Le film réalisé à partir de l’œuvre de Tolkien, le « Seigneur des anneaux », vient de remporter un grand succès à Hollywood. Onze oscars pour onze nominations. Mieux encore que les films les plus récompensés dans ce cadre : Ben Hur et Titanic. La victoire remportée par le « Seigneur des anneaux » ne tient pas seulement à la qualité de sa réalisation. Elle s’inscrit dans le succès obtenu aujourd’hui par de grandes œuvres de fiction qui répondent à un questionnement sur le sens de l’existence. On peut proposer différentes lectures de ce phénomène.

Le réenchantement du monde ?

Dans son livre sur la nouvelle spiritualité occidentale (1), Frédéric Lenoir écrit ainsi : « le Dieu lointain et totalement transcendant d’une certaine théologie chrétienne traditionaliste, celui également des philosophes déistes du XVIIIè siècle ou le grand architecte des maçons, ce Dieu étranger au monde qui est né de la conception d’un cosmos-machine désenchanté, intéresse de moins en moins nos contemporains. D’une part pour les raisons qui viennent d’être évoquées : on entend faire l’expérience du divin en soi, et ce Dieu extérieur, étranger au cosmos et aux affaires des hommes, ne parle pas au cœur, à la sensibilité, il ne « s’éprouve pas ». D’autre part, et peut-être encore plus profondément, le besoin de réenchanter le monde, qui est l’un des traits essentiels des quêtes spirituelles contemporaines et la clé de voûte de la religiosité alternative holistique, oriente la recherche du sacré vers de multiples pratiques et croyances d’un cosmos vivant » (1a).
C’est dans cette perspective que Frédéric Lenoir situe le succès international que rencontre l’œuvre de J. R. R. Tolkien : « le Seigneur des anneaux » ou encore « Harry Potter », le personnage inventé par JK. Rowling : « Le succès planétaire de ces deux sagas ne laisse aucun doute sur l’aspiration au réenchantement du monde de nombre de nos contemporains, notamment les enfants, les adolescents et les jeunes adultes » (1b).

Réhabiliter l’imagination

On peut interpréter cette aspiration de différentes façons. Rejoindrait-elle l’animisme ou le chamanisme des religions premières ? Et en réaction, pourrait-elle être ressentie comme une remontée du paganisme ?
Cependant en poursuivant plus loin la réflexion, il nous semble qu’au regard de la foi chrétienne, ce sont les aspects positifs qui méritent d’être soulignés. Grand écrivain, Tolkien était également un chrétien catholique convaincu. Et, à la même époque, à la suite de sa conversion, C S Lewis exprime sa compréhension de la foi chrétienne dans des livres d’apologétique, mais aussi dans une grande œuvre de fiction :  « les chroniques de Narnia » (2). On retrouve dans cette œuvre le même recours au fantastique comme un appel à dépasser les apparences pour exprimer le sens profond de la réalité. Bien sûr, pour entrer dans cette lecture, il est nécessaire de savoir se situer dans le registre de l’imaginaire.

Leanne Payne, auteure connue de livres déclinant une spiritualité chrétienne profondément ancrée dans la parole biblique (3) s’est beaucoup appuyée sur l’œuvre de C S Lewis en montrant combien la pensée de celui-ci contribue à un meilleur discernement (4).
Et justement, elle nous permet de distinguer le déséquilibre qui s’est progressivement instauré dans la pensée occidentale, particulièrement au cours des derniers siècles. A la suite de Descartes et Kant, une déchirure s’est ouverte entre connaissance intuitive et connaissance rationnelle.
Dans son commentaire de C S Lewis, Leanne Payne met l’accent sur l’importance de l’imagination. C’est une forme de pensée indispensable qui doit aller de pair avec l’exercice du raisonnement. « L’épistémologie d’Aristote, nous dit Leanne Payne, a limité la manière dont l’homme reçoit la connaissance aux données reçues par l’expérience sensorielle et la raison. A partir de ces deux modes de connaissance (l’expérience et la raison) qui font partie de la pensée consciente, Aristote développa ses premiers principes de la connaissance. Il élimina ainsi le troisième mode de connaissance, celui exposé par Platon qui incluait les voies de l’inspiration divine du poète et du prophète, des rêves et des visions et – le plus important de tous – la voie de l’amour. Il s’agit là, bien sûr, des voies de la pensée inconsciente, celle de l’image, des métaphores, symboles, mythes et – avec l’amour – de l’incarnation, cette voie qui réunit mythe et fait… L’Eglise, principalement par l’intermédiaire de Thomas d’Aquin, en vînt à accepter l’épistémologie aristotélicienne et l’incorpora à sa théologie. En conséquence, la compréhension judéo-chrétienne des profondeurs du cœur disparut. Il n’y avait désormais plus de catégories pour les reconnaître… Ceci a non seulement gravement entravé la compréhension que les chrétiens occidentaux ont de l’imagination créatrice, mais a aussi puissamment refoulé notre compréhension de l’œuvre de l’Esprit Saint en l’homme… » (4a). Dans son poème « Raison », Lewis parle des deux voies de la connaissance : « Dans ce poème, Athénée, la vierge, personnifie la raison, une partie de notre intelligence consciente et de nos facultés de jugement, et la mère, Déméter, symbolise l’imagination, une partie de notre pensée inconsciente ou des profondeurs du cœur » (4b).

Discerner

Ainsi, les grands sagas qui suscitent aujourd’hui un vif intérêt, méritent toute notre attention. Et il est important de pouvoir les aborder dans les termes d’une compréhension chrétienne. A cet égard, on appréciera la parution en français du livre de Mark Eddy Smith, sous le titre : « Tolkien ou l’amour des vertus ordinaires » (5). C’est un guide qui nous permet d’apprécier la sagesse qui se dégage de cette fiction.

Témoins s’efforce de faire connaître en France le beau travail réalisé par l’association chrétienne britannique, Damaris, pour « mettre en relation la foi chrétienne et la culture contemporaine ». En présentant sur son site Internet (www.damaris.org) : films, émissions de télé, livres et œuvres musicales, Damaris nous invite « à explorer les enjeux spirituels et moraux en général et la foi chrétienne en particulier ». Le site comprend aujourd’hui un espace en français, Damaris France. Damaris met en œuvre une réflexion permettant d’apprécier les œuvres contemporaines selon un éclairage biblique.
Sous le terme de « connect bible studies », Damaris produit aujourd’hui des guides permettant à des petits groupes de débattre d’une œuvre à partir d’un ensemble de questions couvrant différentes facettes de celle-ci. Ces guides sont publiés et il faut saluer la parution de deux d’entre eux en français aux éditions de la Ligue pour la lecture de la Bible (6).
Ces deux brochures, présentées dans un graphisme agréable, traitent justement des œuvres que nous avons évoquées au début de cette analyse : le « Seigneur des anneaux » et « Harry Potter et la coupe de feu ». A chaque fois, plusieurs thèmes sont abordés selon une approche associant la mise en perspective du texte et un ensemble de questions qui forment le canevas d’une étude biblique. Ainsi la brochure sur « le Seigneur des anneaux » traite de mission, de pouvoir, de sagesse et de courage.

Le texte de couverture nous éclaire sur l’esprit de cette approche. Aussi peut-on le reproduire ici en conclusion :
«  Un anneau qui les dirige tous, un anneau qui les trouve tous. Un anneau qui leur apporte tout et les lie les uns aux autres dans l’obscurité » (Tolkien)…
« La trilogie de J.J.R Tolkien a été portée à l’écran avec quantité d’effets spéciaux et une distribution internationale remarquables. Ce conte fantastique traitant du bien et du mal connaît un succès planétaire. Confronté à un défi apparemment impossible à relever, le héros nous entraîne au travers des dangers, de la magie, du suspense et du mystère. Que nous enseigne le courage dont fait preuve Frodon tout au long de la mission ? Qu’en est-il du pouvoir et comment pouvons-nous l’exercer correctement ? Comment acquérir la sagesse ? »

Jean Hassenforder
Mars 2004

(1) Lenoir (Frédéric), Les métamorphoses de Dieu : La nouvelle spiritualité occidentale, Plon, 2003, 1a. pp.344-345, 1b.p. 348
(2) Les chroniques de Narnia sont publiées en sept volumes dans la collection folio junior (Gallimard jeunesse).
(3) « La prière d’écoute » et « Vivre la présence de Dieu » aux Editions Raphaël.
(4) Payne (Leanne), Présence réelle : La vision chrétienne du monde dans la pensée et l’imaginaire de C S Lewis, Raphaël, 1998. 4a. p. 176, 4b. p. 181.
(5) Smith (Mark Eddy), Tolkien ou l’amour des vertus ordinaires, Raphaël, 2002.
On peut se procurer les livres parus aux éditions Raphaël à la librairie 7ici (Tel : 01 42 61 57 77)
(6) Le Seigneur des anneaux : Mission, pouvoir, sagesse, courage… qu’en dit la Bible ? Ligue pour la Lecture de la Bible, Damaris, 2004 (Etudes bibliques thématiques)
Harry Potter et la coupe de feu : Magie, adolescence, ambition, le bien et le mal, Qu’en dit la Bible ? Ligue pour la Lecture de la Bible, Damaris, 2004 (Etudes bibliques thématiques).

Un nouveau livre sur le Seigneur des Anneaux

Cette année 2005, un nouveau livre sur le Seigneur des Anneaux vient d’être publié (1). Une analyse de Louis Schweitzer (2) nous permet d’en percevoir tout l’intéret.
“Les auteurs aiment et connaissent en profondeur les aventures de la Terre du Milieu et ils nous conduisent dans une méditation de ce texte qui nous renvoie sans cesse vers l’enseignement biblique et chrétien qui nourrissait également l’auteur. Ils nous montrent que ce grand succes de librairie, aujourd’hui soutenu par un grand film, est aussi une profonde méditation sur la vie. Il n’y a là rien de forcé. Il ne s’agit pas du décryptage d’un message sous-jacent, mais de la lecture du texte-même un peu comme on reçoit une parabole. Un travail édifiant, au meilleur sens du terme, pour les jeunes et les toujours jeunes”

(1) Kurt Bruner et Jim Ware. Trouver Dieu dans le Seigneur des Anneaux. Salvator, 2005

(2) Cf: Construire Ensemble, juillet/aout 2005, p19

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