Le début de ce passage peut évoquer ce qui arrive plus souvent que l’on ne voudrait, y compris dans la vie spirituelle : un succès manifeste qui tourne court ; Elie avait remporté une victoire éclatante sur les faux prophètes qui pratiquaient le culte des idoles, recevant le soutien manifeste de Dieu ;le roi Achab lui-même semblait prendre acte de son succès. Mais son épouse, la reine Jézabel, ulcérée de ce qu’il avait fait à ses prophètes (d’origine étrangère, elle avait joué un rôle important dans le retour à la religion polythéiste, au culte du dieu Baal), le menace de mort ; et Elie, craignant pour sa vie, et de plus découragé devant son échec à restaurer le culte de l’Eternel, s’enfuit au désert.
Elie était pourtant sûr de lui et sûr de Dieu : quoi de plus convaincant que cette démonstration de force devant ses adversaires ? un feu venant du ciel qui vient allumer son holocauste, et ensuite une sécheresse de plusieurs années, que les prophètes de Baal n’avaient pu vaincre, et dont il annonce la fin.
Mais quel effondrement après la réaction de Jézabel ! Elie, qui s’est tant donné dans ce combat (il était seul devant les 450 prophètes de Baal), se sent d’autant plus atteint par un échec qui remet en question aussi sa foi ; Dieu était-il vraiment avec lui ? lui avait-il vraiment demandé, d’ailleurs, de tuer les prophètes coupables d’idolâtrie, ce qui semble avoir été la principale cause de la colère de Jézabel ? ou Elie s’était-il laissé emporter par son zèle ?
De toutes façons, la réussite n’est pas obligatoirement le critère sûr de la volonté de Dieu (surtout si on ne marche pas « sur la voie étroite ») ; l’image que l’on s’en fait, selon nos critères, n’est pas forcément conforme à la réussite selon la volonté de Dieu, qui se manifeste souvent dans un échec apparent ou momentané, comme celui de Jésus sur la croix : on peut donc avoir une conviction sans s’appuyer sur un résultat abouti, et même connaître l’échec (humain) tout en connaissant la volonté de Dieu.
Elie n’en est pas là pour le moment ; ce qui lui arrive lui fait perdre toute confiance en lui (« je ne suis pas meilleur que mes pères ! » s’exclame-t-il) et le fait sombrer dans une véritable dépression, un état d’esprit suicidaire : enfui au désert pour échapper à la mort, il la demande ensuite à Dieu !
Dieu lui prodigue alors des soins touchants, quasi maternels, s’attachant à lui rendre ses forces physiques très concrètement par une nourriture substantielle (un gâteau et une cruche d’eau) ; mais pour prendre cette nourriture, Elie doit d’abord « se lever », car il importe de se mettre debout (comme le paralytique dans l’évangile), et ensuite de monter vers la « montagne de Dieu », l’Horeb, pour cheminer spirituellement pendant ces quarante jours qui ne peuvent qu’évoquer les 40 jours passés par Moïse sur le Sinaï, autre nom de l’Horeb, et les 40 ans passés par le peuple hébreu, également dans le désert, avant d’atteindre la terre promise. Et Dieu est bien conscient de la nécessité d’une « nourriture » suffisante pour avancer dans ce lieu d’épreuve, lui qui vient le réconforter une deuxième fois en lui disant : « lève-toi, mange, car le chemin est trop long pour toi ».
« Pourquoi es-tu ici, Elie ? » lui demande Dieu à deux reprises quand il est arrivé à son lieu de destination ; pour le Seigneur, il est important que les gens disent ce qu’ils veulent vraiment, et là où ils en sont, sans cacher leur fragilité : c’est ainsi que Jésus demande curieusement à l’aveugle Bartimée « que veux-tu que je fasse pour toi ? » et à trois reprises à Pierre « m’aimes-tu ? » après sa trahison.
Elie est invité à sortir de la caverne où il s’était réfugié pendant la nuit qui, selon la tradition, était le creux de rocher où s’était réfugié Moïse pour éviter de voir Dieu directement et risquer alors de mourir, ébloui par sa gloire, lui qui, pourtant passait auprès des Hébreux pour le seul homme pouvant parler à Dieu face à face ; tant il est vrai que la lumière de Dieu, pas plus que celle du soleil (il faut des lunettes spéciales pour regarder les éclipses) ne peut se regarder en face, elle qui nous met à nu, révèle nos zones d’ombre (Jésus parle des gens qui sont incrédules parce qu’ils craignent de voir leurs mauvaises œuvres exposées à la lumière) ; Elie fait donc preuve de discernement, il ne s’expose pas brutalement, et s’enveloppe le visage de son manteau en sortant de sa retraite.
Mais il montre aussi son discernement en n’affrontant pas les violents phénomènes naturels qui se déchaînent d’abord : le vent fort, puis le tremblement de terre, et enfin le feu ; car Dieu n’est pas nécessairement dans le spectaculaire et la violence, comme Elie a pu être tenté de le croire d’abord quand il affrontait les prophètes de Baal ; il est plutôt dans la douceur d’un murmure léger, si léger que le texte hébreu d’origine parle d’un « silence ténu »….qui évoque les « murmures inexprimables » par lesquels l’Esprit intercède dans le nouveau testament, et la « petite voix »qui parle au cœur de chaque chrétien.
Le « désert » physique et spirituel est donc tout à la fois un temps d’épreuve et un temps de ressourcement, où Dieu prend soin de nous, et peut nous faire grandir même dans les difficultés les plus graves, les deuils…A l’issue de cette traversée, Elie échappe à ses fausses sécurités, entre dans une relation plus intime avec Dieu, et retrouve à la fois sa confiance en lui et sa confiance en Dieu dans le cadre d’une nouvelle mission.
Alain Bourgade
sur la base des notes de Gisèle McAfee