Jean nous invite à découvrir les passionnants travaux de Philip Jenkins, un universitaire américain, sur les regards, différents du notre, que les chrétiens d’Amérique du Sud, d’Afrique ou d’Asie portent sur la Bible.
La Bible, parole vivante dans les cultures africaines et asiatiques.
Une interpellation pour les chrétiens occidentaux.
La géographie du christianisme est en train de changer sous nos yeux. Des historiens, des sociologues nous montrent comment les églises chrétiennes se développent aujourd’hui rapidement dans les pays du Sud, terme dans lequel ils englobent l’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie (1). A cet égard, les travaux de l’universitaire américain, Philip Jenkins, sont particulièrement éclairants. En 1900, 80% des chrétiens vivaient en Europe et en Amérique du Nord. Aujourd’hui, plus de 60% des chrétiens vivent en dehors de cette zone géographique. Dans les pays du Sud, la foi chrétienne manifeste une intense vitalité. Et, à travers la globalisation, ce dynamisme commence à exercer certains effets dans les pays du Nord. Alors, il est temps que les chrétiens dans ces pays commencent à se demander ce qu’ils peuvent apprendre de leurs frères des pays du Sud.
Dans son livre sur les nouveaux visages du christianisme (« New faces of christianity ») (2), Philip Jenkins étudie la vie chrétienne dans les pays d’Afrique et d’Asie. Et il met en évidence la profondeur d’une foi biblique qui comprend les Ecritures d’une façon bien différente de celle qui prévaut dans les pays du Nord. A partir de ce livre, dans un article paru récemment dans « Books and culture » (3), Joel Carpenter nous montre comment, dans les pays du Sud, la vitalité et le dynamisme de la lecture de la Bible s’inscrit dans une relation affinitaire entre la culture de ces pays et celle dans laquelle la Bible a été écrite. Dans ce contexte, parce qu’elle répond en termes familiers aux questions que les gens se posent, la lecture de la Bible inspire des transformations profondes non seulement sur le plan personnel, mais aussi dans la vie de ces sociétés.
Une parole qui porte.
Dans ces pays, les gens sont naturellement disposés à reconnaître la valeur des textes religieux. Et dans ces peuples en train d’entrer dans la pratique de la lecture et de l’écriture, la Parole biblique exerce des effets puissants comme en Europe au temps de la Réforme au moment où les Ecritures commençaient à être mises à la disposition des nouveaux lecteurs dans leur propre langue. Dans les sociétés du Sud, l’accès à la Parole biblique se réalise en communauté. Les croyants deviennent ensemble « le peuple du Livre ».
Toute la Bible.
Jenkins nous montre comment les chrétiens d’Afrique et d ‘Asie accordent une grande importance à l’Ancien Testament. Pour les africains, l’Ancien Testament traite de la vie nomade, de la polygamie, des rituels de sacrifice, c’est à dire de réalités qui leur sont familières. Les gens d’Asie révèrent la littérature de sagesse présente dans l’Ancien Testament, son « visage oriental ». Dans les deux continents, la dénonciation de l’idolâtrie est perçue comme directement pertinente et prophétique. Les africains comme les asiatiques aiment le livre des Proverbes. Dans des sociétés marquées par la transmission orale, les proverbes portent une expérience séculaire.
Les chrétiens du Sud lisent également avec ferveur le Nouveau Testament. Et ils valorisent fréquemment certains textes moins prisés dans les pays du Nord. Jenkins en donne comme exemple l’appréciation portée à l’épître de Jacques. Celle-ci a été contestée par certains réformateurs protestants. Dans les pays du Sud, elle rencontre un accueil chaleureux. Cette épître, inspirée par la littérature de sagesse, est, en effet, proverbiale, pratique, concrète, orientée vers l’action, tournée vers les pauvres et les personnes en détresse.
De même, l’Apocalypse est appréciée comme une force de dénonciation des maux ambiants et des régimes totalitaires.
Une bonne nouvelle pour les pauvres.
Dans cette partie du monde, la pauvreté est prégnante. On y est confronté à la famine, aux épidémies, aux déplacements de population, à l’endettement, à la corruption et à la tyrannie. La Bible parle beaucoup de toutes ces réalités. Et elle permet aux croyants de les affronter. Elle suscite la foi comme une force de vie et de libération.
Une religion qui parlerait seulement à l’âme et pas au corps n’est pas une religion biblique. Ainsi la foi chrétienne est entendue également à travers des actions miraculeuses. Dans les pays du Sud, le christianisme met l’accent sur la guérison. Et il est engagé dans une pratique de délivrance à l’encontre des forces du mal.
Un chemin de libération.
Quand les chrétiens d’Afrique et d’Asie regardent à Jésus, ils voient en lui le libérateur. Le texte qui définit le mieux pour eux le ministère de Jésus, n’est pas tant la paisible conversation avec Nicodème à propos de la nouvelle naissance en Jean 3 que l’inauguration du ministère public de Jésus en Luc 4 quand il déclare hardiment qu’il est venu pour guérir, délivrer et libérer. Ainsi, lorsque Jésus affirme que la cécité de l’aveugle né n’est pas liée aux péchés de ses parents (Jean 9), cette parole est reçue comme un message libérateur dans les basses classes qui se perçoivent victimes de la fatalité et des malédictions ancestrales.
A travers le recours à des textes comme l’Exode, les Prophètes, Daniel, les Béatitudes, l’Apocalypse, la Bible soutient les croyants face aux persécutions et aux pouvoirs dictatoriaux. Jenkins cite le Psaume 23. Le Seigneur est le bon berger qui garde ses brebis face à des gouvernants injustes qui sont eux de mauvais bergers.
Des femmes se lèvent.
Jenkins reconnaît la présence des influences patriarcales, mais il met en évidence une tendance générale dans laquelle les femmes dans les nouvelles Eglises sont en train de trouver la capacité de s’exprimer et souvent de diriger. Pour les femmes, jusque là réduites à un rôle subordonné à travers une culture traditionnelle, l’accès à la lecture de la Bible est libérateur. La compétence dans cette lecture induit un statut nouveau.
Le récit de Jésus ressuscitant la fille de Jaïre est érigé en bannière par un mouvement féministe africain. « Lève-toi, jeune fille ! ».
Les plus grands changements sociaux en cours sont le développement du mariage monogame et une critique du machisme male.
Pour une lecture renouvelée de la Bible.
Les analyses de Philip Jenkins ouvrent les chrétiens des pays du Nord à un nouveau regard vis à vis de la Bible. Elles montrent en effet la puissance et la pertinence de la Parole biblique face à un ensemble de situations. Si les problèmes ne sont pas les mêmes dans le Nord et dans le Sud, cette puissance et cette pertinence de la Parole biblique sont , en elles mêmes, exemplaires. Cette approche éclaire le texte biblique sous un jour nouveau. Face à des tendances réductrices, elle ouvre les interprétations.
Aujourd’hui, dans le grand brassage de populations en cours dans le monde, dans les transformations sociales et culturelles qui affectent toutes les sociétés, l’apport de ce regard nouveau est particulièrement bienvenu. Car la culture occidentale est elle-même un mouvement. Il nous faut reconsidérer sa trajectoire. Elle a pu, dans le passé, être amenée à s’élever contre les abus d’un pouvoir religieux. Dans ces circonstances, elle a pu aussi être entraînée dans une posture desséchante. Cependant, à travers les siècles, la foi chrétienne a également exercé une influence éducative, modifié des comportements et engendré des valeurs qui irriguent aujourd’hui la société occidentale et bien au delà. Aujourd’hui, à une époque où les menaces abondent, cette évolution a besoin d’être entretenue et nourrie.
Face aux problèmes nouveaux qui affectent un monde en mutation, les différentes lectures de la Bible sont appelées à se compléter et à s’enrichir les unes les autres. Dès maintenant, en Europe et en Amérique du Nord, on sent bien combien la foi biblique des chrétiens d’Afrique et d’Asie apporte une dynamique spirituelle. C’est un appel au développement d’une lecture interculturelle de la Bible, c’est à dire au partage des regards et des interprétations entre chrétiens de différentes origines géographiques et culturelles.
Jean Hassenforder
7 05 2007
(1) Les changements en cours dans la géographie du christianisme ont été brillamment mis en évidence dans : Jenkins (Philip). The next christendom. The coming of global christianity. Oxford University Press, 2002. Nous renvoyons également au livre de la sociologue britannique, Grace Davie, présenté sur ce site (recherche, bibliogaphie) : Davie (Grace). Europe, the exceptional case. Parameters of faith in the modern world. Darton, Longman and Todd, 2002.
(2) Jenkins (Philip). The new faces of christianity. Believing the Bible in global south. Oxford University Press, 2006
(3) Carpenter (Joel). Back to the Bible. Books and culture, may/june 2007, p. 22-25. Site internet :www.booksandculture.com