Le récent livre de Bernard Sesboüé sur « La théologie au XXème siècle et l’avenir de la foi » (1) nous paraît un livre majeur. En effet, il nous apporte un éclairage sur l’évolution de la théologie catholique durant cette période. Théologien jésuite, Bernard Sesboüé est professeur émérite à la faculté de théologie du Centre Sèvres à Paris.
Pour situer la réception de son discours, on peut avancer que c’est un théologien largement reconnu non seulement parmi ses pairs, mais aussi dans les milieux dirigeants de l’Eglise catholique en France, même si ses positions sur certains points ont déplu aux esprits les plus conservateurs. Bernard Sesboüé s’exprime à ce sujet avec humour : « Je ne prétends pas avoir eu beaucoup d’idées neuves en théologie. J’essaie simplement de comprendre les choses et d’avoir aussi quelques convictions. J’ai été longtemps considéré comme très « classique », pour ne pas dire conservateur parce que j’ai un sens très grand de la tradition. En quelques circonstances, j’ai cependant fait l’expérience que le métier de théologien demandait du courage quand, en mon âme et conscience, j’étais amené à dire des choses qui ne plaisaient pas ? C’est ce qui m’est arrivé en France à propos des ministères. Mes réflexions « n’ont pas plu » et cela m’a valu d’être moins consulté qu’auparavant… Mon désir est d’être courageux dans les deux sens : Quand j’estime que quelque chose appartient à la foi, je le dis et je le soutiens. Quand la foi laisse ouverte une porte, je n’hésite pas à la franchir et à mettre au service de l’Eglise des possibilités nouvelles… » (1a).
Ce livre prend la forme d’entretiens de Bernard Sesboüé avec l’éditeur Marc Leboucher dont les questions stimulantes animent le propos. Le style très clair des réponses permet d’entrer dans la compréhension d’enjeux majeurs pour l’intelligence de la foi.
Ce livre met en évidence la profonde transformation accomplie par la théologie catholique au cœur du XXème siècle. Nous chercherons à mieux comprendre les processus qui sont intervenus dans ce changement. Puis nous nous demanderons dans quelle mesure la crise actuelle de l’Eglise catholique en France ne s’explique pas en partie par des entraves à la poursuite de ce processus.
I. UNE THEOLOGIE EN MUTATION
À partir de la lecture de cet ouvrage, le lecteur ordinaire, sans qualification théologique, entrevoit la situation de la théologie au début du XXè siècle, une situation qui va progressivement se dissiper.
« La théologie classique de l’époque scolastique dont celle des temps modernes a longtemps hérité », s’organise en terme de « structuration rationnelle du contenu de la foi et de construction de systèmes théologiques » (1b). Ainsi, à propos de la Trinité, on ne partait pas d’abord de la révélation de Dieu en Jésus-Christ, de l’intervention concrète des trois noms divins dans l’histoire du salut et du jeu de relations qui en découle et à travers lequel l’homme est appelé. On parlait donc autrefois « du Dieu un, puis du Dieu « trine » avant de parler de l’incarnation. « Le mystère de la Trinité apparaissait comme isolé et comme très abstrait. On voyait mal comment il pouvait intéresser une vie chrétienne… » (1c). À nos yeux, cette séparation entre la doctrine et la vie peut être interprétée comme l’expression d’une division entre enseignants et enseignés et de la suprématie d’une idéologie imposée d’ en haut.
* Les Pères de l’Eglise.
Bernard Sesboüé nous montre par quels chemins la théologie catholique va évoluer, en fait, entrer dans une grande mutation. Et le premier chapitre sur « Les Pères de l’Eglise, témoins de la jeunesse de l’Eglise » est une remarquable introduction. Marc Leboucher met bien en scène la démarche initiale lorsqu’il déclare : « Vous avez souhaité partir des Pères de l’Eglise. J’avoue que cela m’étonne parce que le point de départ de la foi, c’est l’événement du Christ, son enseignement et l’Evangile qu’il nous a laissé » (1d). Bernard Sesboüé rappelle alors l’état de la théologie catholique au début du XXème siècle : « Le rapport à la source n’allait plus de soi ». Le changement s’est opéré à travers un double mouvement : un retour à l’Ecriture et aussi un retour aux Pères de l’Eglise et à l’histoire. « Le XXème siècle, comme le soulignera le P. Congar à propos de Vatican II, a pris une distance à l’égard du IIème millénaire, plus proche et qui le conditionnait au départ, pour se retourner vers le premier millénaire ». Les écrits des Pères de l’Eglise renvoient à la source évangélique « parce qu’ils sont d’abord et avant tout une lecture de l’Ecriture. Le terrain d’envol de la théologie chrétienne, ce sont les Ecritures dans leur totalité » (1e).
B. Sesboüé nous montre comment ce mouvement a permis de contourner les barrages, les obstacles érigés par les conservateurs : « Ce retour aux Pères de l’Eglise en amont de la scolastique ( la théologie autour de Thomas d’Aquin) a été vu au départ par certains théologiens scolastiques et romains d’un fort mauvais œil… Ce dont ces théologiens ne voyaient pas l’intérêt, c’est précisément ce qui a fait l’effet d’un air frais et neuf : un langage beaucoup moins technique que le langage des scolastiques, et donc plus proche à la fois de l’Ecriture et de l’expérience humaine fondamentale, bref la sève de la foi » (1f). Ce mouvement a nourri la démarche globale du Concile Vatican II « comme un retour au premier millénaire par-delà le second » . Le renouveau patristique, la redécouverte des Pères de l’Eglise, a permis le développement d’un nouveau paradigme. « Cette démarche apparemment innocente et modeste a été le ver dans le fruit de la méthode élaborée dans les temps modernes pour traiter un dossier dogmatique », laquelle partait « d’une proposition doctrinale ». Ecriture et tradition étaient instrumentalisées. Elles avaient perdu leur force d’interpellation constante… » (1g).
* Une inspiration nouvelle dans des domaines clé
Les chapitres suivants s’inscrivent dans ce mouvement. Ils nous montrent comment une inspiration nouvelle est apparue dans des domaines clé comme le mystère trinitaire, la christologie, l’ecclésiologie, l’oecuménisme. La mise en perspective apportée par B. Sesboüé est passionnante. Et, en même temps, à plusieurs reprises, il montre, avec beaucoup de profondeur, le sens spirituel de ces conceptions théologiques.
° Le mystère trinitaire.
Ainsi, sur la Trinité, en regard de la doctrine du passé, dont le souvenir entraîne encore des rejets, B. Sesboüè décline la manière dont, à partir de la lecture du Nouveau Testament, cette vision est non seulement redevenue actuelle, mais fait sens. La Trinité n’est plus « l’énigme notionnelle qu’elle état quelque peu devenue dans la théologie des temps modernes : comment trois peuvent-ils être un ? La Trinité est maintenant un mystère religieux d’amour, le mystère de l’amour de Dieu pour nous, qui se révèle être amour en lui-même » (1h). Cette vision répond à la prise de conscience actuelle de l’importance majeure de la dimension relationnelle, qui apparaît, entre autres, dans l’Eglise émergente.
° La Christologie.
À la suite d’un chapitre très instructif sur « Jésus de l’histoire et Christ de la foi », B. Sesboüé montre comment à nouveau on est passé d’un ensemble d’informations doctrinales à une vision globale fondée sur les Ecritures. « La Christologie ne peut plus se contenter de développer les affirmations des premiers Conciles. Elle doit d’abord remonter en amont au témoignage de l’histoire de Jésus dans les récits du Nouveau Testament compris à la lumière de la résurrection… Dans le domaine trinitaire, nous avons vu que le retour aux sources est largement passé par la référence patristique. Ici, le retour est encore plus radical. Le retour de la Christologie à l’Ecriture est le grand événement qui a affecté cette discipline… » (1i). Ainsi s’appuie-t-on désormais sur « le témoignage de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus de Nazareth, proclamé par les chrétiens, Christ et Seigneur ». La Christologie affirme « l’identité entre Jésus de Nazareth et le Christ ressuscité… ce que Jésus a prétendu être pendant tout son ministère prépascal, sa résurrection le confirme ».
° La médiation de Jésus et la justification par la foi.
Dans cette avancée théologique, Bernard Sesboüé met l’accent sur deux aspects majeurs pour la compréhension du salut : la médiation de Jésus et la justification par la foi. « Le salut apporté par le Christ nous rend bénéficiaires d’une double libération : libération de notre finitude créée qui nous fait communiquer à la vie même de Dieu et libération de notre finitude pécheresse, qui restaure notre liberté et nous réconcilie avec Dieu. Il est bien évident que nous avons à répondre librement dans la foi à cette offre de salut de Dieu. Le don n’est véritablement un don que lorsqu’il a été reçu par le donataire. Pour que le salut s’accomplisse, il faut donc que se correspondent les deux mouvements de la médiation, celui qui vient de Dieu vers l’homme et celui qui, venant de l’homme, retourne à Dieu. Le Christ, vrai Dieu et vrai homme, et constitué de ce fait unique médiateur entre Dieu et les hommes, a accompli les deux mouvements de médiation, celui qui va de Dieu vers l’homme que l’on peut appeler mouvement descendant, et celui qui va de l’homme à Dieu, celui du retour que l’on peut appeler mouvement ascendant » (1j).
Le terme de justification s’inscrit dans cette dynamique. C’est la justice salvifique qui accomplit par grâce les promesses de Dieu. « Elle rend justice au pêcheur en lui faisant grâce et en lui redonnant l’amitié divine… » La déclaration commune sur la justification de 1999, entre luthériens et catholiques, met en valeur l’importance de cette vision chrétienne dont B. Sesboüé sait montrer le sens profond : « La justification par la grâce moyennant la foi, nous dit tout simplement que nous existons pour Dieu, que nous sommes reconnus et aimés par lui de façon absolue. Notre existence est « justifiée » aux yeux de Dieu, car nous avons du prix à ses yeux, comme le dit le prophète Esaïe (43,4). La grâce de Dieu n’est rien d’autre que sa bienveillance amoureuse et inconditionnelle dans son a priori à notre égard. Elle pardonne gratuitement mes péchés, pour que je me tourne vers Dieu… » (1k).
° Ecclésiologie.
Au début du XXème siècle, on retrouve, dans le domaine de l’ecclésiologie « un hiatus analogue à celui qui a été noté en Christologie à la même époque ». Certes, au XIXème siècle, quelques théologiens allemands avaient « commencé à vouloir sortir du carcan de l’ecclésiologie néoscolastique qui ne s’intéressait qu’à la structure institutionnelle et hiérarchique de l’Eglise … C’est ce que le P. Congar appelait… « la hiérarchologie ». « Le mouvement ecclésiologique en Europe n’a démarré qu’après la Première Guerre mondiale au moment où se fait la première prise de conscience de la rupture de fait entre l’Eglise et le monde moderne » (1l). « Le premier développement concerne la conception de l’Eglise, corps mystique du Christ. Il se produit là une rencontre entre le renouveau théologique et les aspirations des fidèles. L’Action catholique s’est faite le haut-parleur de cette théologie du corps mystique. L’Eglise n’était plus une affaire livresque, abstraite, de pure hiérarchie, mais devenait une grande famille, appartenant au Christ et faisant partie de son mystère. Le centre de gravité de la réflexion sur l’Eglise passe ainsi du côté visible, institutionnel et extérieur au côté spirituel et mystique » (1m).
B. Sesboüé montre ensuite comment un certain nombre de théologiens catholiques, entres autres le Père Congar et le Père de Lubac, vont, à contre courant et parfois au prix de persécutions, engendrer une nouvelle ecclésiologie qui va nourrir et inspirer la conception de l’Eglise qui triomphe, dans son principe, au Concile Vatican II. Et, dans le cadre de celui-ci, il met en valeur la dynamique des tendances nouvelles. Nous reviendrons sur son analyse réaliste des obstacles qui se sont mis par la suite en travers des réformes permettant de traduire l’esprit nouveau dans les pratiques de l’Eglise catholique.
° Œcuménisme.
La mutation théologique intervenue dans l’Eglise catholique au cœur du XXème siècle a permis l’entrée de celle-ci dans le mouvement œcuménique. Ce que nous avons précédemment rapporté du livre de B. Sesboüé montre, chapitre après chapitre, un retour à la sève commune. Mais, là aussi, la lutte des pionniers catholiques en faveur de l’œcuménisme a rencontré bien des brimades et des résistances. « L’Eglise catholique doit reconnaître que sa conversion œcuménique a été plus tardive que celle des autres » (1n). Après une maturation des esprits, l’ouverture œcuménique a triomphé au Concile Vatican II à la suite de l’engagement courageux du pape Jean XXIII et du ralliement d’une grande majorité des évêques.
* Une mutation théologique.
Au total, au long de ces chapitres, Bernard Sesboüé nous montre une histoire impressionnante par la puissance et la persévérance de ce courant de pensée et par l’ampleur des changements intervenus dans la théologie catholique. Nous sommes en présence d’une véritable mutation, d’un changement de paradigme. Ce livre nous fait connaître un fait dont la réalité n’est pas toujours connue au-delà des cercles spécialisés. Beaucoup de gens ne sont pas vraiment encore au courant des pas de libération qui ont été accomplis à cette période. Que dans le passé une telle évolution ait été possible est évidemment une bonne nouvelle ! Cependant, aujourd’hui, non seulement des questions nouvelles appellent de nouveaux cheminements de pensée, mais ce sont les pratiques d’Eglise qui, à notre sens, requièrent des changements radicaux. À partir d’une approche historique et sociologique, nous allons donc nous demander quelles leçons nous pouvons tirer de cette histoire pour des stratégies de changement, en sachant que nous sommes évidemment dans une période caractérisée par l’accélération du changement social, culturel et technologique. Nous analyserons ensuite les manifestations institutionnelles qui ont fait et font obstacle à l’évolution de l’Eglise catholique, engendrant ainsi, pour une bonne part, la crise de l’Eglise catholique, particulièrement en France.
II. UNE EGLISE EN QUETE DE LIBERTE.
Pour analyser le processus qui a porté le grand mouvement décrit par Bernard Sesboüé, nous disposons du travail d’un historien : Etienne Fouilloux qui lui a consacré un livre remarquablement instruit et perspicace : « Une Eglise en quête de liberté. La pensée catholique française entre modernisme et Vatican II. 1914-1962 ) (2). Cet ouvrage permet de mieux comprendre la maturation qui a précédé le Concile Vatican II. En présentant à la fois les cheminements et les résistances, il peut, par analogie, nous aider à analyser la situation actuelle. En recommandant la lecture de cet ouvrage, nous lui empruntant quelques matériaux pour préciser les caractéristiques de la théologie autrefois dominante, pour décrire quelques uns des courants qui ont permis d’en sortir, pour analyser le contexte : les mouvements culturels qui ont favorisé cette évolution et les obstacles puissants qui s’y sont opposés.
* Le point de départ.
B. Sesboüé nous a déjà aidé à appréhender les principales caractéristiques de la théologie autrefois dominante associée au pouvoir romain. Etienne Fouilloux nous permet de préciser le tableau.
Il montre les contours de la théologie issue de Thomas d’Aquin, « le thomisme », qui joue le rôle d’idéologie officielle. Certains s’y opposent directement. D’autres voient dans cette théologie une dégénérescence d’une pensée qui a eu sa fécondité. C’est le cas du dominicain, Marie-Dominique Chenu qui, très attaché à la pensée du XIIème et XIIIème siécles, « stigmatise, sous le terme de « théologie baroque », toute la production de cette école de la fin du Moyen Age jusqu’à l’aube du XXème siècle : cinq siècles de dépérissement au moins entre un apogée et une renaissance pendant lesquels la profusion des commentaires n’a fait qu’ensevelir la pensée de Saint Thomas ou de ses grands contemporains sous des milliers de pages formalistes et desséchées… On ne saurait se passer de formes pour appréhender le réel, mais faute d’évoluer au rythme de celui-ci, elles deviennent vite un obstacle à sa compréhension. En prise avec son temps lors de son apogée, la scolastique s’est ensuite ossifiée dans des formes étrangères au monde moderne. Le formalisme l’a emporté sur le réalisme… » (2a).
Au passage, si le thomisme de cette époque est évidemment associé au catholicisme, on peut se demander s’il ne porte également plus généralement la marque de principes abstraits engendrés par la période « moderne ». En faisant référence aux théologiens allemands de l’école de Tübingen, Chenu déclare ainsi : « Avec eux (Drey, Möhler, Scheeben), c’est l’intellectualisme abstrait de l’Aufklärung et son indifférence à l’égard de l’histoire que nous repoussons, péchés connus qui ne furent pas sans contaminer la scolastique moderne candidement solidifiée dans la foule des manuels » (2b). Cette réflexion évoque pour nous une approche de John R. Franke, théologien américain, dans son introduction au livre de Brian McLaren : « Generous orthodoxy » (3). En effet, il y a bien aujourd’hui encore des séquelles d’une conception abstraite de la connaissance héritée de la période moderne et aujourd’hui relativisée par le contexte postmoderne. Aux Etats-Unis, Hans Frei, théologien à Yale, cherche ainsi à dépasser l’opposition frontale entre conservateurs et libéraux, en proposant une approche qui rejette le « fondationalisme philosophique » qui caractérise à la fois les théologies conservatrices et libérales. Le « fondationalisme philosophique » se réfère à une conception de la connaissance qui a émergé des lumières et dans laquelle la crainte de l’incertitude se traduit par des principes abstraits visant à l’universalité.
Le thomisme conservateur induit également une attitude qui va à l’encontre d’une approche qui construit la connaissance à partir de l’observation, et plus généralement de l’histoire et des sciences humaines. Pour sortir de cette théologie, il fallait donc « une révolution copernicienne qui fasse passer d’une appréciation de la réalité déduite des principes logiques et doctrinaux à une théologie induite des faits sans recours à une métaphysique désuète » (2c). On pourrait ajouter également que cette théologie conservatrice méconnaît la dimension de l’expérience humaine et a ainsi été contrebattue par le philosophe Maurice Blondel à travers une philosophie de l’action.
Bref, cette théologie est en porte-à-faux par rapport à la culture nouvelle qui commence à émerger dès la première moitié du XXème siècle.
Cependant, comme on l’a vu, cette théologie conservatrice est également un instrument au service d’un pouvoir qui la défend par des brimades, des sanctions, des persécutions contre les théologiens novateurs, un comportement totalitaire tout simplement scandaleux aux yeux de l’homme d’aujourd’hui. L’opposition aux nouvelles approches théologiques est une manifestation d’une volonté de pouvoir et de contrôle. C’est ce qu’exprime ainsi Etienne Fouilloux : « Ce que le magistère ne peut admettre, c’est moins tel ou tel point du catalogue des suggestions réformistes que leur justification intellectuelle, une théologie tendue entre l’expérience chrétienne et ses sources fondatrices, qui tend à minorer le rôle régulateur de l’autorité et qui refuse l’omnipotence de son outil conceptuel, un thomisme d’école jugé obsolète » (2d). Ces censeurs sont bien les héritiers de ceux qui se sont opposés, au cours des âges, à la liberté spirituelle.
* Les courants novateurs.
Plusieurs courants ont participé à la promotion des idées nouvelles. Nous en citerons deux : les dominicains au Saulchoir, les jésuites à Fourvières.
° Le courant dominicain.
Au Saulchoir, Marie-Dominique Chenu, en lien avec les aumôniers et dirigeants de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, veut développer une pensée chrétienne sur les grandes questions du monde, ce qu’il appelle extraire « des lieux théologiques en actes », notion qui fera fortune, trente ans plus tard, sous le nom de « signes des temps », formule de Jean XXIII dans laquelle Chenu se reconnaîtra avec joie. Elève et longtemps proche collaborateur de Chenu, Yves Congar voue son travail au dévoilement du « vrai visage » de l’Eglise face aux déformations qui la défigurent. Il ouvre simultanément deux chantiers connexes : ecclésiologique et œcuménique. Car, seule la restauration du « vrai visage » de l’Eglise peut, à ses yeux, en rapprocher les chrétiens séparés . Dès 1937, est lancée la collection « Unam sanctam » afin qu’une notion de l’Eglise vraiment riche, vivante, pleine de sève biblique et traditionnelle, pénètre vraiment la chrétienté ».
° Le courant jésuite.
À Fourvière, une génération de jésuites ayant vécu très jeunes, l’expérience de la Grande Guerre, y ont découvert la richesse du dialogue avec des français d’autres origines. Ils perçoivent le déphasage de la théologie traditionnelle et, en regard, l’apport de Maurice Blondel. C’est là que naît également un projet de traduction de textes patristiques qui se concrétise en 1937 dans la naissance de la collection : « Sources chrétiennes ». Henri de Lubac et Jean Daniélou voient dans cette entreprise un moyen de développer une théologie nouvelle délivrée de l’hégémonie thomiste. « Les Pères grecs ont tracé la voie d’une lecture de la Révélation unifiée par en haut et non cloisonnée en compartiments plus ou moins étanches … Théologie en actes, qui sourd de l’expérience des premières communautés chrétiennes, et théologie mystique où les symboles jouent un rôle capital, la théologie des Pères comble l’appétit du vécu et de mystère des contemporains que décourage le brouet rationalisant de l’enseignement délivré sous l’étiquette thomiste » (2e).
° Le retour aux sources.
Face à l’accusation de déviance, on utilise « le mécanisme de retour aux sources aussi vieux que le christianisme lui-même » (2f). Dans le contexte institutionnel, ce retour aux sources ne prend pas la forme du retour direct à la Bible, au Nouveau Testament qu’il a emprunté au moment de la Réforme. Bernard Sesboüé, lui aussi, met l’accent sur le ressourcement apporté par le recours aux Pères de l’Eglise. Les conséquences de la collusion qui s’établit au IVème siècle entre l’Eglise et le pouvoir impérial, la césure qui s’établit ainsi avec la mémoire vivante de la première Eglise, sont peu présentes dans cette approche. Aujourd’hui pourtant, on commence à évaluer le bilan de la chrétienté (4). La Réforme protestante s’inscrit d’ailleurs dans une opposition au « paradigme catholique romain médiéval » si bien décrit par Hans Küng dans son livre : « Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire »(5). Nous recommandons la lecture de ce remarquable panorama dans lequel le Nouveau Testament est le critère sur lequel se fonde la relecture de l’histoire de l’Eglise dans une perspective globale et œcuménique. Et, bien sûr, cette approche est source d’exigence.
* Les chemins et les facteurs du changement.
Quand on mesure la puissance et la prégnance du climat conservateur dans l’Eglise catholique au cours de cette première moitié du XXème siècle, on se demande comment la théologie nouvelle a pu émerger. Sur le registre de la foi, on y verra l’œuvre de l’Esprit. Mais à travers quelles médiations a-t-il pu agir ? Et pour revenir à une approche historique, on appréciera la part des acteurs, des hommes de foi, intelligents et courageux, parmi lesquels émergent quelques grands noms dont la présence sera marquante au Concile Vatican II. Cependant, plus généralement, on peut percevoir des transformations profondes dans la société et la culture qui vont jouer en faveur du changement théologique.
Il y a tout d’abord l’évolution profonde des mentalités engendrées par la Grande Guerre, puis par la seconde guerre mondiale. Ces guerres ont suscité un brassage des hommes qui a mis fin aux enfermements dans lequel le monde catholique se retranchait bien souvent. Cet effet a été très important. Etienne Fouilloux nous montre par exemple comment les jésuites qui vont jouer un rôle majeur dans le développement des idées nouvelles, ont acquis une grande ouverture dans leur participation à la Grande Guerre. Après 1920, « la relève est assurée presque immédiatement par une seconde génération de religieux qui effectueront, non sans mal, la percée décisive. Nés en 1896 ou 1897, et entrés dans la Compagnie de Jésus en 1913 ou 1914, ils basculent dans la guerre après un noviciat trop court pour leur avoir permis de contracter l’habitus ignatien. D’une certaine manière, c’est la guerre qui constitue leur véritable noviciat, au sens le plus large du terme… Ils y vivent une sorte de passion physique et morale qui les marque à vie, tout comme la découverte des misères, mais aussi des richesses du peuple français dont leurs origines sociales et leurs choix religieux risquaient de les couper à jamais. De cette expérience capitale, naît un double constat : impuissance radicale de l’apologétique classique, trop extérieure aux hommes qu’elle entend convaincre pour y parvenir ; urgente nécessité d’en inventer une autre qui prennent en compte les ressources insoupçonnées de cette humanité que son éloignement des autels n’a pas sevré d’espérance » (2g).
De la même façon, la guerre 1939-1945 suscite une grande créativité. Le brassage dans les camps de prisonniers ouvre un dialogue qui aura des effets à long terme. Sur place, en France, un mouvement s’affirme également. Comme l’observe Etienne Fouilloux, « Une telle floraison paraît trop massive pour être fortuite ; trop univoque aussi dans le sens d’une évolution réformiste, voire plus radicale à la Libération, des attitudes, des positions et des comportements religieux »(2h). Les circonstances nouvelles appellent des initiatives. Et la pression des conformismes se relâche. Etienne Fouilloux note ainsi la « distension des liens hiérarchiques ». Un espace de liberté apparaît en fonction du discrédit de certains dignitaires locaux et de l’éloignement de l’autorité romaine.
On peut noter enfin que durant l’ensemble de ces décennies, on prend conscience de l’éloignement de la foi dans une vaste population en rapport avec le manque de pertinence des propositions de l’Eglise traditionnelle. En regard, les initiatives missionnaires foisonnent. C’est la naissance des grands mouvements de jeunesse et de bien d’autres innovations.
Et pourtant, il y a parallèlement d’autres facteurs qui s’opposent au développement d’une théologie nouvelle. La lecture d’une « Eglise en quête de liberté » permet d’identifier clairement les obstacles. De fait, l’adversaire est le pouvoir romain à travers le contrôle totalitaire qu’il exerce à l’encontre des théologiens novateurs. A contrario, les périodes ou l’étau se desserre sont le siège d’une grande créativité. Etienne Fouilloux en note deux : À partir de 1926, les années qui suivent la rupture de Rome avec l’Action Française et les années de la seconde guerre mondiale.
Nous avons évoqué le dynamisme du courant de la nouvelle théologie en France. Et pourtant, dans une Eglise fortement hiérarchisée, au vu des travaux historiques, il semble aujourd’hui que ce courant n’aurait pu déboucher sans l’ouverture inopinée du Concile Vatican II. « La théologie nouvelle était l’objet d’une surveillance de tous les instants et de sanctions ciblées qui la maintenaient dans un état oscillant entre une liberté sous caution et la quasi clandestinité. Tout raisonnement téléologique en termes de précurseurs ou d’avant-gardes d’un Concile alors improbable est donc dépourvu de fondement. La théologie nouvelle serait restée une alternative virtuelle et sans avenir si la décision d’un pape… ne lui avait donné l’occasion de faire valoir enfin le travail accompli depuis près de trente ans. En 1958, le récent raidissement romain ne lui laisse, à vues humaines, que bien peu d’espoirs sur ce point. Comment oublier que la période ici étudiée est celle de germinations qui auraient pu ne jamais éclore ? » (2i)
* Une histoire instructive.
Pourquoi donc rappeler cette histoire en contrepoint du livre de Bernard Sesboüé qui nous a si bien exposé la mutation de la théologie catholique au XXèME siècle ? De fait, cette histoire est instructive encore pour aujourd’hui.
En réponse au manque de pertinence de l’institution et de son enseignement, des hommes se sont levés et ont formé des courants qui, malgré de nombreux obstacles, sont parvenus à générer un nouvel horizon théologique. S’ils ont pu le faire, c’est aussi parce qu’ils ont été portés par un changement culturel et notamment le décloisonnement provoqué par deux guerres successives. La forteresse institutionnelle n’a pu empêcher les contacts, les questionnements, les initiatives. Et, par ailleurs, insensiblement, la culture globale a évolué. Les systèmes dogmatiques ont été remis en cause par un nouvel esprit plus inductif tel qu’il se manifeste en histoire et dans les sciences humaines.
Aujourd’hui aussi, la culture et la société sont en pleine transformation, et de plus à un rythme infiniment plus rapide qu’autrefois. L’historien Henri Mendras a pu parler de « Seconde Révolution Française » (6) en évoquant la période 1965-1984. Le décloisonnement se poursuit aujourd’hui à vive allure à travers la mondialisation. Un nouveau style de communication émerge à travers Internet. Tout cela a pour conséquence l’apparition d’un grand espace de liberté par rapport aux institutions traditionnelles.
L’autre enseignement que l’on peut retirer est la puissance conservatrice du pouvoir romain. À cet égard, Etienne Fouilloux met en évidence une capacité de blocage redoutable allant jusqu’à dire que, sans l’ouverture du Concile, la théologie nouvelle n’aurait pu se révéler. Dans notre prochain développement sur la crise de l’Eglise catholique en France, nous allons constater que cet obstacle est toujours présent.
III. UNE EGLISE EN CRISE ET L’AVENIR DE LA FOI.
Avant d’évoquer les rapports entre théologie et spiritualité chez ses confrères jésuites, Bernard Sesboüé consacre son dernier grand chapitre à « L’avenir de la foi et à l’avenir de l’homme ».
* Les défis du changement culturel.
Pour répondre à cette interrogation, il commence par dresser un tableau des rapports entre l’Eglise catholique et la culture au cours du XXème siècle. S’il y a bien une trame commune, l’auteur distingue, à juste raison, les questions spécifiques correspondant aux deux moitiés de ce siècle. Dans l’avant-propos du livre, l’interlocuteur de Bernard Sesboüé, Marc Leboucher pose une question redoutable : « Comment se fait-il que le grand siècle de réflexion doctrinale sur l’Eglise se soit achevé par une large désertification des églises en Occident ? » (1o).
À vrai dire, cette équation est complexe et de nombreux facteurs doivent être pris en considération .
B. Sesboüé met en évidence l’ampleur de la révolution culturelle intervenue depuis 1960. À nos yeux, c’est un phénomène complexe qui peut susciter des jugements positifs et négatifs. Le croisement de ce phénomène avec l’héritage religieux dépend évidemment des caractéristiques de celui-ci. Ici, dans un chapitre précédent : « Eglise et modernité », B. Sesboué avait remonté le temps long au cours des derniers siècles pour poser la question des réactions du christianisme vis-à-vis de la modernité : « Pourquoi la foi chrétienne a-t-elle si mal réagi devant le développement de la modernité ? Pourquoi la crise inévitable que devait engendrer cette mutation de l’humanité s’est-elle largement traduite par un conflit majeur et durable avec la modernité ? Et, dans cet examen, il a l’honnêteté et le courage de reconnaître les erreurs commises par l’Eglise catholique dans plusieurs tournants majeurs et aussi le comportement plus pertinent « des Eglises issues de la Réforme, en particulier dans le monde anglo-saxon » (1p).
Cependant, le changement des mentalités qui s’opère actuellement, s’il s’inscrit dans une histoire des idées à long terme, nous paraît devoir être interprété également en fonction de transformations techniques, économiques et sociales profondes et rapides. Les outils de l’histoire et de la sociologie sont là pour nous aider. Nous renvoyons à nouveau le lecteur au livre d’Henri Mendras : « La Seconde Révolution Française. 1965-1984 » (6). Depuis quelques années, nous disposons d’une remarquable analyse des effets de ce changement sur le paysage religieux durant la même période. En effet, le livre de l’historien, Henri Pelletier sur : « La crise catholique. Religion, société, politique » (7) permet de comprendre de l’intérieur les grandes transformations intervenues dans les années 1965-1978. L’analyse de ce tournant capital vient éclairer le déroulement des années ultérieures.
Le Concile Vatican II est intervenu juste avant l’accélération du changement culturel et social des dernières décennies. Il visait à « l’aggiornamento » de l’Eglise catholique, c’est à dire sa mise à jour dans tous les domaines. « Le pape prenait acte du dangereux décalage qui avait grandi de manière continue dans le monde ecclésial et le monde tout court. L’Eglise se proposait de se réformer en profondeur. Cette intuition est à la base de la réforme liturgique… de la conversion à l’œcuménisme et au dialogue avec les autres religions, de l’actualisation de sa doctrine sur l’Eglise et sur la révélation, de l’élaboration d’un nouveau discours sur « l’Eglise dans le monde de ce temps », et enfin la reconnaissance de la liberté religieuse » (1q).
Pourquoi alors le déclin rapide de la pratique catholique au cours de ces dernières décennies ? « Vatican II n’est , à mon sens, pour rien dans cette évolution », nous dit B. Sesboüé. « Je dirais même que les orientations du Concile ont permis à la pastorale de mieux résister… Si l’Eglise avait abordé cette crise dans l’attitude qui était la sienne sous le règne de Pie XII, les choses eussent été bien pires » (1r). Mais ne peut-on aller plus loin dans l’analyse ? Bien entendu, le changement culturel et social est si considérable que toutes les Eglises dans tous les pays d’Europe (8) peinent à y faire face et sont confrontées au déclin. Ces difficultés tiennent pour une bonne part à la forme institutionnelle de ces Eglises. Comme le montre la sociologue Danièle Hervieu-Léger (9), les aspirations spirituelles ne sont pas en recul. Au contraire ! Mais elles s’inscrivent dans un comportement nouveau, ce qu’elle appelle « l’autonomie croyante ». « Le fait nouveau, c’est que les grandes églises ne sont pas en mesure de fournir des canaux, des dispositifs organisationnels de ces croyances. Aujourd’hui l’idée même que les institutions prescrivent en quelque sorte de l’extérieur, de grands codes de conduite aux individus, est de moins en moins supportée dans une société comme la notre… ». Engagés dans une recherche personnelle pour donner sens à leur vie, « les gens ressentent le besoin d’en rencontrer d’autres qui leur disent : cela fait sens pour toi, cela fait sens pour moi. Ils ont besoin de reconnaissance. Face à ce besoin de validation , les grands dispositifs institutionnels sont aujourd’hui de moins en moins pertinents… Actuellement, des dispositifs de reconnaissance en réseau se développent massivement et mettent les individus en présence sur le mode de l’échange personnel et subjectif permettant une logique individualiste, mais aussi réciproque de validation mutuelle ». Dans cette situation, on peut observer des variations sensibles entre les Eglises dans leur capacité de se transformer pour répondre à ces nouveaux comportements. La question posée à l’Eglise catholique pourrait donc être celle-ci. Face à l’accélération du changement, l’effort de rénovation commencé au Concile s’est-il poursuivi et accru à la mesure des temps nouveaux ? C’est à cette interrogation que nous allons maintenant chercher à répondre à partir des données et des réflexions qui nous sont apportées par le livre de B. Sesboüé.
* Une Eglise en crise
Manifestement, Bernard Sesboüé connaît bien la situation actuelle de l’Eglise catholique en France. Et il l’évoque en termes mesurés, mais clairs : «Aujourd’hui, ce n’est plus le maillage culturel, ou les institutions latérales -fort importantes au demeurant- qui sont menacées, mais le squelette institutionnel, c’est à dire le maillage pastoral de base, sa présence minimum sur le terrain paroissial et sa capacité à assurer les taches administratives minimum à la campagne comme à la ville. Nous sommes au bord de l’implosion du maillage paroissial » (1s). Et, à l’arrière plan, il y a le déclin de nombreux indicateurs.
À nos yeux, cette situation dépend pour une bonne part, d’une évolution plus générale : une institution en crise en raison du conservatisme et de l’immobilisme de ses dirigeants. On pourra lire à ce sujet le livre d’un prêtre australien, Gerald A. Arbuckle : «Refonder l’Eglise » (10). À partir d’une approche de sciences sociales, l’auteur montre comment, face à une tâche difficile, le leadership a été défaillant. À la fin du chapitre sur « Le siècle de l’Eglise », Bernard Sesboüé constate les coups d’arrêt portés au processus conciliaire.
« On a pu constater, à la fin du règne de Paul VI et beaucoup plus durant le pontificat de Jean-Paul II, une volonté de reprise en main centralisatrice par le magistère romain… La collégialité a bien été reconnue et affirmée à Vatican II. Elle n’est pas encore vraiment passée dans la chair et dans le sang de l’Eglise… De fait, elle a été neutralisée, là où elle pouvait redistribuer les cartes en quelque sorte, c’est à dire ouvrir l’Eglise à des initiatives et des inspirations venant des divers continents. Le synode triennal des évêques à Rome a vu son règlement devenir si rigoureux qu’il interdisait tout débat réel entre les évêques… À tout ceci, il faut ajouter une politique très orientée dans le choix des évêques, qui, en bien des cas, privilégiait l’esprit de soumission à Rome… » (1t).
Dans ces conditions, la réflexion théologique pour une nouvelle conception des ministères se heurte à nouveau au pouvoir romain. Et ce blocage se traduit sur le terrain par un immobilisme des pratiques. Comment susciter une Eglise créative si on ne lui permet pas de s’organiser en conséquence dans une répartition nouvelle des responsabilités ? À propos de différents dossiers, Bernard Sesboüé est conscient de ces enjeux, mais dans la condition qui est la sienne, il n’élève pas le ton.
Pourtant il perçoit bien les enjeux. « J’ai parlé de l’implosion de notre maillage pastoral qui, à force de rassembler les paroisses, nous conduit à une pastorale de diaspora ». Il appelle une « nouvelle figure de l’Eglise » traduisant « une figure nouvelle de la foi qui est déjà celle d’un certain nombre de communautés et qui descende dans l’ensemble du peuple des chrétiens et devienne attractive pour les non chrétiens et leur donne le goût de croire » (1u). Mais, ajoute-t-il, « cette mutation (requiert) et entraîne toute une conversion des mentalités par rapport aux représentations encore courantes sur le christianisme et sur l’Eglise. Ce qui nous est demandé, c’est tout le contraire d’une restauration du passé ou d’un repli identitaire. Nous devons regarder vers l’avenir et nous sommes en quelque sorte condamnés à inventer… Nous pouvons être le creuset d’une nouvelle étape de l’Eglise… » (1v).
Les différentes Eglises en France sont toutes appelées à développer cette créativité à travers laquelle le Saint Esprit pourra œuvrer. Cependant, comme nous venons de le voir , les blocages internes qui affectent l’Eglise catholique portent atteinte à ce processus. Dés lors, à la suite de l’histoire d’un siècle que nous venons d’évoquer, l’interpellation majeure porte sur le statut et l’exercice de l’autorité dans l’Eglise catholique.
Au terme de ce parcours, la mise en évidence de la mutation accomplie par la théologie catholique est un constat de première importance. En effet, non seulement cette mutation a une portée spirituelle et favorise une intelligence de la foi, mais elle s’inscrit dans un mouvement œcuménique et lui ouvre les portes pour de nouvelles avancées. Mais, en même temps, d’un bout à l’autre de cette histoire, le même obstacle apparaît : un pouvoir qui s’exerce dans les termes d’une époque dépassée, celle de la monarchie absolue. Aujourd’hui comme hier, nous en mesurons les graves conséquences. Cependant, à vive allure, la société et la culture continuent à changer. Aussi, la recherche de pertinence, présente d’un bout à l’autre de cette histoire, est, encore et davantage, un enjeu majeur… Les Eglises chrétiennes sont appelées à apporter de nouvelles expressions (11)…. La foi chrétienne se communique dans de nouveaux espaces et de nouvelles formes. Ainsi, pour emprunter un regard dont nous avons évoqué l’origine et la signification, soyons attentifs aux « signes des temps ». L’Esprit de Dieu est toujours en mouvement.
Jean Hassenforder
Février 2008
NOTES
(1) Sesboüé (Bernard). La théologie au XXè siècle et l’avenir de la foi. Entretiens avec Marc Leboucher. Desclée de Brouwer, 2007. Ia p.198 ; 1b p.11 ; 1c p.53 ; 1d p.11 ; 1e p.14 ; 1f p.22 ; 1g p.31 ; 1h p.59 ; 1i p.118 ; 1j p.143 ; 1k p.214 ; 1l p.165 ; 1m p.166 ; 1n p.202 ; 1o p. 8 ; 1p p.241 ; 1q p.301 ; 1r p.325 : 1s p.324 : 1t p.186 ; 1u p.331 ; 1v p.332
(2) Fouilloux (Etienne). Une Eglise en quête de liberté. La pensée catholique française entre modernisme et Vatican II. 1914-1962. Desclée de Brouwer, 1998. 2a p.135,139 ; 2b p.139 ; 2c p.138 ; 2d p.306 ; 2e p.185 ; 2f p.304 ; 2g p.175-176 ; 2h p.95 ; 2i p.306
(3) McLaren (Brian D.) A generous orthodoxy. Zondervan, 2004 Cf : site de Témoins, groupe de recherche, perspective (Une théologie pour l’Eglise émergente..)Lire l’article
(4) Murray (Stuart). Post-Christendom. Church and mission in a strange new world. Paternoster, 2004 . Cf : site de Témoins, groupe de recherche, perspective (Faire Eglise en post-chrétienté)Lire l’article et article publié dans Hokhma (N° 89, 2006)
(5) Küng (Hans). Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire. Seuil, 1994.
(6) Mendras (Henri). La Seconde Révolution Française 1965-1984. Gallimard, 1994 (folio)
(7) Pelletier (Denis). Une crise catholique. Religion, société, politique (1965-1978). Payot, 2002.
(8) Davie (Grace). Europe. The exceptional case. Parameters of faith in the modern world. Darton, Longman and Todd, 2002. Cf : site de Témoins, groupe de recherche, bibliographie (Le christianisme en Europe)Lire l’article
(9) Hervieu-Léger (Danièle). L’autonomie croyante. Questions pour les églises. Témoins, N°138, mars-avril 2001, p.12-13 (Cf : site de Témoins, groupe de recherche, perspective Lire l’article). Voir aussi : Hervieu-Léger (Danièle). Le pèlerin et le converti. La religion en mouvement. Flammarion, 1999.
(10) Arbuckle (Gerald A.). Refonder l’Eglise. Dissentiment et leadership. Bellarmin, 2000
(11) À propos de nouvelles formes d’Eglises. Perspectives missionnaires, N°51, 2006/1
Références: Groupe “Recherche” Témoins