Beaucoup d’entre nous gardent en mémoire les ballades dominicales de notre enfance dans les bois. Les souvenirs des cabanes éphémères, de la cueillette des champignons ou encore de la traque au animaux sauvages s’impriment en nous comme une marque sur l’écorce d’un arbre. La rubrique Bien vivre famille de l’hebdo La Vie N° 3803 nous invite à redécouvrir les plaisirs de l’aventure forestière. Pourtant aujourd’hui il n’est pas toujours facile d’arracher les enfants aux écrans. Les forêts sont pour nombre d’entre nous un univers dont le fonctionnement nous échappe. Il peut aussi s’agir d’un monde effrayant car méconnu, où l’on peut se perdre.
Depuis quelques années les scientifiques s’attachent à étudier et à mieux comprendre ce milieu et la vie des arbres en particulier. Comment fonctionnent les arbres? Quelles relations ont-ils avec leurs congénères? C’est ce que s’attache à expliquer Peter Wohlleben dans La vie secrète des arbres aux éditions Les Arènes, bestseller vendu à des millions d’exemplaires et dont la couverture verdit les panneaux publicitaires du métro parisien. Nous y découvrons un monde fascinant, aux propriétés et aux capacités surprenantes et insoupçonnables.
L’auteur , garde forestier allemand, livre avec passion ses années d’observation, d’expériences et d’études sur la vie des arbres en milieu naturel (forêts non cultivées). Par exemple la notion du temps y est très lente. En effet un hêtre a une durée de vie moyenne de 400 ans (contre 80 à 100 maximum en exploitation sylviculture). L’arbre est un exemple d’éloge de la lenteur.
Durant sa vie, l’arbre est en constante lutte contre les espèces concurrentes, mais aussi contre les spécimens de la même espèce pour l’accès à la lumière céleste. Mais ce que nous savons moins c’est que les arbres sont aussi capables de solidarité avec leurs semblables. Ils s’entraident dans les moments difficiles. Par exemple, si un parasite attaque un spécimen, celui-ci va produire une hormone (odeur) qui avertit les autres arbres afin qu’ils se protègent en produisant une substance qui repousse le parasite. Les végétaux ont également la capacité de communiquer entre eux. Ainsi à travers leur système racinaire, ils s’échangent des informations (toucher). Grâce à leur impressionnant réseau de racine, étendu tel une toile sous terre, prolongé par des filaments (champignons) les arbres communiquent les uns avec les autres et s’échangent même des nutriments en cas de difficulté (sécheresse…). Ce réseau de racines d’étend sur des kilomètres et est très dense : dans une cuillère à café de terre, les scientifiques ont recensé 1 kilomètre de filaments! La vie sous terre est d’une richesse inimaginable, il y a par exemple dans une poignée de terre forestière plus d’organismes vivants que d’êtres humains sur terre!! Cela est possible grâce aux effets du cycle des saisons sur les végétaux vivants à l’état naturel. Malheureusement, les forêts naturelles, sauvages, c’est-à-dire non exploitées par l’homme, sont de moins en moins nombreuses. C’est non seulement une perte considérable pour la biodiversité de notre planète mais cela a aussi des conséquences sur notre vie sociale. Il a en effet été étudié qu’une ballade en forêt avait des effets apaisants sur notre organisme et sur nos relations sociales : ” Le lien avec la nature est indispensable pour nous sentir plus zen, plus humain… Par elle, on reconnait notre fragilité, on ne peut être dans la toute-puissance, ni mené par l’argent[1]“.
Selon les observations de Peter Wohllenben nous apprenons également que les arbres ont des stratégies, collectives ou individuelles, de développement, de défense, de migration, de formes ou de reproduction. Il écrit : “En matière de lutte contre les amateurs de jeunes pousses tendres, les peupliers suivent une stratégie qui mise sur l’opiniâtreté et la quantité. Ils peuvent être broutés et encore broutés des années de suite par des chevreuils ou des bovins, leur système racinaire n’en continue pas moins de lentement s’étendre. Il en émerge des centaines de rejets qui au fil du temps forment de véritables buissons. Un seul arbre peut ainsi s’étendre sur plusieurs hectares, parfois même beaucoup plus, dans certains cas extrêmes. La Fishlake National Forest, dans l’Etat de l’Utah, héberge un peuplier de plus de 40 000 troncs qui s’étend aujourd’hui sur 43 hectares pour un âge estimé à plusieurs milliers d’années. Cet organisme extraordinaire, qui ressemble à s’y méprendre à une vaste forêt, a été baptisé Pando.[2]“.
Nous connaissions le rôle primordial des forêts dans l’équilibre environnemental de notre planète, mais c’est un monde beaucoup plus subtil et émouvant que nous découvrons à travers cet ouvrage. Nous apprenons que les arbres se différencient aussi par leur caractère propre et individuel: prudents, audacieux ou impatients selon les sujets. C’est quasiment une approche anthropomorphique que nous propose l’auteur afin de sensibiliser les lecteurs à l’importance du maintien de l’équilibre naturel à travers les forêts. Les villes auraient même tout intérêt à réintégrer des espaces naturels : climatisation naturelle, biodiversité, baisse du stress…
“Quand un arbre tombe, on l’entend ; quand la forêt pousse, pas un bruit” dit le proverbe africain. Ce livre est une invitation à tendre nos oreilles vers l’appel de la forêt.
Fred Menigoz
[1] La vie n° 3803 p. 62
[2] La vie secrète des arbres, Peter Wohlleben, p. 196.