Jérusalem, Judée, Samarie…et Roumanie Vous devez être présent en même temps à Jérusalem, en Judée et en Samarie. Non pas dans l’une ou l’autre, non pas dans l’une après l’autre, mais dans l’une et l’autre simultanément. » Voilà le message de Rick Warren, en ce dimanche de juin 2008, à Lake Forest, en Californie.
Et d’expliquer : Jérusalem, c’est votre famille, votre église, vos voisins. La Judée, c’est votre travail, vos activités associatives ou autres, votre ville, votre région. La Samarie, c’est votre pays, l’étranger. C’est surtout ce qui vous est étranger, ce qui est loin de votre milieu, de votre culture : les SDF, les drogués, les immigrés, les prisonniers…
C’est la première fois que j’entends parler de ces territoires en termes de présence, non par don d’ubiquité, mais en termes de mission. Et de me représenter trois cercles concentriques qui deviennent mon champ d’action. Facile de repérer les deux premiers et d’y inventorier ma présence. Mais qu’en est-il de mon troisième cercle ?
En me garant sur la place de la Poste, Anka m’aperçoit et se précipite au-devant de moi. Le regard brillant elle tente de me dire qu’aujourd’hui c’est un jour particulier, c’est un jour… et pendant qu’elle cherche son mot, j’ai deviné, c’est son anniversaire. Tandis que Robert va poster le colis j’emmène Anka vers la boulangerie pour acheter un gâteau. J’interroge, combien ? Dix-neuf ans ! Et votre mari ? Dix-huit ! (Et déjà un enfant ! Une fille, actuellement avec ses parents en Roumanie). Je pensais à un gâteau pour elle, le mari et la cousine mais arrivées dans la boutique elle me désigne le plus gros en souriant, « Nous, nombreux ». Au diable l’avarice, on n’a pas tous les jours dix-neuf ans. Le garçon n’a même plus de carton assez grand pour l’emballer. Après un passage chez Ed pour les packs d’eau, le poulet de rigueur et autres denrées, nous embarquons Anka et la cousine pour les reconduire.
Le campement est coincé dans un no man’s land dans la fourche entre l’autoroute et une bretelle qui va et vient de la gare. Avant même leur installation la DDE avait « pris soin » de dresser une barrière de protection garantissant leur tranquillité, hum, une façon de les rendre moins visibles des automobilistes.
Je n’ai pas reçu l’appel pour partir au Tchad ou en Lybie, ni même en Roumanie, mais quand la Roumanie, l’Inde ou l’Erythrée viennent à moi alors ! Il est vrai que Massy s’enorgueillit d’être un carrefour de voies de communication, autoroutes, TGV. Et vous, dans quelle direction est votre appel ? Et si comme moi vous préférez le sur place, personne ne vous en tiendra rigueur.
La Samarie, a bien dit Rick Warren, ce n’est pas une question de longitude, c’est juste ce qui est loin de votre épicentre.
Mon rôle de Tata (Anka nous appelle Tonton et Tata) est très épisodique parce que je n’ai pas chaque jour le courage d’affronter le dramatique de la situation. Je me console en me disant que ce que je peux faire, je tâche de le faire et je ne me leurre pas sur ma prétendue bonté. Sûr, je ne suis pas humanitaire addicted ni socio accro. Il y a des jours où Anka est mon prochain, d’autres où elle l’est moins, et d’autres pas du tout, je le confesse. Qui a dit que l’homme est naturellement bon ? Il suffit de s’examiner pour savoir où est l’erreur et pour illustrer que toute bonté humaine est versatile, à géométrie variable et aussi instable qu’en période de giboulées. Nul n’est bon intrinsèquement. Chacun a des élans de bonté, variant selon les jours, l’humeur, la santé, les têtes, les infos, les fêtes et tutti quanti. Certains peuvent avoir une inclination à la bonté plus marquée que d’autres. La bonté n’est cependant pas affaire de moyens, c’est une disposition du cœur. Le trop n’est pas plus de mise en matière de bonté que d’amour. Il y a seulement des personnes qui aiment mal et qui donnent mal. Et chacun de nous verse à un moment ou à un autre dans ce double travers.
Lorsqu’ Anka m’annonce l’arrivée des deux familles sur le ton réjoui d’une bonne nouvelle je m’interroge de quoi je peux me réjouir ? De malheureux abusés qui passent d’un enfer à un autre ? De malheureux qui viennent grossir les rangs de nos laissés pour compte ? De malheureux qui alourdissent l’immensité de la tâche au point que je capitule ? Notez bien que je ne m’occupe pas, moi, de tous les Roumains qui font la manche à M. Je suis juste Tata d’Anka, qui a maintenant deux filles, c’est moins ambitieux et plus rassurant. Il n’empêche que ça m’ouvre les yeux sur le phénomène, car phénomène il y a.
Info radio, un dimanche à 13 h, sur France Info : le campement de Roumains, sous la bretelle d’autoroute à M., a été évacué tôt ce matin, sans heurts (sic !). … [Sauf qu’ils n’ont pu emporter que peu d’affaires et pas le réchaud à gaz, ni la bouteille – le troisième offert, il y en a eu six au gré des divers campements!!]
Je n’appréhende certes pas le phénomène sous le même angle que les énarques des Cabinets à l’échelon préfectoral ou ministériel parce que nous ne chaussons pas les mêmes lunettes et que nous n’avons pas la même finalité. Notre observation diffère surtout par notre position. Mon poste d’observation, au raz du macadam et avec l’œil du Samaritain, n’est cependant pas dépourvu d’intérêt voire de longueur de vue. J’entrevois des choses que je n’aime pas pour mon pays, ni pour les immigrés, ni pour nos institutions, ni pour les terriens où qu’ils soient, d’où qu’ils soient.
Et pour ne pas sombrer dans le désarroi je me tourne vers Celui qui remet le don – et la bonté- à sa juste place. Une jeune missionnaire affirme : « Il est plus facile de donner quand on se donne au Seigneur. »
Chacun de connaître l’expression, si ce n’est l’histoire, du Bon Samaritain. L’Evangile de Luc nous rapporte que le seul à s’arrêter auprès d’un accidenté et à prendre soin de lui, c’est un Samaritain. N’est-ce pas en passant entre la Samarie et la Galilée que Jésus a guéri dix lépreux ? Comme le raconte Luc, « un des dix se voyant guéri, revient sur ses pas, glorifiant Dieu à haute voix. Il tomba sur sa face aux pieds de Jésus et lui rendit grâce. C’était un Samaritain. »
Alors ces Samaritains dont on se détourne, ne font-ils pas preuve d’une attitude charitable et reconnaissante ? Anka, même avec une rage de dents, elle prend des nouvelles de Tonton en souriant.
La Samarie est aux portes de Massy comme elle est aux portes de chez vous.
Gisèle McAfee