Un article de La Croix sur les évolutions de la pratique religieuse (15 août 2006)
Au cours des dernières décennies, dans l’ensemble des pays occidentaux, les bouleversements intervenus dans l’économie, la société, la culture, ont profondément changé le paysage religieux. Dans quelle mesure les pratiques des Eglises sont-elles restées en phase avec des modes de vie et des mentalités en pleine évolution ? La réponse à cette question requiert la mise en oeuvre de recherches permettant de comprendre les processus en cours. Encore faut-il que les responsables des Eglises prennent en compte les analyses des sociologues et veuillent bien en tirer des conséquences.
Saluons la politique menée en ce domaine par la rédaction de La Croix.
En effet, à plusieurs reprises (2), elle a publié des sondages qui éclairent les changements en cours dans le paysage religieux en France, et tout particulièrement dans l’univers catholique. En regard des analyses à plus long terme effectuées par des sociologues, les données viennent nourrir leurs travaux et peuvent être interprétées à la lumière des perspectives qui s’en dégagent.
La baisse continue de l’assistance à la messe.
Dans La Croix du 15 août 2006, une enquête de l’Ifop dresse le profil des catholiques en France (1). Elle vient confirmer une évolution considérable de la pratique religieuse en cours durant les dernières décennies. Alors que les deux tiers des français se disent catholiques, seulement 4,5 % de la population se rend régulièrement à la messe chaque week-end. Ce chiffre marque une nouvelle étape dans la baisse continue de cette pratique depuis les années 70 (3). En fonction de l’importance accordée à l’assistance à la messe tous les dimanches par l’Institution catholique, les sociologues y voyaient un indicateur majeur de la vitalité de celle-ci. Aujourd’hui, face à l’effondrement de celle pratique, une correction intervient puisque la notion de pratique régulière recouvre maintenant tous ceux qui se rendent à la messe au moins une fois par mois.
Cependant, rien ne permet de penser que le palier où se stabilise actuellement cette pratique soit acquis. Au contraire, d’autres données en montrent la fragilité. La pyramide des âges des pratiquants actuels est en effet particulièrement déséquilibrée : 43 % des pratiquants ont plus de 65 ans alors que cette classe d’âge ne représente que 21 % de la population. Et, par ailleurs, le clergé catholique est également vieillissant. Le nombre des prêtres qui assurent actuellement les célébrations est en voie de diminution rapide (2). Ce sondage est donc un nouvel avertissement.
Quelles interprétations ?
Dans son article sur “les évolutions de la pratique religieuse”, Nicolas Senèze s’interroge sur la signification de celle-ci. Il évoque les perspectives ouvertes par les géographes Colette Muller et Jean-Renè Bertrand dans leur ouvrage : “Ou sont passés les catholiques ?”(4).
“Aujourd’hui, ce sont d’autres comportements, attitudes et engagements qui peuvent situer socialement les catholiques” (participation au denier de l’Eglise, lecture de la presse catholique, groupes de prière, engagement dans une antenne du Secours catholique ou dans un rassemblement d’Eglise…). Certes, mais on aurait tort de sous-estimer l’ampleur de la crise.
Elle est bien analysée par la sociologue Danièle Hervieu-Léger lorsque celle-ci met en évidence la décomposition de la “civilisation paroissiale”(5). Dans ce contexte, on peut se demander parallèlement si le recul impressionnant de la pratique religieuse catholique en terme d’assistance à la messe n’est pas lié à une perception d’un archaïsme croissant des formes culturelles correspondantes. Et, si ce déphasage se manifeste dans une population catholique qui, pour une part, se dit “pratiquante” dans un sens beaucoup plus général, combien plus contribue-t-il à l’éloignement du reste de la population ?
Quelles perspectives ?
Or, la vitalité collective de la foi chrétienne requiert une pratique sociale où puissent s’exercer des fonctions comme la socialisation, la communication, la transmission, l’expression collective. À cet égard, l’analyse de sociologues comme Peter Berger et Thomas Luckman nous paraît très éclairante. Selon leur approche, une vision du monde, ce qui constitue la réalité fondamentale, s’inscrit dans une “construction sociale” (6)
En termes sociologiques, une croyance s’entretient et se transmet en fonction d’une”structure de plausibilité”, un environnement social qui la conforte. Le Nouveau Testament montre l’importance de processus sociaux dans la diffusion de la foi chrétienne. Les communautés chrétiennes permettent la participation à un même univers de foi dans le partage, l’encouragement, l’expression collective…
Il y a donc de nouvelles formes d’Eglise, de nouvelles formes de pratiques à inventer. La bonne nouvelle, c’est que ce processus est déjà à l’oeuvre dans le courant de l’Eglise émergente qui apparaît aujourd’hui dans certains pays.
Depuis quelques années, le groupe de recherche de l’association chrétienne interconfessionnelle Témoins s’interroge sur la pertinence des pratiques d’Eglise et en regard sur les innovations en cours (7). À l’échelle internationale, le courant de l’Eglise émergente s’inscrit dans ces innovations. En Grande-Bretagne notamment, ce courant est le produit d’une conviction de foi, d’une capacité d’analyse et de remise en question, d’un esprit d’innovation. Comme en France, la fréquentation des offices dominicaux y diminue. Et, dans une attitude prospective, on est capable de reconnaître, que, si rien ne bouge, certaines
dénominations importantes, comme par exemple l’Eglise Nationale d’Ecosse, n’auront plus d’existence sociale dans une vingtaine d’années.
Aussi appelle-t-on à la rénovation des Eglises classiques. Mais pas seulement ! Car, comme l’écrit Michael Moynagh, un pionnier de l’Eglise émergente, on a les yeux ouverts pour constater que les institutions traditionnelles sont maintenant “à des années lumière” des gens qui se sont éloignés des Eglises et s’inscrivent dans une culture nouvelle. On ne demande donc pas aux Eglises classiques de changer de fond en comble, mais on appelle à un travail missionnaire pour fonder de nouvelles communautés chrétiennes dans la culture des gens d’aujourd’hui.
L’avenir dépendra de cet effort d’imagination et d’innovation. En Grande-Bretagne, ce courant alternatif est reconnu comme une contribution majeure par l’Eglise anglicane. C’est une “Eglise autrement”(8) qui est en train de naître.
En France, les diagnostics des sociologues, les évolutions Statistiques interpellent toutes les églises et particulièrement l’Eglise catholique.
Comme le montre l’article de La Croix, il y a un potentiel. Des initiatives comme celle du Diocèse de Poitiers (9) où on donne priorité au développement de communautés locales animées par des conseils de laïcs, ouvrent un chemin. Mais l’Institution catholique marquée dans son ensemble par une culture hiérarchique et la dépendance vis-à-vis d’un pouvoir central, semble peu ouverte à une profonde remise en question.
Pourtant, comme l’écho nous en parvient de Grande-Bretagne, et comme le montrent les données des enquêtes en France, le temps presse. C’est pourquoi, pour préparer le terrain et pour ouvrir l’horizon, toutes les initiatives sont bien venues. En France aussi, une Eglise émergente se cherche dans une perspective interdénominationnelle et internationale (10).
Jean Hassenforder
(1) Senèze (Nicolas). Les évolutions de la pratique religieuse. Données d’une enquête de l’IFOP. La Croix, mardi 15 aout 2006.
(2) Ainsi, récemment :
*La France des baptisés et des prêtres, 29,30,31 mai 2004
13510 prêtres. 3637 de moins de 55 ans.
Un avertissement : “Dans dix ans, l’Eglise de France pourrait ne plus compter que 4500 prêtres de moins de 65 ans, soit trois fois moins qu’aujourd’hui”.
* La grande diversité des catholiques français. La Croix. Vendredi 24 décembre 2004.
Un avertissement : “Une enquête de l’Institut CSA montre que la lente érosion de la pratique des catholiques de France se poursuit”.
*En 2006, en collaboration avec Réforme, un sondage CSA sur les “proches du protestantisme” en France : La Croix, jeudi 13 avril 2006.
Commentaire sur le site de Témoins : Des chrétiens d’un nouveau type.
(3) La pratique dominicale (assistance à la messe le week-end), de l’ordre de 25% de la population au milieu des années 60, est descendue progressivement, passant en dessous de 20% dans les années 70, puis de 10% dans les années 90.
Source : Lambert (Yves) Religion : développement du hors-piste et de la randonnée (p.134), in : Bréchon (Pierre), dir. Les valeurs de français. Evolutions de 1980 à 2000. A. Colin, 2000.
D’après l’enquête publiée par La Croix le 25 décembre 2001, le pourcentage est de 8,5%.
D’après l’enquête publiée par La Croix le 24 décembre 2004, 4,5% des français vont à la messe chaque semaine et, au delà, 3,2% au moins une fois par mois. La baisse a été rapide. Le pourcentage de 4,5% est confirmé par l’enquête de l’IFOP (La Croix, 15 août 2006)
Cette baisse continue nous paraît indiquer un déphasage de cette pratique au sein même de l’univers catholique puisqu’en 2006, 25% des catholiques se déclarent pratiquants. Elle met également en évidence un écart considérable entre les déclarations et les instructions de l’Eglise institutionnelle, particulièrement de la Papauté, et les représentations et les convictions des catholiques français.
(4) Muller (Colette), Bertrand (Jean-Pierre). Où sont passés les catholiques? Une géographie des catholiques en France. Desclée de Brouwer, 2002.
(5) Hervieu-Léger (Danièle). La religion en mouvement. Le pélerin et le converti. Flammarion, 1999.
“L’affaissement de la pratique religieuse… (est un processus) qui atteint tout particulièrement le catholicisme et le modèle de civilisation paroissiale qu’il a élaboré en réponse aux contestations de la Réforme et aux avancées de la Modernité. l’Eglise catholique est d’autant plus démunie pour y faire face que cette crise met en question radicalement la structure hiérarchique et centralisée du pouvoir sur laquelle elle repose” (p.92).
(6) Berger (Peter), Luckmann (Thomas). La construction sociale de la réalité. Méridiens Klincksieck, 1994.
(7) Une centaine de textes sur l’espace : groupe de recherche www.temoins.com
(8) Moynagh (Michael). L’Eglise autrement. Les voies du changement. Empreinte. Temps Présent, 2003 (Disponible à la librairie 7ici ; Tél : 01 42 61 57 77)
(9) Rouet (Albert), Boone (Eric), Bulteau (Gisèle), Russeil (Jean-Paul), Talbot (Andrée). Un nouveau visage d’Eglise. L’expérience des communautés locales à Poitiers. Bayard, 2005.
(10) Dossier : “A propos de nouvelles formes d’Eglise”. Perspectives Missionnaires, N°51, 2006 www.perspectives-missionnaires.org
Références: Groupe “Recherche” Témoins