Le changement de notre culture appelle un regard nouveau sur les réalités spirituelles. Comment pouvons-nous discerner les émergences qui se manifestent dans la mouvance de l’Esprit et, à partir de là, les accompagner. On peut percevoir cette dynamique dans la proposition d’une « Pastorale d’engendrement » telle qu’elle nous est présentée par Philippe Bacq et Christoph Theobald et telle qu’elle nous est rapportée ici par Gabriel Monet.
Depuis plusieurs années, Gabriel Monet participe au groupe de recherche de Témoins. Il prépare actuellement une thèse de doctorat sur le processus de l’Eglise émergente. Professeur de théologie pratique à la Faculté adventiste de théologie, Gabriel Monet anime un site sur les questions relatives à la prédication : « l’homilétique » : ** Voir le site : www.homiletique.fr **. Il y a publié en janvier un texte : « Pour une homilétique d’engendrement ». Aussi interrogeons-nous ici Gabriel sur un regard nouveau : une manière d’envisager et d’accompagner la naissance et le développement de la foi, l’apparition d’une « pastorale d’engendrement », telle qu’elle nous est proposée par Philippe Bacq et Christoph Theobald.
Que peut-on entendre par « pastorale d’engendrement » ?
Dans l’esprit d’une pastorale d’engendrement, il s’agit d’aider les gens à discerner l’appel que le Christ leur adresse au stade où ils en sont dans leur vie. Cette notion se situe clairement dans une logique de contribution à l’émergence d’une foi autonome de la part de tout un chacun. Il s’agit de susciter et de permettre au croyant de cheminer en fonction de ses aspirations, de sa sensibilité, de son histoire. Une pastorale d’engendrement invite à la naissance ou à la renaissance. Elle induit donc l’idée de contribuer à la vie, mais évoque aussi les notions de liberté et de créativité. Elle se situe en contraste par rapport à d’autres conceptions de la pastorale qui ont prédominé pendant longtemps. En effet, le modèle majeur de l’histoire du christianisme est celui d’une pastorale d’encadrement ou de transmission qui implique qu’on transmette la foi comme un héritage reçu. Certains ont essayé de faire évoluer ce modèle avec des approches centrées sur l’accueil, la proposition ou l’initiation, mais avec une pastorale d’engendrement on fait un pas de plus. Il ne s’agit pas de renier tout ce qui s’est fait, et il est évident que même une pastorale d’engendrement inclut des éléments de transmission, d’accueil, de proposition et d’initiation, mais la priorité est mise sur le fait de favoriser une démarche personnelle et originale dans le vécu de la foi.
Dans quel contexte cette approche est-elle apparue ? Quels en sont les auteurs ? Quelles sont les principales publications dans lesquelles elle s’exprime ?
C’est dans le contexte catholique que cette approche a vu le jour, sous l’impulsion de groupes de travail franco-belges notamment. Un premier livre collectif est paru en 2004, édité par Philippe Bacq et Christoph Theobald, intitulé : Une nouvelle chance pour l’Evangile. Vers une pastorale d’engendrement (Bruxelles/Montréal/Paris, Lumen Vitae/ Novalis/Les éditions de l’atelier). Devant le grand intérêt suscité par cette publication, la réflexion sur une pastorale d’engendrement a non seulement été le sujet de nombreuses rencontres, retraites et séminaires mais a été poursuivie par une deuxième publication : Philippe Bacq, Christoph Theobald (éd.), Passeurs d’Évangile. Autour d’une pastorale d’engendrement, Bruxelles/Montréal/Ivry-sur-Seine, Lumen Vitae/Novalis/Les éditions de l’atelier, 2008.
Le mot : engendrement évoque la gestation, un processus de croissance qui, peu apparent pendant un temps, apparaît ensuite au grand jour. Aujourd’hui, le terme : émergence est également employé pour désigner des phénomènes en cours d’apparition dans le champ de la biologie ou dans l’espace de la société. Un exemple en est donné à travers la régénération naturelle de la forêt après la tempête qui a déferlé sur l’Europe le 26 décembre 1999. En quoi cet exemple est-il significatif ?
C’est en effet André Fossion (1) qui utilise cette image de la tempête de 1999 qui a causé la chute de 300 millions d’arbres. Dans les semaines qui ont suivi, les bureaux d’études ont élaboré des programmes de reboisement avec comme objectif de profiter de ce désastre pour reconstruire la forêt selon l’image idéale que l’on pouvait s’en faire. Mais au moment de passer à la mise en œuvre, « les ingénieurs forestiers ont constaté que la forêt les avait devancés et que la régénération plus rapide que prévue venait même contrarier les plans de reboisement en manifestant parfois des configurations nouvelles, plus avantageuses, auxquelles les bureaux d’études n’avaient pas pensé ». C’est ainsi qu’on est passé à une politique plus souple d’accompagnement. « Il ne s’agissait pas de renoncer à toute intervention, mais plutôt, avec davantage de compétence, d’accompagner, de manière active et vigilante, un processus de régénération naturelle. » Et André Fossion de s’interroger : « N’y aurait-il pas aussi à opérer ce même passage en pastorale, passage d’une pastorale d’encadrement à une pastorale d’engendrement ? » Selon une pastorale d’encadrement, il s’agit d’annoncer l’Évangile et de construire l’Église comme si tout dépendait de nous, alors qu’une pastorale d’engendrement se met au service de ce qui est en train de naître, en acceptant de ne pas tout contrôler, et donc de compter sur des forces qui ne sont pas les nôtres. De la même manière que ce qui naît est toujours différent de soi, la transmission de la foi n’est ni de l’ordre de la reproduction, ni du clonage, mais toujours de l’ordre de l’avènement.
La pastorale d’engendrement s’applique à la vie spirituelle. Elle requiert d’abord une reconnaissance de l’œuvre de l’Esprit dans des registres humains où parfois on ne l’attend pas. Comment Philippe Bach évoque-t-il cette réalité ?
Philippe Bacq montre que le mot engendrement « renvoie à l’expérience humaine la plus puissante et la plus fragile, la plus émouvante, la plus joyeuse et parfois la plus douloureuse qui soit. […] Le mot “engendrement” est ainsi riche de multiples connotations qui ouvrent des perspectives d’une grande densité existentielle : le don de la vie, la complémentarité du masculin et du féminin, la réciprocité des échanges, la naissance à une identité nouvelle ; une attitude d’accueil et de don, de plaisir, de joie, de souffrance aussi, en acceptant le deuil, la traversée de l’inconnu, la surprise devant l’imprévisible de la vie » (2). Si ce sont là des évocations de la vie dans tout ce qu’elle a de plus humain, cela fait écho à des réalités de la vie spirituelle qui est elle-même naissance, questionnement, joie, échange, don, recommencement, traversée, surprise !
Les livres de Philippe Bach et Christophe Théobald sur la « pastorale d’engendrement » sont fondés sur une lecture renouvelée de l’Evangile comme en témoignent les sous-titres : « Une nouvelle chance pour l’Evangile ? » ; « Passeurs d ‘Evangile ? ». Comment les paroles de Jésus, les textes évangéliques fondent-ils la « pastorale d’engendrement » ?
Parmi les textes clés qui fondent une pastorale d’engendrement, on peut évoquer l’expérience qu’a faite Jésus après son baptême. Il était en prière et une voix lui dit : « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui je t’ai engendré » (Luc 3.21-22). Cet épisode placé au début des Evangiles introduit toute la suite des récits qui vont montrer comment Jésus devient le Fils de Dieu dans les multiples événements de son existence quotidienne. C’est de l’ordre d’un engendrement qui advient jour après jour. Pour nous aussi, être engendrés à la vie de Dieu est une expérience spirituelle qui peut advenir un jour ou l’autre à la conscience, mais qui n’est pas achevée une fois pour toutes, et qui prend des chemins variables, originaux et propres à chacun. Finalement le rôle des acteurs pastoraux est de semer. L’Évangile parle de la mission comme de semailles. « Le semeur sortit pour semer, qu’il veille ou qu’il dorme, la semence germe et grandit, il ne sait comment » (Mc 4.26,27). Par ailleurs quand les femmes arrivent au tombeau le dimanche matin de la résurrection du Christ, qu’elles voient la pierre du tombeau roulée et que Jésus n’est plus là, un jeune homme vêtu de blanc les rassure, mais en même temps les met en mouvement puisqu’il affirme que Jésus les précède en Galilée (Marc 16.7). De la même manière, une pastorale d’engendrement doit pousser tout un chacun non seulement à une remise en question mais donc aussi à un déplacement, à un changement, dans les relations qu’il entretient avec lui-même, avec son prochain ou avec Dieu.
Le changement annoncé est particulièrement notable en regard d’une institution hiérarchisée. Mais il rompt également avec d’autres formes d’enfermement comme la propension de certaines églises à ériger des barrières entre les gens du dedans et ceux du dehors. En quoi la « pastorale d’engendrement » est-elle une approche novatrice pour l’ensemble des églises ?
On considère souvent en effet l’Eglise comme étant centrale dans la démarche de foi, voire même une fin en soi, ou plus exactement, l’aboutissement d’une démarche de foi. Sans dévaloriser le rôle et la mission de l’Eglise, une pastorale d’engendrement me semble rééquilibrer les choses en rappelant que l’Eglise n’est pas un moule dans lequel tous sont invités à se ressembler. L’Eglise ne nous invite pas à nous ressembler mais à nous rassembler. Elle n’est pas une fin mais un moyen en vue de permettre au plus grand nombre d’être en relation avec Dieu et les uns avec les autres. Dans cette optique, l’Eglise n’agit plus en termes de captation « venez à nous », mais dans une attitude de l’ordre de la rencontre : « va, allez », expressions si présentes dans la Bible. C’est en ce sens qu’on peut dire qu’elle est novatrice même si c’est en même temps un éternel retour sur ce qu’elle est appelée à être depuis le premier siècle. Même si à ma connaissance il n’y a pas de liens entre les acteurs de cette pastorale d’engendrement et les acteurs du courant de l’Eglise émergente, on retrouve là une même dynamique. D’ailleurs, comme le dit Paul Scolas : « Une pastorale d’engendrement, ce n’est pas une pastorale qui s’adapte à l’air du temps. Ce n’est pas le souci de l’adaptation qui nous a guidés, c’est celui de retrouver l’Évangile comme Bonne Nouvelle pour les hommes et les femmes de ce temps, comme contribution éminemment précieuse au bonheur des humains, chacun et tous ensemble. Là intervient l’air du temps ou plutôt la réalité de ce temps, non pour simplement s’y adapter, mais pour y proposer ce qui nous a été confié et qui est tellement bon pour l’homme » (3) .
Comment la « pastorale d’engendrement » s’inscrit-elle dans une vision de l’œuvre de l’Esprit et nous invite également à une conscience accrue de cette œuvre ?
« Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté » (2 Corinthiens 3.17). Inviter quelqu’un à une démarche de construction de sa vie spirituelle dans une dynamique d’engendrement, c’est avoir confiance que l’Esprit est présent et agit. Dans toute approche pastorale il y a me semble-t-il trois acteurs : la personne en quête, le pasteur et Dieu. Il importe de trouver le bon équilibre dans les relations entre ces trois acteurs. Le but est de ne jamais oublier que Dieu, par le Saint-Esprit notamment, est à l’initiative et reste constamment présent dans l’ouverture et la croissance dans la foi de chacun d’entre nous. La tâche primordiale du pasteur est d’ouvrir un espace de liberté afin de relayer l’appel de Dieu, et d’accompagner la personne en démarche, la soutenir, servir de relais, de partenaire en dialogue, de témoin. Enfin, il est important pour le pasteur de réaliser que la personne en quête est un sujet libre et autonome et que Dieu le créateur a mis en chacun cette « capacité de Dieu », dans la joie et la liberté !
Interview réalisé par Jean Hassenforder
Notes
(1) André Fossion, « Évangéliser de manière évangélique. Petite grammaire spirituelle pour une pastorale d’engendrement », in Philippe Bacq, Christoph Theobald (éd.), Passeurs d’Evangile, p. 60, 61.
(2) Philippe Bacq, « Vers une pastorale d’engendrement », in Philippe Bacq, Christoph Theobald (éd.), Une nouvelle chance pour l’Evangile, p. 17.
(3) Paul Scolas, « Une Église aux couleurs d’Évangile », in Philippe BACQ, Christoph THEOBALD (éd.), Passeurs d’Évangile, p. 196
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