Une mutation culturelle.
La montée du courant des créatifs culturels.
La victoire de Barack Obama se situe dans le contexte d’une profonde et rapide mutation culturelle. Certains indices nous invitent d’emblée à enter dans cette perspective. Les votes pour Obama sont majoritaires dans les jeunes générations et aussi chez les gens qui ont bénéficié d’une formation supérieure. On sait l’écho que sa candidature a suscité sur le web. Des informations nous apprennent qu’il a bénéficié d’un large soutien chez les entrepreneurs travaillant dans une économie d’avant-garde : la « creative class ». Son soutien dans les minorités n’est pas contradictoire si l’on considère celles-ci comme des groupes qui refusent de s’installer, mais au contraire veulent aller de l’avant.
En fait, lorsqu’on va plus loin dans l’analyse, on constate que des transformations profondes sont en cours dans la culture américaine. Sans doute sont-elles en partie passées inaperçues en raison de l’attention portée au pouvoir conservateur au cours de ces dernières années. Et pourtant, à partir de 1992, des travaux de recherche ont montré l’apparition d’une nouvelle culture, celle des « cultural creatives » par delà les catégories jusque là les seules identifiées : « traditionnels » et « modernes ». En 1996, deux sociologues américains Paul H Ray et Sherry Anderson mettent ainsi en valeur une nouvelle répartition : les « modernes » (47%), les traditionalistes (29%), les « créatifs culturels » (24%). Ce dernier groupe est le fruit d’une progression sensible depuis les années 60 : environ 1/2% chaque année. Et selon Paul Ray : « Leur style de vie est différent. Leur conception du monde est différente. Leurs valeurs sont différentes ». Cette culture s’est développée aux Etats-Unis au long d’une histoire qui peut maintenant être retracée : les luttes pour la paix, pour la cause des femmes et des enfants, pour les droits civiques, pour la justice sociale. Elle est le fruit d’une convergence entre différents mouvements : la conscience, la spiritualité, une vision alternative de la santé et de la médecine, la psychologie, le féminisme, l’écologie, les droits civiques… « Les créatifs culturels s’engagent pour l’écologie et le sauvetage de la planète, la qualité des relations, la paix et la justice sociale, mais ils s’impliquent aussi dans le développement personnel, la spiritualité et des valeurs comme l’authenticité et l’expression du vécu. Ainsi ils sont à la fois tournés vers l’intérieur d’une manière « inner directed » et engagés socialement » (9). Ce courant est particulièrement représenté chez les femmes. Selon Paul Ray, l’origine de cette créativité culturelle réside pour une bonne part dans le développement de l’éducation et dans l’expansion de plus en plus rapide de la communication.
On pouvait se demander si ce mouvement dans les mentalités était localisé aux Etats-Unis. En fait, comme pour d’autres transformations en cours, le regard doit s’étendre à un champ plus large. De fait, on constate aujourd’hui que le courant des « créatifs culturels » commence à apparaître dans d’autres pays et notamment en France. A cet égard, une récente enquête est bienvenue (9). Elle montre que les « créatifs culturels » représentent 17% de la population française sur la base de critères comparables.
La recherche se poursuit. Les résultats d’une nouvelle enquête internationale, conduite à nouveau par Paul H. Ray, vont paraître prochainement (10). D’après ces données, la progression de ce courant se poursuit. Représentant 3% environ de la population américaine dans les années 60, 24% en 1996, les « créatifs culturels » forment aujourd’hui 30% de cette population. Cette catégorie est particulièrement présente chez les jeunes, ce qui permet d’anticiper une poursuite de la croissance. D’autres enquêtes sont menées parallèlement dans d’autres pays : en Europe, au Canada et au Japon. Là aussi, on assiste à une progression de ce groupe. Selon Paul Ray, nous assistons ainsi à l’émergence d’un nouveau système de valeurs qui, progressivement, est en train de l’emporter sur les deux cultures jusque là hégémoniques : le traditionalisme et le modernisme.
Le développement de ce nouvel état d’esprit a des incidences dans différents champs de la société. Par exemple, il interpelle les églises chrétiennes. En effet, on trouve chez les « créatifs culturels » de nouvelles formes de spiritualité avec lesquelles les chrétiens devraient entrer en dialogue. Le problème est bien perçu dans un pays comme l’Angleterre. Par ailleurs, les nouveaux comportements associés à un système de valeurs innovant appellent de nouvelles manières de faire église. Ainsi le courant de l’église émergente est concerné par ce milieu (11). Un pionnier de l’église émergente en Europe, Andrew Jones met l’accent sur la nécessité d’un témoignage chrétien auprès des « créatifs culturels » : « Ce tiers de la population est en train de grandir rapidement. Nous ne pouvons négliger cette culture émergente et penser que les modèles du passé fonctionneront pour une nouvelle génération et une conception du monde différente » (12).
Evidemment ce nouvel état d’esprit affecte également le champ politique. En France, on a pu observer dans la campagne présidentielle de Ségolène Royal une consonance entre engagement social, dimension relationnelle et accent sur des valeurs. Aux Etats-Unis, la démarche de Barack Obama a mobilisé , entre autres, des groupes sociaux où se manifeste des changements de mentalité. A cet égard, le témoignage de Paul Ray, est important. Chercheur spécialisé dans ce domaine, il a perçu un soutien de la campagne d’Obama chez les « créatifs culturels ». Ainsi la victoire d’Obama est, pour une large part, la résultante d’une évolution en profondeur de l’opinion américaine : acceptation croissante du droit de chacun à la citoyenneté commune, prise en compte de l’environnement, évolution des sensibilités. La foi chrétienne de Barack Obama résonne dans ce contexte.