En France, au cours des dix dernières années, des événements successifs, de l’affaire du voile à la mise en exergue des sectes, montrent combien certains milieux, bien introduits dans la politique et dans les médias, développent aujourd’hui une allergie vis à vis de tout phénomène religieux échappant à leur compréhension, induisant ainsi en conséquence peur et agressivité, un climat propice à la stigmatisation et à la fabrication de « boucs émissaires ».
Certes,il y a bien sûr, une vigilance à exercer vis à vis des comportements de certains groupes qui s’enferment sur eux mêmes et peuvent ainsi engendrer des formes pernicieuses de manipulation. Les dérives sectaires sont bien une réalité. Mais, si les problèmes engendrés par les « sectes » requièrent effectivement attention et mise en garde, et, au delà, une relation d’aide pour ceux qui sont tombés dans le piège, ils suscitent chez certains une crainte obsessionnelle qui aboutit à ce qu’en d’autres lieux et à certains moments de l’histoire, on a pu appeler « une chasse aux sorcières ».
Ainsi saluons le dossier paru sur cette question dans un numéro de Témoignage Chrétien en date du jeudi 1er février 2007 (1). Car, en faisant le point sur cette question, ce dossier apporte des éléments de jugement et ouvre la voie d’un discernement.
Les pièges de la désinformation
Quelle attitude adopter vis à vis des « sectes » ? Des approches différentes sont possibles comme le souligne le titre du dossier : « Division face aux sectes ». Journaliste à Témoignage Chrétien, Jérôme Anciberro met d’abord en perspective le rôle des différents intervenants en ce domaine. Il met en évidence la légèreté de certaines affirmations présentes dans les rapports de la Commission parlementaire sur les sectes et de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Un bon exemple est le chiffre de 60000 à 80000 enfants menacés de maltraitance en contexte sectaire, avancé récemment par la Commission d’enquête parlementaire. « Parmi ces enfants, 45000 vivent dans les familles Témoins de Jéhovah. Les cas de maltraitance d’enfants de Témoins de Jéhovah attestés par les tribunaux sont quasi inexistants… Comme le déclare Jean-Arnold de Clermont, président de la Fédération Protestante de France, « on peut être en désaccord profond avec les Témoins de Jéhovah, sans pour autant les stigmatiser ». On attendrait d’organismes officiels, une étude objective des situations d’autant que nous disposons en France d’excellents chercheurs en sciences sociales capables d’analyser et d’interpréter les faits religieux. De fait, ceux-ci sont écartés.
Dans le contexte d’une crainte diffuse, la différence est, dans ce domaine, immédiatement perçue comme une menace. Cette attitude transparaît dans des bulles médiatiques. « Le 17 décembre 2006, le journal de 20 heures de TF1 diffusait un petit reportage sur les « sectes » en banlieue, truffé d’erreurs et d’amalgames. On y apprenait -alors que cette distinction n’a pas de sens en droit français- que les religions « reconnues » avaient le droit de diffuser publiquement leur message, à la différence d’autres, « non reconnues », tels les Témoins de Jéhovah. Les protestants évangéliques y étaient allègrement assimilées à des « sectes » sans aucune précision. Qu’un tel reportage soit diffusé sur la chaîne la plus regardée de France en dit long sur l’incapacité de médias disposant de moyens considérables, à appréhender la complexité du fait religieux. Mais aussi sur l’utilisation systématique et facile d’une grille de lecture, en terme de sectes, simplificatrice à outrance ».
Une pratique ouverte de la laicité.
Face à ces dérives, dénoncées au plan international, par le rapporteur de l’ONU sur la liberté de religion, la France n’est pas sans atouts et sans défenses. On connaît l’approche vigilante du Conseil d’Etat pour faire respecter une application de la laicité qui garantisse la liberté de conscience. C’est dans la même perspective que se situe Didier Leschi, chef du Bureau des Cultes au Ministère de l’Intérieur. Son interview, recueillie par Jérôme Anciberro, est une pièce essentielle du dossier publié par Témoignage Chrétien.
Son rôle, nous dit-il, est de veiller au respect de l’ordre public et non pas de juger les croyances : « Beaucoup d’activités, pas nécessairement cultuelles, sont susceptibles de dérives qui peuvent mettre en cause l’intégrité physique, morale ou matérielle des personnes. La focalisation sur certains groupes s’apparente beaucoup plus à un jugement sur la croyance de ces groupes qu’à leur activité en tant que groupes. Depuis 2000, il y a , sur ce point, une continuité de la pratique administrative avec quatre Ministres de l’Intérieur successifs : dés lors qu’il n’y a pas de constatation de trouble à l’ordre public, il n’y a pas de raison, dans le cadre de la loi de 1905, de ne pas accorder à tel ou tel groupe cultuel, les bénéfices liés au statut d’association cultuelle ».
A quoi tient donc la passion qui s’exprime actuellement en France sur la question des sectes ? Didier Leschi répond en ces termes : « Pour des raisons à la fois nationales et sans doute internationales, il y une peur du religieux dans certains secteurs de la société. Et certains courants religieux minoritaires, parfois mal connus, sont soumis, plus facilement que d’autres, à la stigmatisation ».
Interprétations historiques et sociologiques.
Cette réponse rejoint les interprétations des sociologues que nous avons cherché à mettre en perspective dans une précédente étude publiée sur ce site : « Les rapports entre le politique et le religieux. Halte aux guerres de religion (Recherche, nouvelle). Les analyses de ces sociologues , en particulier Jean Baubérot, Sébastien Fath, Danièle Hervieu-Léger et Jean-Paul Willaime, sont là pour nous aider à comprendre les situations et pour faciliter ainsi l’évolution des mentalités. Ainsi, dans plusieurs de ses livres (2), Danièle Hervieu-Léger montre comment l’inquiétude actuelle s’inscrit dans une évolution historique marquée par la croissance de l’autonomie des individus et l’affaissement conjugué de l’Eglise catholique et du camp laic. Et elle appelle au développement d’une « laicité médiatrice ».
La crise s’accompagne d’une réactivation des tendances jacobines et centralisatrices : « une culture politique de la généralité » (Pierre de Rosanvallon), une opposition aux « pluralités de la société civile » (Jacqueline Costa-Lacoux). Et, comme le souligne Jean-Paul Willaime, sur le plan des idées, « il reste, chez certains, un parti-pris philosophique considérant qu’être religieux, c’est, d’une façon ou d’une autre, ne pas être libre » (3). Un autre sociologue, grand expert de la laicité en France, Jean Baubérot, vient d’écrire un livre au titre significatif : « L’intégrisme républicain contre la laicité »(4).
Avec d’autres, nous pensons que les dérives que nous avons évoquées, s’inscrivent comme les soubresauts d’un monde ancien confronté à une mutation de la société et de la culture en cours depuis plusieurs décennies en France et dans un mouvement qui s’exerce à l’échelle internationale.
A une époque ou les droits de l’homme sont devenus une référence commune, il y a là une grande cause qui vaut pour tous. Ce dossier de Témoignage Chrétien a le mérite de nous le rappeler.
Jean Hassenforder
4 01 2007
(1) Division face aux sectes. Un dossier élaboré par Jérôme Anciberro. Témoignage Chrétien, jeudi 1er février 2007, p.14-19. Coordonnées : Témoignage Chrétien. 49, rue du Faubourg Poissonnière. 75009 Paris . Tél : 01 44 83 82 82. www.temoignagechretien.fr
(2) Hervieu-Léger (Danièle). Le pèlerin et le converti. La religion en mouvement. Flammarion, 1999 ; Champion (Françoise), Cohen (Martine) éd. Sectes et démocratie. Seuil, 1999 ; Hervieu-Léger (Danièle). La religion en miettes ou la question des sectes. Calmann-Lévy, 2001.
(3) Willaime (Jean-Paul). Europe et religions. Les enjeux du XXI è siécle. Fayard, 2004. (Pour un accès aux références précises correspondant à cette mention et aux mentions précédentes, se reporter à l’étude citée dans le corps de ce texte : Hassenforder (Jean). Les rapports entre le politique et le religieux (Site de Témoins. Groupe de recherche. nouvelle.)
(4) Baubérot (Jean). L’intégrisme républicain contre la laicité. Ed. de l’Aube, 2006. On consultera également le blog de l’auteur : jeanbauberotlaicité.blogspirit.com, riche en analyses et en commentaires sur les questions abordées dans cet article.