le sommet du crâne et orientés vers le ciel, est ce que nous n’aurions pas développé une toute autre philosophie et des pratiques de vie toutes différentes, proches, pourquoi pas?, des plantes… Et n’est ce pas, d’une certaine manière, l’un des problèmes majeurs qui nous est posé dans notre devenir actuel ?
Revenons sur terre ! Ces questions nous placent face à cette responsabilité ultime qui est la nôtre. Le regard vers le ciel, cette dimension métaphorique qui surpasse notre vision limitée, tel un miroir, nous renverrai cette image précise, fulgurante, que notre planète subit, à cause de notre cupidité et de notre puissance indépendante, les effets nocifs causés par sa propre matrice ( homme et nature). Il y a une cause à ces effets, une cause hélas souvent repérée et annoncée : la négligence envers le créateur produit par extension celle envers la créature, donc aussi la nature. La nature souffre les douleurs de l’enfantement, certes, mais il y a aussi les douleurs de la délaissée qui se révolte. Dieu, ne l’oublions pas, est celui qui ” ( Le Fils) soutient toutes choses par sa parole puissante” après avoir ” par lui ( le Fils) aussi créé l’univers.”. Ainsi la négligence de l’homme envers le jardin “terre”, celle aussi envers le créateur “Dieu”, produit des évènements amères : destruction de la nature et son corrélat réactif : sa révolte ( entendue comme étant une action hostile à l’égard de l’homme) !
Quelle est donc notre responsabilité ? Celle de rappeler que si nous ne devons pas négliger “mère nature” mais la préserver et la garder, il nous faut hâtivement retrouver notre lien avec “frère humain” sans lequel “mère nature” risque de souffrir de plus en plus et faire subir sa révolte en souffrance, tel un agent réactif, sur celui qui en est le conservateur et la sentinelle, l’humain ! Et puis, sans trop m’étendre, j’oserai penser, non seulement pour le jeu de mot mais pour mon propre jeu d’esprit, un autre lien à retrouver, “Père créateur”, qui sous-tend, à mon sens, tout le reste et dont l’importance est sans égal. Il est à la base de tous les modes d’existences. Retrouver ce lien avec “Père créateur” c’est restaurer le lien avec celui qui relie “Mère nature” à “frère humain”. Il est producteur de lien. Il est ce Dieu, Père de toute chose, mot choisi mettant en scène le rapport intrinsèque unique qu’il y a entre l’intimité d’un père et son savoir/pouvoir en tant que créateur avec l’objet de son amour qui est aussi celui de son ouvrage. La nature et l’homme sont son œuvre. Notre responsabilité est de construire et vivre une éthique qui prenne en compte l’alliance de ces trois entités…Cependant, là, Hans Jonas ne me suivrait pas puisque l’idée de “transcendance”, surtout dans le sens religieux du terme, lui apparaît obsolète.
1. Hans Jonas( 1903-1993), philosophe allemand, a aussi fait des études en théologie et en l’histoire de l’art. Son œuvre majeure est le livre suivant : “Principe Responsabilité – une éthique pour la civilisation technologique” ( 1979)
2. Terme technique philosophique désignant l’étude de ce qui touche à l’être des choses.
3. John Brunner “Le creuset du temps”, ed. Le livre de poche, 1990, 600p. ( ed. Robert Laffont, 1985)