Jésus revisité. Une figure récurrente dans la science-fiction moderne
Grand lecteur et auteur lui-même de récits de science-fiction, Christophe (1) nous invite à découvrir combien ce monde imaginaire est traversé par le visage du Christ.
Si la littérature de science-fiction abonde d’œuvres abordant le thème de la religion, avec quelques chefs-d’œuvre à la clef (il suffit d’évoquer Un cas de conscience, de James Blish (2), ou le récent Le Moineau de Dieu et sa suite, de Maria Doria Russel (3)), certains de ces romans et nouvelles se concentrent sur la figure de Jésus. D’autres encore effleurent cette thématique, qui transparaît de manière symbolique au travers du récit. En se penchant de plus près sur ces ouvrages, on peut y distinguer trois catégories dans la manière de se rattacher à la figure de Jésus.
Figures christiques
En premier lieu, certains textes se rattachent à cette thématique par le rôle messianique accordé par l’auteur à son héros. On retrouve alors des analogies avec Jésus et l’histoire biblique, qui passent souvent par des petits détails qui font sens de manière symbolique.
C.S. Lewis, dans sa Trilogie Cosmique donne à son héros le nom de Ransom (la rançon). Ce dernier va découvrir peu à peu son rôle dans la lutte contre le mal. Dans le second roman du cycle, Perelandra, il lutte contre l’esprit du mal incarné dans un scientifique. Du combat où il ressort vainqueur, dépendra le sort de Vénus préservée de la Chute. Il en sortira blessé au pied, et cette blessure ne se refermera pas (analogie avec les stigmates du Christ).
Une nouvelle célèbre d’Arthur C. Clarke, l’étoile, aborde la naissance de Jésus de manière détournée puisque qu’il est question de l’étoile qu’ont suivi les mages venus de l’orient. Celle-ci se révèle être une supernova, dont l’explosion anéantit une civilisation extraterrestre. Cette découverte amènera un prêtre en mission spatiale à remettre en question sa foi: la nécessité d’un signe pour annoncer la venue du Christ justifie-t-elle la disparition de toute une civilisation intelligente ?
Dans Dune, et Le messie de Dune de Frank Herbert (4), Paul Atreïde découvrira et approfondira la dimension messianique de son destin dans les immenses déserts de sable qui parsèment la planète, au milieu du peuple des sables, les Fremen. Il découvrira qu’il est le Muhad’dib, le messie annoncé par les prophéties des Fremen (Free-men, les hommes libres). Après son passage au désert, il pourra se faire connaître (Jésus a débuté son ministère après le temps au désert).
Le cinéma n’est pas de reste puisque certains héros sont eux aussi des figures christiques. Il suffit de citer ET, de Steven Spielberg, où l’extraterrestre non violent, qui professe l’amour est rejeté de tous, connaîtra la mort pour ensuite revenir à la vie. La célèbre scène où il échappe à ses poursuivant avec une bande d’enfants en vélo illustre encore cette thématique puisque les vélos s’envolent dans les airs (ascension). Dans le récent épisode I de Star Wars, on découvre la dimension messianique d’Anakin Skywalker (le marcheur du ciel), futur Dark Vador. Ce personnage qui connaîtra la rédemption à la fin de la saga n’a pas eu de père, et la grossesse de sa mère semble s’être déclarée toute seule !
Mais la plus grande réussite de ce thème au cinéma est sans doute Blade Runner. Dans ce film de Ridley Scott, tiré d’un roman de Philip K. Dick (5), un androïde connaît lui aussi la rédemption après avoir semé la mort durant tout le film. Il sauve le héros Deckard, qui allait tomber du haut d’un immeuble. Les deux hommes se sont battus et l’androïde a le visage couvert de sang. Son poignet est percé d’un clou qu’il y a enfoncé pour stopper le processus de sa mort qui a débuté quelque temps auparavant. Après avoir sauvé Deckard, l’androïde est accroupi sur le toit et est à l’agonie. Il parle de la beauté de la vie à Deckard et lâche un “il est temps de mourir” qui rappelle le “tout est accompli”. Sa tête retombe sur sa poitrine et la colombe qu’il tenait dans la main s’envole. L’androïde, à qui l’on refusait le statut d’être humain, semble plus humain que ses poursuivants, prenant une dimension surhumaine dans cette scène chargée de symboles.
Jésus revisité
L’histoire même de Jésus est au centre de nombreux romans et nouvelles de science-fiction, qui revisitent chacun cet épisode fondateur de la civilisation judéo-chrétienne. Certains le bousculent, iconoclastes, blasphémateurs parfois, se voulant en réaction avec le fait religieux chrétien. D’autres le conçoivent comme un jeu littéraire, comme d’autres revisitent des mythes antiques ou modernes. Mais les références sur ce thèmes abondent, et je ne peux ici en citer que quelques unes.
La nouvelle la plus célèbre sur ce thème est L’homme, de Ray Bradbury. Une mission spatiale arrive sur une planète habitée et découvre le passage récent de quelqu’un. Le quelqu’un en question prêchait l’amour du prochain et le propos de la nouvelle est que l’incarnation a eu lieu à de multiples reprises sur des mondes différents, qui avaient chacun besoin de salut. Certains textes procèdent de l’explication rationnelle de la Bible. Dans ce types de textes, Sodome et Gomorre ont été anéantis par une explosion nucléaire, l’homme a été créé scientifiquement par des extraterrestres (les Elohim), etc… Ici l’on a ce que l’on peut appeler l’hypothèse extraterrestre avec l’incarnation qui n’est autre qu’une fécondation in vitro par des extraterrestres, faisant de Jésus un être hybride, ce qui explique au passage ses pouvoirs et les miracles réalisés. L’étoile n’est autre qu’un vaisseau spatial. Ce type de texte ou de discours, lorsqu’il sort du jeu littéraire pour devenir croyance, conduit au phénomène sectaire, dont les Raéliens sont la parfaite illustration.
De nombreux auteurs revisitent Jésus par le biais d’une nouvelle (6). Jean-Pierre Andrevon, dans sa nouvelle Un christ par hasard (7), décrit un Jésus qui se réincarne et revient tous les 33 ans pour sauver l’humanité, ignoré de tous la plupart du temps. Ici le personnage principal croise le chemin de l’une de ces incarnations, un prisonnier qui sera abattu dans son jardin et enterré par ses soins. Incrédule quand à la dimension de cette homme, il trouvera pourtant trois jours plus tard le sol de la tombe fraîchement retourné et plus personne à l’intérieur…
James Morrow, quand à lui, s’est voulu ouvertement blasphématoire lorsqu’il campe une nouvelle incarnation où cette fois le sauveur est une femme, Julie, qui tentera d’échapper à son destin. (8)
L’explication temporelle
Se rattachant à la classification précédente, mais développant une thématique particulière, on trouve des ouvrages qui explorent le voyage dans le temps en relation avec Jésus. Cet épisode de l’histoire est en effet le plus visité par les voyageurs spatio-temporels. Robert Silverberg campe dans Les masques du Temps une agence de voyage spécialisée dans la visite d’événements historiques. Et la question alors posée est: y avait-il autre chose que des touristes dans la foule du Golgotha ? La encore il s’agit d’un jeu littéraire mais apparaît la portée que cet événement a pour notre civilisation.
Michael Moorcock, dans Voici l’homme, va bien plus loin. Son héros, Goglauer, personnalité obsédée par la figure de Jésus se porte volontaire pour l’essai d’une machine à voyager dans le temps, afin de se rendre à l’époque même de Jésus. Mais la machine est détruite et le voyageur ne peut rentrer dans son époque. Recueilli par les esséniens, il part en quête de Jésus. Celui-ci se révèle être un handicapé mental. Rattrapé par ses obsessions, Goglauer commence alors a prêcher. Endossant le destin du Christ comme son identité, il finira sur la croix…
Il ressort de ce bref survol que les auteurs de science-fiction se frottent bien souvent avec un homme nommé Yeshua, fils de charpentier. Si certains d’entre eux, parmi les plus rares, se réclament de la foi chrétienne, la majorité des auteurs est agnostique ou franchement athée. Ces auteurs se réfèrent à l’épisode fondateur de la civilisation judéo-chrétienne. Certains veulent déboulonner l’épisode. Mais tous en parlent.
On peut en déduire (pour la civilisation occidentale) que la figure de Jésus reste ancrée dans l’inconscient collectif.
Pour certains, cette expression peut être une manière de témoigner d’aspirations spirituelles refoulées et qui refont surface.
On peut remarquer que le thème de l’extraterrestre s’y prête admirablement. Il symbolise en effet l’autre, l’étranger. On peut mettre Dieu sous son costume de petit homme vert.
Dans l’imaginaire des auteurs, Jésus continue à s’incarner.
Christophe Varlet
Quelques pistes de lecture:
Bradbury Ray, L’homme, in L’homme illustré, Denoël, coll. Présence du Futur.
Clarke Arthur C., l’étoile in Les neuf milliards de noms de Dieu, Librio.
Lewis C.S., La Trilogie Cosmique, l’Âge d’homme, 1997.
Un film: Blade Runner, Ridley Scott
Notes :
(1) Voir témoignage dans Témoins n° 125, p. 5.
(2) Blish James, Un cas de conscience, Denoël, collection Présence du Futur.
(3) Russel Maria Doria, Le moineau de Dieu, Albin Michel et sa suite Children of God (non traduit).
(4) Herbert Frank, Dune, Le Messie de Dune, Pocket SF.
(5) Dick Philip K., Blade Runner, J’ai Lu.
(6) J’ai moi-même sacrifié à cette pratique dans ma première nouvelle de science-fiction , Tu es poussière…, publiée dans le n° 1 de You!, magazine catholique pour les jeunes.
(7) Andrevon Jean-Pierre, Un Christ par hasard, in Cela se produira bientôt, Denoël, collection Présence du Futur.
(8) Morrow James, Notre mère qui es aux cieux, J’ai Lu.
Références: Témoins N°131