La Chanson française, un reflet de la “french culture” à écouter ?
Yohann est un SIR des GBU soit, en clair, le Secrétaire Itinérant Régional des Groupes Bibliques Universitaires de la région Centre et en partie Ouest. Mais c’est en sa qualité de grand amateur et connaisseur de la chanson française que Témoins a souhaité l’interviewer.
Depuis quand t’intéresses-tu à la chanson française?
Depuis tout petit! J’ai été élevé à l’écoute de Jean Jacques Goldman mais aussi d’Alain Souchon, Francis Cabrel ou Renaud et j’ai continué. J’écoute l’ancienne comme la nouvelle chanson française: de Brassens à Berthet, un jeune encore peu connu.
Qu’est-ce qui t’accroche dans la chanson française?
De pouvoir en apprécier le texte autant que la musique. Une chanson réussie est pour moi une osmose entre des paroles qui ont du sens, une certaine poésie, un brin d’humour parfois et une bonne musique. J’aime que le texte dise quelque chose et le dise bien. Même si ce n’est pas “chrétien”. C’est comme en littérature. Un livre bien écrit, où les choses sont bien amenées, c’est de l’art et ça passe.
Je m’intéresse bien sûr aux idées qu’un chanteur essaie de transmettre et, dans la mesure où il est auteur compositeur, à la manière dont sa vie s’accorde avec ce qu’il dit. Par exemple le dernier succès de MC Solar est une chanson contre la mondialisation. Or, que voit-on en ce moment sur les murs? De grandes affiches où il fait de la pub pour Pepsi.
Apprécies-tu le rap?
Quand il se résume à un texte parlé sur une boite à rythme j’ai du mal, sauf avec MC Solar justement, car lui est assez musical. J’arrive largement à supporter.
Comment vois-tu la place de la chanson française dans notre culture?
Les bons auteurs compositeurs s’installent dans la durée. Dès que Goldman sort un nouveau CD, il est premier des ventes et ce sans grande promotion. C’est pareil avec Souchon, Voulzy ou Cabrel. Les anciens, Brel, Brassens, Gainsbourg, restent des valeurs sûres et, régulièrement de jeunes talents, bien que peu médiatisés, percent: Berthet, Daran, Baguian, Sustrac, Fersen etc. Je détermine plus difficilement la part d’influence de la chanson française: donne-t-elle un pur reflet de ce que véhicule la culture ou impose-t-elle une sorte de norme à la culture? D’un côté je perçois l’artiste comme une personne qui a une sensibilité accrue, qui arrive à bien ressentir les choses et qui réussit à s’en libérer en les exprimant, en les renvoyant. D’une certaine mesure il reflète bien ce qui est ressenti dans la société et, d’un autre côté, en s’exprimant il propose un genre de norme. Brel ou Brassens disaient des choses que l’on entend aujourd’hui encore chez les jeunes artistes.
Par exemple, pour eux comme pour Léo Ferré, le diable est un être fréquentable et sympathique. Dans “La statue”, Brel chante qu’il prie Dieu quand il a mal aux dents et le diable quand il est amoureux ou… quand il a peur du Bon Dieu! En fait leur rapport au spirituel est en réaction à l’église catholique. Cette attitude se retrouve de nos jours (cf: la comédie musicale “Notre Dame de Paris”). Satan aide à faire les couples (“Ô Lucifer, Ô laisse-moi rien qu’une fois – glisser mes doigts dans les cheveux d’Esméralda”) tandis que Dieu, via l’église, est le méchant qui impose des règles et des limites. Écouter les chansons françaises donne des clefs pour comprendre la culture contemporaine et révèle derrière les bouleversements de la post modernité une part du vieux socle culturel qui ne bouge pas tant que ça.
Même un groupe anglo-saxon comme AC/DC voit dans le diable celui qui aime faire la fête, qui est plus proche de Bacchus que du Satan des chrétiens. Aux USA, une de leurs chansons (“Highway to hell”) a déchaîné les associations bien pensantes. Elles ont même inventé qu’AC/DC signifiait “Anti Christ/Death to Christ” alors que cela signifie tout simplement: “courant alternatif courant continu” (Alternating Current /Direct Current).
D’un album à l’autre on voit les chanteurs évoluer. Mais s’ils abordent la question spirituelle, c’est toujours de façon détournée et poétique, rarement frontale. Il y a pourtant des exceptions. Je pense à Lenny Kravitz qui a sorti un album intitulé “Circus” dans lequel se trouvent quatre chansons authentiquement évangéliques, avec des paroles comme “Tu ne vois pas que la résurrection c’est pour toi et que Jésus va revenir”. Et il termine le CD par “Gloire à Dieu”!
Utilises-tu la chanson pour amener un questionnement?
Oui, mais plutôt à titre individuel, lors des week-end ou les camps ski. Dans les rencontres habituelles des GBU, on reste encore dans le cadre de l’étude biblique. Or de nombreux thèmes abordés sont traités dans les chansons. Le problème est qu’elles ne sont pas connues de la majorité. De fait on n’a pas tous la même culture. Bien des chansons offriraient une bonne base d’approche aux sujets dont nous débattons. Exemple: la chanson de Brassens “Auprès de mon arbre”. Elle évoque ces personnes qui, dans leur vie, ont toujours besoin de changement et qui réalisent ensuite que leur nouvel état est pire que le premier. Les chansons de Goldman se prêtent également très bien à la discussion et comme les valeurs qu’il affiche sont proches des nôtres, il est très prisé chez les chrétiens. Récemment il a sorti une chanson qui décrit bien ce que vit un couple après séparation, et pour cause, il vient lui-même de divorcer et de se remarier.
Par ailleurs je suis persuadé qu’aborder un sujet à travers une chanson permet aux chrétiens (autant qu’aux non chrétiens) de réfléchir à ce qu’ils pensent, de se remettre en question, de se recentrer. Quand on vit trop à l’intérieur de son univers évangélique où existe le bien pensant, le politiquement correct, il est bon parfois de se redemander pourquoi on pense ce que l’on pense! Il s’y exerce trop souvent une censure et même une diabolisation de la musique non chrétienne.
Personnellement je regrette que les auteurs de chansons évangéliques ne développent pas des thèmes, disons plus en recherche, moins “arrivés”, moins tranchés, des sujets qui offrent plus de questions que de réponses. Disons franchement une approche un peu analogue à celle de Jésus qui observait le monde et faisait ressortir sous forme de questions ou de réponses peu évidentes ce qu’il voulait dénoncer afin que l’auditeur fasse la démarche lui-même.
Bob Dylan, artiste incontestable, a sorti trois albums après sa conversion du style “convertis-toi à Jésus”. C’était de l’évangélisation lourde, de la propagande et son public a crié à la trahison disant que sa force était justement de poser les questions, de souligner ce qui n’allait pas. Dès qu’il a asséné des réponses le public n’a plus aimé.
Évidemment les thèmes du rock sont essentiellement les filles, la fête et la drogue. Les réponses du genre “éclate-toi, fais ce qui te plaît” passent mieux auprès d’un large public que “convertis-toi”. Personnellement j’aime qu’un chanteur parle de sa foi, parle de Jésus, mais d’une manière fine, poétique, bien amenée. Quand ça devient du matraquage, un concours pour répéter le plus possible les mots clefs pour qu’ils finissent par entrer dans la tête des gens, pour moi ce n’est plus de l’art. C’est pourquoi, parmi les groupes chrétiens j’apprécie particulièrement “Mamguz” (édité chez Séphora). C’est un groupe rock qui, musicalement, fait de la qualité professionnelle et dont les paroles des chansons sont équilibrées.
Ce n’est pas que je sois opposé aux groupes évangéliques, loin de là, ils ont leur place dans le milieu chrétien mais pour l’évangélisation mieux vaut concocter des paroles plus ouvertes sur les problèmes du monde.
Les questions métaphysiques que posent les auteurs compositeurs de la chanson française sont généralement basiques, très basiques même. Cela devrait nous donner de l’espoir car leur rejet de la religion reste fondé sur des préjugés faux. En ayant un discours plus fin et mieux adapté à notre société, on devrait pouvoir réduire ces préjugés et présenter des réponses recevables.
Interview de Yohann Tourne réalisée par Françoise Rontard.
Bien que l’auteur aborde des chanteurs anglophones (Bob Dylan, U2, Sting, Madonna, etc) on peut recommander à ceux qui s’intéressent à la chanson l’ouvrage : ” Entre Rock et ciel ” de Steve Turner, co-édité par les Presses Bibliques Universitaires et Radio-Réveil-Paroles en 1994.
Pierre Froget, autre passionné de la chanson française, se réjouit d’un récent palmarès du public.
NRJ Music Awards 2002. Pas évident, derrière ce nom, de reconnaître la 2ème édition de trophées français qui se positionnent comme une alternative aux tellement controversées Victoires de la Musique. Car ici, seul compte le vote du public, celui de NRJ bien sûr, mais tout de même.
Et quels sont les français récompensés?
Évidemment le public a été touché par les mots de Mylène Farmer, même si elle ne sort qu’une compilation avec un inédit, et par le duo canadien de choc Céline Dion et Garou (Sous le vent).
Surtout, il a découvert Ève Angeli, qui a démontré ses talents en chant et en composition sur les scènes et les podiums avant de partir dans la cour des grands et vendre plus de 500 000 singles. Il a retrouvé Axel Bauer qui reconquiert le public après deux seuls hits en 15 ans et offre à Zazie de partager sa plus grosse vente de singles (À ma place), et l’auteur compositeur interprète Gérald de Palmas qui, après l’éclipse d’un second album et des difficultés à prolonger le succès de “Sur la route”, va atteindre, avec ce 3ème opus (Marcher dans le sable), le million d’albums vendus. Il y a enfin ce coup de cœur pour Garou qui, loin de surfer sur la vague “Notre-Dame de Paris”, a attendu de pouvoir enregistrer un album qui lui ressemble pour rencontrer le public, seul.
Qui les gens ont-ils récompensé? Des artistes “authentiques” qui cherchent la communion avec le public sans tout sacrifier au succès ou à la mode, qui ont connu de longs parcours, des moments de gloire et de galères mais qui, sous les projecteurs ou non, continueront à être eux-mêmes et pas des branchés dernière tendance. Chanteurs-compositeurs pour le moins, ces nominés ne sont récompensés que par ce qu’ils ont prouvé et donné au public. Leurs chansons, si elles parlent d’amours déçues ou difficiles, n’en portent pas moins la certitude que vivre la réalité et chercher son identité est le chemin à suivre. Ni dans le rose du romantisme ni dans le noir du cynisme, c’est à la vraie lumière du soleil qu’ils voient la vie et que le public les reçoit. Quant à la poudre aux yeux, elle finit toujours par retomber.