Brian McLaren la-grande-migration-spirituelleUn nouvel état d’esprit débarrassé du carcan doctrinaire et fondé sur l’amour

Une vision de Brian McLaren

« The Great Spiritual Migration »

Il y a des moments où des transformations s’opèrent dans la conscience collective. A la fin du XXè siècle et au début du XXIè, une insatisfaction vis à vis des institutions chrétiennes a grandi dans le monde occidental. Pour de nombreux chrétiens, elles répondaient mal à leur désir d’authenticité. Ils ne se retrouvaient plus dans une religion de chrétienté où la conception de Dieu soumise à un mode patriarcal heurtait leur sens de l’amour et du respect pour tous les hommes. Alors, de la Nouvelle-Zélande aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne, de nouvelles communautés chrétiennes ont commencé à apparaître. Ainsi a commencé le courant de l’Eglise émergente qui s’est ensuite propagé dans le monde occidental. Ainsi  des chrétiens ont pu vivre leur foi autrement. Des églises ont accueilli cette nouvelle approche (1). La recherche sociologique en a montré la vigueur (2). Et dans sa thèse, Gabriel Monet en montre la portée théologique (3). Depuis vingt ans, à Témoins, nous militons en ce sens (4).

Aux Etats-Unis, Brian McLaren est une personnalité marquante de ce mouvement. Il l’a rejoint à partir de son parcours personnel. Dans son dernier livre : « The Great Spiritual Migration » (5), il nous raconte comment il est sorti progressivement de l’enfermement dans lequel vivait sa famille fondamentaliste. «  Nous n’avions pas de devise officielle, mais si nous en avions eu, cela aurait pu être : rien ne nous fera bouger ». Et, ensuite, il a parcouru des étapes successives. Fondateur d’une Eglise non dénominationnelle dans le Maryland, il en a été le pasteur de 1986 à 2006. Auteur de nombreux livres (6), il envisage l’évolution de la vie chrétienne au sein du christianisme dans son ensemble : «  Comment la plus grande religion du monde est en train de chercher une meilleure manière d’être chrétien » (5). Et ainsi, il met l’accent sur le mouvement. C’est une approche personnelle. « J’en suis venu à comprendre que ce qui compte le plus, ce n’est pas notre statut, mais notre trajectoire, non pas où nous sommes, mais où nous allons… La foi chrétienne est devenu pour moi un grand voyage spirituel. Et cela change tout. Comme je l’entend, la religion est à son meilleur lorsqu’elle nous mène en avant, quand elle nous guide dans notre croissance spirituelle comme individu mais aussi dans notre évolution culturelle en tant que genre humain. Malheureusement, la religion devient souvent une cage plutôt qu’un guide…. un obstacle au changement collectif plutôt qu’un catalyseur de celui-ci. A une époque de changement rapide et ambigu, on peut comprendre l’esprit régressif de la religion, mais cette attitude est encore plus tragique lorsque la culture a besoin d’un sage accompagnement spirituel. Nous voyons cette tendance régressive dans de nombreux secteurs du christianisme, et aussi dans des secteurs de l’islam, de l’hindouisme, du bouddhisme, du judaïsme… » (p XI-XII).

Mais, en même temps, une conscience nouvelle apparaît. « A l’intérieur de chaque tradition, des voix dérangeantes, mais attendues s’élèvent, des voix prophétiques, pourrions-nous dire, des voix qui portent le changement, l’espérance et l’imagination, un nouveau commencement. Elles disent qu’il y a une alternative à une religion statique et rigide d’un côté, et un sécularisme débarrassé du religieux de l’autre côté. Elles proclament que l’Esprit nous appelle à bouger nos tentes et à avancer à nouveau. Elles nous invitent à une grande migration spirituelle, non pour quitter nos religions, mais pour sortir de nos cages et de nos ornières » (p XII). Cette vision de Brian McLaren veut rassembler les courants novateurs bien au delà de la situation actuelle. « La migration chrétienne émergente requiert une convergence de plusieurs courants. Aux Etats-Unis, les évangéliques progressistes, les chrétiens missionnels oeuvrant dans des églises classiques et beaucoup de membres des églises militant pour la paix se découvrent actuellement. Ils ont établi des relations avec les catholiques romains et les orthodoxes orientaux enracinés dans des traditions de contemplation et de justice sociale ainsi qu’avec les églises de couleur qui s’inspirent de grandes personnalités comme Martin Luther King. Amener ces courants ensemble n’est pas facile. Nous avons des siècles derrière nous à vivre en silos et à nous regarder avec suspicion. Mais, maintenant, comme nous faisons face  aux réalités d’une civilisation insoutenable, nous pouvons nous redécouvrir les uns les autres comme des collaborateurs et des compagnons et non comme des concurrents » (p 157). La vision de McLaren est également internationale. « J’ai voyagé dans plus de quarante pays au cours des vingt dernières années en rencontrant des gens de nombreuses dénominations » (p 4). Alors, si dans ce monde, les courants fondamentalistes sont puissants, Brian McLaren a partout perçu la montée d’une aspiration à un nouvel état d’esprit débarrassé du carcan doctrinaire et fondé sur l’amour, à une pratique nouvelle bien au delà de son milieu d’origine, au service de l’humanité. « Attendons-nous à ce qui pourrait arriver si nous comprenons le cœur de l’éthos chrétien comme créatif, constructif, tourné vers l’avant, comme une religion qui organise plutôt que d’être organisée, et qui interpelle toutes les institutions, y compris la sienne, pour apprendre, grandir, acquérir de la maturité pour approfondir et mettre en oeuvre une vision de réconciliation avec  Dieu, avec soi, avec le voisin comme avec l’ennemi, et avec la création » (p 3).

Brian McLaren décrit sa vision de la migration en trois grandes parties.

° La migration spirituelle. D’un système de croyances à un genre de vie

° La migration théologique. D’un Dieu violent et dominateur à un Dieu non violent et libérateur

° la migration missionnelle. D’une religion organisée à une religion qui organise

 

Brian McLarenLa migration spirituelle. 

D’un système de croyances à un genre de vie

Un horizon nouveau

A partir de ses expériences et de ses rencontres, Brian McLaren nous appelle à un nouvel état d’esprit. Il nous raconte comment, à l’occasion d’une pause dans une retraite, il a soudain réalisé une prise de conscience. « Ma foi est un système de croyances et cela ne marche pas. Le système est en train de s’effondrer ».

Ainsi, une nouvelle approche est apparue et s’est développée chez Brian. La Bible est devenue pour lui un « puit inépuisable de sens » (p 25). Et sa relecture des paroles et des actes de Jésus dans les Evangiles l’a amené à de nouveaux éclairages. Ainsi la mise en cause du Temple par Jésus lui apparaît comme un acte révolutionnaire. « N’est-ce pas qu’il y avait là un système de croyances associé avec le sacrifice, un sacrifice fondé sur une croyance de longue date que Dieu est en colère et qu’Il a besoin d’être apaisé avec du sang ? »  ( p 27). Jésus ouvre une nouvelle approche : « une grâce généreuse et extravagante, ouverte à tous et débarrassée de toute forme d’apaisement » (p 27). Dans sa prédication, Jésus rejoint les prophètes d’Israël. C’est dire qu’il y a un discernement à opérer parmi les traditions. De même aujourd’hui, en citant Richard Rohr (7), Brian met en évidence des traditions mystiques et prophétiques qui peuvent nous éclairer. « On  ne change pas les choses en combattant les réalités existantes. Pour changer les choses, bâtissons un nouveau modèle qui rend l’ancien obsolète » ( p 29). La critique des systèmes de croyances s’appuie aussi sur l’histoire . « Quand les croyances sont  devenues des marqueurs d’appartenance, les gardiens religieux ont gagné un des plus grands pouvoirs humains, celui d’excommunier et d’expulser » ( p 30). Brian McLaren est donc à la recherche d’autres points de repère que les croyances.

 

Se fonder sur l’Essentiel

Ainsi, qu’est-ce qui importe le plus ? Qu’est ce qui est essentiel, Où peut aller notre loyauté le plus profonde ? (« deeper loyalty »). Brian s’interroge sur des absolus dogmatiques comme l’inerrance de la Bible et l’infaillibilité pontificale. Il constate que la mentalité scientifique est tout autre. C’est une logique dans laquelle les erreurs peuvent être corrigées et une transparence assurée dans le processus de prise de décision. « Aujourd’hui, si une communauté est capable d’apprendre et de changer son attitude et si elle montre comment cela se passe en déclarant publiquement pourquoi et comment elle procède ainsi, alors cette communauté gagne en crédibilité » (p 37). Il est grand temps que les communautés religieuses apprennent à prendre en compte cette logique.

Brian McLaren nous fait part ensuite d’une expérience personnelle. « A notre époque, peu de croyances ont été davantage examinées que la croyance, de longue durée, et, un moment, universelle, que l’homosexualité est un péché ».  Brian McLaren adhérait naturellement à cette croyance. Il raconte comment il a commencé à avoir des doutes lorsqu’un de ses plus chers amis, engagé comme lui dans des activités chrétiennes, lui a confié son penchant homosexuel.

Par la suite, devenu pasteur, il a rencontré des personnes homosexuelles qui avaient essayé de changer et n’avaient pu y parvenir malgré tous leurs efforts. « Des récits comme ceux-là ont rendu impossible mon silence à cet égard » (p 40). « J’ai tenu compte de l’expérience. On pourrait aussi le dire comme cela : j’avais un système de croyances chrétien et une éthique chrétienne de l’amour… Pour moi, mon éthique, mon chemin de vie (« Way of life »), mon engagement dans l’amour du prochain comme moi-même ont provoqué l’abandon d’une croyance héritée ».

Dans le mouvement actuel des mentalités, comment entendre notre foi chrétienne ? C’est auprès de Jésus que nous cherchons la réponse. « L’amour a été son premier commandement, sa première directive… ». C’est un amour généreux, inconditionnel . « Dieu répand sa pluie et son soleil à la fois pour les bons et pour les méchants » (Matthieu 5.7). Tout l’enseignement, toute la vie de Jésus témoignent de cet amour. L’amour est au cœur de sa mission. Et, dans ses écrits, Paul fait écho : « La seule chose qui importe, c’est la foi qui s’exprime dans l’amour » (Galates 5.6). Et il faut bien distinguer la foi qui est conviction des systèmes de croyances imposés socialement . « Si nous acceptons cette migration révolutionnaire vers l’amour, toute définition de Dieu qui ne nous conduirait pas à un amour réconciliant, harmonisant et incluant, est, dès le départ, fausse et déviée » (p 46). « A la lumière des Ecritures comme celles-ci, nous pouvions penser que la primauté de l’amour était bien établie dans la foi chrétienne. Mais, dans cette religion, 2000 ans après, pour beaucoup, les croyances gouvernent encore et l’amour attend d’être pris davantage au sérieux. (Même le pape François semble rencontrer à cet égard quelques résistances chez ses évêques qui craignent que son accent sur la miséricorde et l’amour viole la tradition » ( p 47).

 

Apprendre à vivre l’amour

C’est une manière de vivre à laquelle Dieu nous convie. Alors nous avons besoin d’apprendre comment aimer.

Après avoir cessé l’exercice de pasteur responsable d’une église, Brian McLaren s’est interrogé et finalement, il a cherché et trouvé « une église qui pourrait l’aider à vivre une vie d’amour avec aussi peu de distractions que possible ». « J’avais besoin de soutien, d’encouragement et d’aide pour aimer Dieu… ma famille, mes voisins, les gens que j’avais du mal à aimer.. aimer la terre » (p 50).  Aujourd’hui, on doit chercher pour trouver ce genre d’église où l’amour est premier. Brian œuvre pour une multiplication des communautés qui répandent une vie d’amour « pour Dieu, pour tous les gens (sans exception) et pour la création » ( p 54).

Dans sa jeunesse, aux Etats-Unis, Brian a participé au mouvement de Jésus. « C’est le moment », nous dit-il, « pour un autre mouvement de Jésus, une convergence de « communautés justes et généreuses » pour lesquelles l’amour, dans la voie de Jésus, est le premier but » (p 56). Ces communautés peuvent être très diverses, de congrégations traditionnelles à des groupes variés : groupes de prière, groupe sur internet, réseaux, écoles alternatives… Pour cet apprentissage de l’amour, Brian nous donne quelques pistes : Commençons avec nos voisins. De la famille aux amis, aux étrangers, aux ennemis. Envers soi, envers la terre, envers Dieu. Exprimer l’amour dans des rituels signifiants.

 

La migration théologique

D’un Dieu violent de domination à un Dieu non violent de libération

Un héritage de violence et de domination

Cette migration spirituelle, passage d’une pratique fondée sur des prescriptions doctrinales à une pratique inspirée par une éthique d’amour requiert un changement dans nos représentations. Une révision théologique est nécessaire et c’est pourquoi la seconde partie de ce livre est intitulée : La migration théologique. D’un Dieu violent de domination à un Dieu non violent de libération.

De par son expérience dans le contexte américain, Brian McLaren a perçu une grande violence chez certains chrétiens. Et, en s’interrogeant, il fait un retour sur l’histoire du christianisme. Ainsi, la conquête barbare du Nouveau monde et les atrocités de l’esclavage ont été soutenues et couvertes par une idéologie se réclamant du christianisme. « Malheureusement, le mélange mortel du racisme, de l’impérialisme et du christianisme n’ont pas été l’exception, mais la norme » ( p 81). Il y a eu là de multiples génocides. Brian McLaren nous raconte comment il a pris conscience de ces méfaits au fil de son histoire personnelle et familiale. Il y avait quelque part de la violence dans ce contexte religieux. Aujourd’hui, pour Brian McLaren, « il est clair que la trajectoire vicieuse d’un génocide justifié idéologiquement mène également à un « géocide » (destruction massive de la planète). Comme le pape François l’a dit éloquemment, le refus de la société d’entendre « le cri des pauvres » est inséparable de notre refus d’entendre « le cri de la terre »…  Cette situation a des racines théologiques. « Pour nous convertir de toute forme de suprématie et de domination, nous devons oser nous embarquer dans une grande migration théologique en remettant en cause beaucoup de nos postulats sur Dieu » (p 88).

 

Notre représentation de Dieu en question

Ce qui est en question, c’est notre représentation de Dieu. En regard de l’image d’un Dieu tout puissant et dominateur, Brian McLaren nous conduit à la notion de kénose qui signifie : se dépouiller soi-même. Ce thème apparaît dans l’épitre aux Philippiens ( Chap 2)  «  Plutôt que saisir et exercer le pouvoir d’une manière dominatrice à la manière des rois, des conquistadors et des chefs religieux, Jésus a lâché le pouvoir plutôt que le retenir et il a servi plutôt que de dominer. Finalement, il a renversé toutes les compréhensions conventionnelles de suprématie, de seigneurie, de souveraineté et de pouvoir en les purgeant de leur violence au point que lui-même a choisi de mourir plutôt que de tuer » ( p 91). C’est un choix de non violence et d’amour qui se donne. Ainsi Dieu, connu à travers Jésus, n’est pas un Dieu contrôleur, dominateur, dictateur. « En Christ, Dieu est suprême, mais pas selon le vieux paradigme discrédité de la suprématie. Dieu est le guérisseur suprême, l’ami suprême..  Le roi des rois et le seigneur des seigneurs est l’ami des pécheurs » (p 93).

Brian McLaren nous invite ensuite à comprendre comment notre représentation de Dieu change à travers les âges de la vie, devient de moins en moins égocentrée et de plus en plus altruiste. Déjà nos différentes conditions  de vie, nos attentes évoluent. Il y a comme des stades successifs dans notre représentation de Dieu. Ainsi, au départ des responsabilités adultes, « vous aviez besoin d’un nouveau concept de Dieu qui vous guide au delà d’un simple respect des lois. Ce Dieu 4.0 (selon le schéma présenté par l’auteur) se traduit en un Dieu d’affection, de fidélité, de pardon, d’amour parental » (p 99). Et pourtant, selon McLaren, ce stade est à dépasser. « Cette représentation de Dieu suscite affection, fidélité et pardon dans la famille, la communauté et la nation, mais seulement pour les gens qui sont de notre religion, de notre pays, de notre tribu… Ces petits mots : « nous », « notre » sont un grand progrès sur « moi » et « c’est à moi ». Mais ils peuvent causer de grands problèmes s’ils engendrent des attitudes exclusives » ( p 98-99). Si cette représentation a pu s’avérer utile dans le passé, « pour la première fois dans l’histoire humaine, ce Dieu du « nous », mais pas du « eux » menace notre survie. Nous avons besoin d’un Dieu qui ne soit pas seulement le Dieu de « nous », mais le Dieu de « nous tous ». Seul un Dieu plus grand, non dualiste peut nous unir « nous et eux » dans une identité inclusive qui n’est pas limitée à une tribu, ou à une nation, mais s’étend à toute l’humanité. Et non seulement à l’humanité, mais à toutes les choses vivantes, et pas seulement aux chose vivantes, mais à tous le écosystèmes que nous partageons » (p 102).

Les différentes représentations de Dieu ne sont pas nécessairement contradictoires. « Comme les anneaux dans le tronc d’un arbre, chaque nouveau concept de Dieu intègre les concepts antérieurs, même s’il les transcende et va au delà ». C’est ce qu’on peut voir dans la Bible du Dieu d’Abraham au Dieu de Moïse, au Dieu des prophètes, au Dieu de Jésus.

Ainsi, maintenant, le christianisme, comme ses religions sœur monothéistes, font face à un défi critique. Est-ce que les chrétiens peuvent migrer vers une représentation de Dieu beaucoup plus large ? Brian McLaren a conscience des tendances régressives qui existent actuellement. Mais, il nous dit aussi que de plus en plus de chrétiens sont en train de changer, de migrer vers une représentation beaucoup plus large de Dieu. C’est ici que l’expérience internationale de Brian McLaren vient nous encourager, car, pour tous les continents, il peut énoncer le nom de théologiens qui vont dans le même sens. Ces pages (p 104-107) sont particulièrement instructives, car elles sont des indications bibliographiques qui nous permettent de rencontrer ces théologiens du renouveau et de l’avenir. «  En ce moment, inspiré par cette fermentation et créativité théologique, un mouvement de chrétiens venant de la base s’étend dans le monde. Partout des chrétiens lisent des livres nouveaux, suivent de nouveaux blogs,  assistent à des conférences, des retraites et des festivals où de nouveaux modes de pensée sont possibles. Une grande migration théologique a commencé » (p 108).

 

Une lecture renouvelée de la Bible

Notre représentation de Dieu est en rapport avec la manière dont nous lisons la Bible. Brian McLaren nous rapporte son expérience pendant les toutes premières décennies de sa vie. Au départ, il s’est senti tenu de lire la Bible d’une façon littérale. D’une façon humoristique, « Si la Bible dit que la baleine a avalé Jonas, je le crois. Si la Bible dit que Jonas a avalé la baleine, je le crois aussi. Ce que la Bible dit, Dieu le dit » (p 112). Brian se sentait mal à l’aise, notamment par rapport aux textes violents présents dans la Bible (8). Il se trouvait dans un dilemme : l’alternative entre littéral et libéral. L’étau s’est desserré à partir du moment où il a compris qu’il y avait toute une gamme de manières de lire entre littéral et littéraire. « Un lecture littérale commence avec le postulat que la Bible est conçu pour apporter des informations factuelles. En regard, dans une lecture littéraire, la Bible est une collection de textes  qui ont pour but de communiquer un sens que ce soit à travers la poésie ou l’histoire, la loi ou les proverbes, la fiction ou la non fiction… Si une approche littérale cherche des absolus universels et intangibles, l’approche littéraire cherche une inspiration pour le moment et est sensible à des contextes culturels et historiques en évolution. Brian McLaren ajoute une deuxième grille d’approche : innocente/précritique, critique, intégrale/ postcritique ( p 114). Dans l’approche innocente, précritique, la lecture de la Bible ne pose pas de questions ou très peu sur les sources, l’exactitude historique ou scientifique ou le genre littéraire. Le texte est révéré et pris tel quel. Dans l’approche critique, aucune question n’est bannie, aucune réponse n’est prédéterminée. « Dans une approche critique, prendre le texte sérieusement, c’est lui appliquer une analyse critique rigoureuse ». Mair rester dans cette analyse peut réduire le sens. Si on va plus loin dans une zone postcritique et intégrale, à partir de l’analyse qui décompose, on essaie de retrouver un ensemble, d’obtenir une vision nouvelle du texte dans son ensemble et de beaucoup de textes dans leur rapport. L’auteur compare avec les « connaisseurs » d’art qui mettent en œuvre différentes approches pour mieux apprécier l’œuvre.

Brian McLaren situe ainsi un ensemble de méthodes et nous fait part là aussi de sa propre évolution. Ainsi a-t-il été beaucoup aidé par l’œuvre de CS  Lewis. « Je pense que CS Lewis est devenu si populaire chez beaucoup d’évangéliques parce qu’il était conservateur de nature… mais il nous a ouvert la voie pour apporter notre imagination et notre sensibilité littéraire dans la lecture des textes, laissant ainsi la Bible nous parler dans un approche postcritique » (p 119). D’autres biblistes sont intervenus ensuite en ouvrant la voie à la découverte d’un sens plus large et plus profond dans les textes. « Les textes bibliques étaient pour eux « des textes au travail » donnant naissance à de nouvelles manières de voir Dieu, nous-même et le monde autour de nous » (p 119). Ainsi, nous dit Brian, « j’ai trouvé une nouvelle liberté. J’ai senti que j’avais trouvé la permission de migrer d’un univers limité, d’un Etre suprême souvent violent à un univers toujours plus vaste d’un Dieu toujours plus merveilleux, tout en gardant fermement la Bible » (p 120). « La Bibliothèque biblique nous révèle une présence lumineuse, guérissante, et libérante, source de vie » (p 121).

Le chapitre se termine par une réflexion sur la place de Jésus. Dans le contexte originel de l’auteur, « Dieu est perçu comme le réservoir d’une colère infinie qui doit se déverser sur tous ceux qui ne sont pas parfaits. En acceptant la punition de notre statut et de notre conduite pécheresse, Jésus devient notre substitut et permet à la colère de Dieu d’être satisfaite en se déversant sur lui plutôt que sur nous. Un Dieu en colère est ainsi apaisé, au moins pour ceux qui ont les bonnes croyances et peuvent être considérés comme chrétiens »   (p 121) Alors, disent les fondamentalistes, « si nous perdons notre approche littérale et innocente à la Bible, nous perdons le Dieu en colère qu’elle proclame et alors nous perdons  le besoin de Jésus … Mais la vérité, c’est que, si nous lisons la Bible d’un point de vue intégral/littéraire,  Jésus devient plus beau, plus important, plus essentiel…A travers sa vie et ses enseignements, à travers sa profonde non violence même au point d’inclure une mort violente. Jésus révèle un Dieu généreux, un Dieu en profonde solidarité avec toute la création, un Dieu dont la puissance se révèle dans la bienveillance et l’amour » ( p 122).

 

La migration organisationnelle

De la religion organisée à organiser la religion

Une dynamique de mouvement

« En 1974, un anthropologue avait écrit qu’un changement dans la conception de Dieu est un événement culturel d’importance. En d’autres mots, parce que les cultures et les civilisations sont profondément influencées par leur conception de Dieu, les migrations théologiques mènent naturellement à des transformations culturelles. Mais comment ? » (p 128).

Déjà, en quoi et comment le changement de représentations va susciter une transformation de la manière de vivre en église ? Brian McLaren nous rapporte une conversation avec un ami sociologue ayant soutenu une thèse sur la théorie du mouvement social en relation avec l’ecclésiologie et la vie en église. Dans l’histoire du christianisme, il y a effectivement de grands mouvements qui ont changé la situation.

« Nous vivons en communautés… Les institutions se développent dans les communautés pour répondre à leurs besoins. Quand les mutations échouent, des membres de la communauté se lèvent, s’organisent et confrontent les institutions en formant un mouvement.. Les mouvements organisent les gens pour exprimer ce qui ne va pas dans les institutions et proposer ce qu’on devrait faire pour que les choses aillent bien » ( p 131). Des conflits peuvent éclater. Les résultats varient. Le mouvement peut échouer. Il peut aboutir en suscitant un changement dans l’institution. Il peut réussir et se renouveler. Il peut créer une institution concurrente ( p 132).

Il y a des situations de crise particulièrement favorables à l’apparition de mouvements. C’est le cas aujourd’hui. Dans la période actuelle où une mutation s’accomplit, les institutions s’épuisent (« exhaustion »). Les structures des religions traditionnelles sont particulièrement fragiles. « Il est difficile d’imaginer des conditions plus mures pour la montée d’un mouvement spirituel vital » (p 135). On doit aussi prendre en compte la globalisation et la révolution numérique.

La conversation entre Brian McLaren et son ami sociologue s’est poursuivie en analysant les processus. En se reportant à la Bible et particulièrement au Nouveau Testament, on découvre des mouvements dynamiques. Et on peut en apercevoir également dans l’histoire de l’église. « Le christianisme a manifesté une plus grande vitalité lorsqu’il a été dynamisé par des mouvements de cellules s’organisant elles-mêmes. Ou, peut-être, peut-on dire, s’organisant par l’Esprit » ( p 143).

Brian McLaren reconnaît la puissance du mouvement conservateur. Mais, citant Richard Rohr, « la meilleure critique du mauvais est la pratique du meilleur ». « Presque tous les évêques et leaders chrétiens que je rencontre dans mes voyages, sont prêts à répondre positivement si un mouvement spirituel tourné vers l’avenir frappe à leur porte. Ils savent que ce mouvement doit dépasser les comportements confessionnels, travailler à la fois à l’intérieur et à travers les dénominations… Quand nous nous rassemblons mieux entre chrétiens,  nous pouvons mieux nous joindre aux mouvements parallèles d’autres religions, parce que, ultimement, les problèmes auxquels nous faisons face, ne sont pas juste des problèmes chrétiens, ce sont des problèmes humains (9). Nous avons besoin que le mouvement spirituel soit global et multiculturel aussi bien que transdénominationnel. Ce mouvement doit partout permettre aux gens de s’organiser. Il doit permettre aux différents courants de se relier »… (p 144-145).

 

Un monde à sauver de son comportement suicidaire

 Cependant la polarisation de l’église  sur elle-même n’est-elle pas une impasse ? « Se consacrer au bien du monde, n’est-ce pas pour l’Eglise, la seule voie pour sauver son âme ? »  Le monde est en crise tant au point de vue social et économique qu’au point de vue écologique. Il y a actuellement une course à la consommation qui épuise les ressources. En conséquence, l’économie est extractive et destructive des richesses de la planète.  Ainsi, le pape François nous appelle à entendre « le cri de la terre et le cri des pauvres ». Brian McLaren décrit notre civilisation actuelle comme une espèce de  machine suicide (« suicide machine ») (p 148).

« Seul un puissant mouvement spirituel peut interpeller nos institutions et nos communautés pour sortir d’un consumérisme compétitif et prendre part à une régénération collaborative » ( p 152). Et ce mouvement devra susciter chez les chrétiens une prise de conscience, car, actuellement, beaucoup d’entre eux ignorent cet enjeu.  Trop souvent, comme l’écrit l’historienne Diana Butler Bass (10), nous avons affaire à une religion qui regarde vers le ciel et non vers la terre (« elevator religion »). Rappelons également le diagnostic de Brian McLaren sur la violence latente qui règne encore dans certaines formes de christianisme. Alors, « nous avons désespérément besoin de cette troisième migration, d’une religion organisée pour sa conservation et ses privilèges à une religion organisée pour le bien commun à tous » ( p 152). « Les communautés chrétiennes généreuses qui participent à cette migration doivent s’identifier. Et là où de telles communautés n’existent pas, nous appelons les chrétiens à en créer de nouvelles vraiment créatives » (p 155). Ces communautés travailleront en réseau. Une question majeure : « Comment faire connaître au monde qu’il y a là « un nouveau genre de christianisme », que les chrétiens et leurs communautés sont en train de migrer vers une foi plus juste, plus généreuse et plus joyeuse ? » ( p 156).

 

Vous êtes des poètes sociaux

Nous sommes effectivement confrontés à quatre grandes crises : écologique, économique, sociopolitique, spirituelle et religieuse. C’est un immense défi qui appelle la mobilisation de tous les hommes. C’est une perspective qui ouvre notre représentation de l’œuvre chrétienne. Brian McLaren se réfère au missionnaire catholique Vincent Donovan. « Notre but n’est pas d’amener les gens où nous sommes maintenant. Notre but est d’inviter les autres à voyager ensemble avec nous vers un espace nouveau que personne d’entre nous n’a encore vu. Nous devons les inviter à rejoindre cette grande migration spirituelle vers un nouveau genre de vie centré sur l’amour, une nouvelle économie régénérative caractérisée par la paix, la justice et la joie. Mais comment une aussi profonde migration peut-elle se réaliser ? » (p 167).

Brian McLaren continue à nous ouvrir des pistes. Le changement est nécessaire à tous les niveaux : intrapersonnel, interpersonnel, structurel et institutionnel, culturel. Quel genre d’organisations envisager pour répondre à ces différentes exigences ? Et n’est-ce pas là un défi pour les communautés chrétiennes ? Ne sont-elles pas appelées à contribuer à ce changement global ? Brian cite le pape François : « Sur ce chemin, les mouvements populaires jouent un rôle essentiel, non seulement en réclamant, mais plus  fondamentalement en étant créatifs. Vous êtes des poètes sociaux, pourvoyeurs de travail, constructeurs de logement, producteurs de nourriture par dessus tout pour les gens qui sont laissés pour compte par le marché mondial… Fondamentalement, le futur de l’humanité est entre les mains des peuples et leur capacité de s’organiser » (p 174).

Ces enjeux apparaissent aujourd’hui dans les différentes traditions religieuses et les mêmes clivages apparaissent en regard de l’appel à la migration spirituelle. « Comme chrétiens et communautés chrétiennes, nous sommes appelés à migrer d’une religion organisée à une religion qui s’organise pour la mission et le bien commun » ( p 174).

 

Une vision spirituelle

Cette migration spirituelle appelle et suscite de grands changements. Et ces changements ne peuvent pas se réaliser sans que l’on rencontre de grandes difficultés et, en conséquence, de grandes souffrances. « Le chemin de l’amour où l’on rencontre ennui, frustration, désappointement, hostilité, humiliation. Personne ne le choisirait si l’amour ne portait pas finalement sa propre récompense. Ce chemin difficile, ce chemin du Christ est inévitablement le chemin de la croix » ( p 183).  Et Brian McLaren évoque un « cœur ouvert et brisé ». Cependant, la puissance de l’Esprit est là et elle porte force. La migration spirituelle appelle une spiritualité qui invite au changement et qui l’accompagne. Ce n’est pas une spiritualité volontariste. A chacun d’accomplir une tâche à sa mesure. « Dieu peut réaliser à travers nous tous ce qu’aucun de nous ne peut faire seul.  Et ainsi, ce n’est pas un fardeau écrasant.. C’est la vie. C’est la joie. C’est la liberté. Au lieu de jouer Dieu, je joue avec Dieu. Je joue dans le bon monde de Dieu où chaque chose est sainte » (p 198). « Etre ce que nous sommes, où nous sommes, faire ce qu’il nous appartient de faire… Et dans cette voie, être vivant et libre » (p 199).

A travers tout ce périple, après avoir ouvert toutes ces pistes, Brian McLaren peut nous aider à aller de l’avant. Et il s’inspire de l’Exode et de la sortie d’Egypte par le peuple d’Israël. Si les obstacles sont apparents, notre foi est requise. « Nous entendons l’appel à aller de l’avant, non après que la mer se soit ouverte, mais avant » (p 203).

« l’appel à entrer dans la grande migration quittant l’ancien pour le nouveau, ne vient pas quand tout est assuré et réglé et, que tous les obstacles ont été enlevés, mais avant, quand le chaos, l’incertitude et le tumulte prédominent et que la mer ne montre pas de signes d’ouverture. La Parole de Dieu vient à nous : Avancez. Allez de l’avant » (p 203).

 

Entendre ce message

Ce livre : « The Great Spiritual Migration » nous pa rait important parce qu’il nous fait part de l’émergence d’une vision nouvelle et des conditions dans lesquelles celle-ci apparaît.. Il nous paraît important parce que cette vision est mondiale et s’adresse à tous les chrétiens du monde et au delà. Et, c’est pourquoi, nous avons rapporté ce livre, pas à pas.

Brian McLaren est un pionnier de l’Eglise émergente aux Etats-Unis.  C’est un leader, mais c’est aussi un penseur et un chercheur. Aujourd’hui, dans ce livre récemment publié, en 2016, Brian McLaren est certes dans la poursuite de cette dynamique, mais celle-ci entre dans une nouvelle étape. Ici, la vision de Brian McLaren dépasse la conjoncture de l’Eglise émergente aux Etats-Unis.  Il envisage le changement spirituel et le rôle des chrétiens à l’échelle du monde. Et, pour cela, il s’appuie sur une expérience internationale.

L’itinéraire de Brian McLaren sera aussi source d’enseignement.

Brian vient d’un milieu fondamentaliste dont il a perçu progressivement le caractère étouffant Il nous fait part de ses prises de conscience et de son ouverture grandissante. Plus généralement, dans ce livre, Brian McLaren nous parle à travers une expérience qui nous permet de mieux comprendre les enjeux et leur importance vitale. Et, en même temps, il s’appuie sur une culture théologique. Ainsi, cet ouvrage témoigne d’une proximité avec deux personnalités américaines qui apportent une vision théologique et spirituelle originale : Richard Rohr (7) et Diana Butler Bass (10).

Cette mise en perspective d’une migration spirituelle à l’échelle du monde est une vision de grande ampleur. On peut donc se poser des questions sur ses caractéristiques et ses modalités. La culture nationale de l’auteur n’influe-t-elle pas sur les formulations ? Dans quelle mesure ces propositions permettent-elles une visibilité suffisante de ce mouvement ? Quels accents théologiques ajouterions-nous éventuellement ? Cependant,  dans cette situation de crise qui est la notre et qui se manifeste aujourd’hui dans une dimension mondiale,  ce livre apporte des analyses éclairantes et il trace des pistes. Il suscite des  convergences. Il ouvre un chemin.  Et, au total, si cette migration, c’est d’abord le passage d’un état d’esprit à un autre, ce livre permet la prise de conscience de cet enjeu majeur. Ainsi,  entrons-nous dans une vision nouvelle. Nous sommes invités à « une migration spirituelle vers un nouveau genre de vie centré sur l’amour, une nouvelle économie régénérative caractérisée par la paix, la justice et la joie ». C’est, comme l’écrit une collègue et amie de Brian McLaren, Diana Butler Bass, apprendre à « trouver Dieu dans le monde », une « révolution spirituelle ».

 

Jean Hassenforder

 

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