Editorial du « Courrier de Jonas » sur la crise économique
Les groupes Jonas « participent au grand projet du Concile Vatican II, une Eglise qui se laisse interroger par le monde, une Eglise douée d’une parole audible et compréhensible ». Il y a là une approche qui converge avec celle de Témoins, et plus largement avec celle du courant de l’Eglise émergente dans la recherche d’une Eglise en phase avec une culture en mutation et en désir de répondre avec pertinence aux aspirations spirituelles des hommes et des femmes d’aujourd’hui. Le « Courrier de Jonas » a publié récemment un article : « Quels prophètes en temps de crise ? » (1).
A partir d’un commentaire sur le déroulement de la mission du prophète Jonas, ce texte nous paraît pouvoir éclairer positivement notre regard et notre attitude vis à vis de la crise actuelle. En effet, si cette crise est source de maux et de périls, elle est aussi révélatrice des conséquences de comportements erronés et des dysfonctionnements entraînés par notre inadaptation au nouveau monde qui grandit sous nos yeux et requiert des règles nouvelles. Les remèdes requièrent au préalable un diagnostic. En écho aux interpellations des prophètes de la Bible, nous sommes appelés à reconnaître et à suivre les grandes « lois de vie » que Dieu nous révèle.
Les chrétiens participent-ils vigoureusement à un renouveau du monde, ou, par ci, par là, se réfugient-ils dans un repli sur une conception individualiste de leurs destinées, entraînant une indifférence vis à vis des grands enjeux de société ?
La différence tient au regard que nous portons sur le monde. A l’instar d’un grand théologien comme Jürgen Moltmann (2), mais aussi d’autres comme Tom Wright (3) ou Brian McLaren (4) qui inspirent aujourd’hui le courant de l’Eglise émergente, reconnaissons nous dans la résurrection de Jésus le point de départ d’une nouvelle création, d’une œuvre de l’Esprit annonçant et préparant l’avènement « d’un Ciel Nouveau et une Terre Nouvelle » (Apo 21). Alors nos activités terrestres revêtent une valeur céleste (5). Et, dans une démarche convergente, ce numéro du « Courrier de Jonas » évoque l’actualité des théologiens catholiques qui ont inspiré le Concile Vatican II, « en établissant un rapport fécond entre la foi et la vie : théologies de l’incarnation : celle de Chenu, de Congar et de bien d’autres » (6). Une invitation à être attentif aux « signes des temps ».
Jean Hassenforder
(1) Le collectif Jonas. La curieuse crainte d’un prophète. Quels prophètes en temps de crise ? Courrier de Jonas, N° 41, octobre 2008, p. 5 (Extrait ci-dessous). Voir le site internet : www.groupes-jonas.com (plan du site, éditoriaux). Adresse : Jonas. Presbytère 27240 Damville.
(2) Jürgen Moltmann, né en 1926, de nationalité allemande, est un théologien de grande réputation internationale qui a construit une théologie de l’espoir fondée notamment sur une remise en valeur de l’eschatologie dans la théologie chrétienne. La plupart de ses livres sont traduits en français, mais on pourra se reporter en premier à une anthologie de ses textes présentée par Jean Bastaire : « Le rire de l’univers » (Cerf, 2004). Lire sur ce site : ** Au pays de la théologie ** et ** Pâques manifeste la plénitude de Dieu **.
(3) Tom Wright a réalisé des recherches pionnières dans le domaine de l’histoire juive et de l’exégèse du Nouveau Testament. Sa théologie s’inspire de ces travaux. ** Présentation sur ce site de son livre : « Simply christian » : La foi chrétienne. Un sens pour aujourd’hui ** .
(4) Brian McLaren est une figure majeure de l’Eglise émergente, auteur de nombreux livres. On pourra se reporter à un de ses ouvrages majeurs : Generous orthodoxy (Zondervan, 2004). ** Lire : Une théologie pour l’Eglise émergente. Qu’est ce qu’une orthodoxie généreuse ? **
(5) Cosden (Darrell). The heavenly good of earthly work. Paternoster, 2006. ** Lire la présentation : La valeur céleste du travail terrestre ** .
(6) Sur le développement de la théologie ayant inspiré le Concile Vatican II, un livre majeur : Sesboüé (Bernard). La théologie au XXè siècle et l’avenir de la foi. Desclée de Brouwer, 2007. ** Lire la présentation : La théologie catholique dans une Eglise en crise **. . Dans ce même numéro du « Courrier de Jonas », l’accent est mis sur la manière dont cette théologie garde toute son originalité et peut donc inspirer aujourd’hui « l’expérience chrétienne que vivent nombre de nos frères ».
Voici le texte.
“La curieuse crainte d’un prophète !”
Jonas n’exécute pas les ordres du Seigneur.
“Jonas se lève, mais pour fuir à Tarsis loin du Seigneur. Descendu à Joppé (ou Jaffa), il y trouve un navire en partance pour Tarsis. Il paie le prix de la traversée et monte à bord avec les matelots pour aller avec eux à Tarsis, loin du Seigneur.”
Déjà avec de l’argent… c’est étrange pour un prophète !
A la fin du récit, détail exquis, nous apprenons la raison pour laquelle Jonas avait fui. Connaissant la bonté de Dieu, il avait eu peur que sa prédiction de prophète ne s’accomplisse pas et alors de quoi aurait-il eu l’air ? Dieu revenant sur sa décision dramatique : Voilà bien ce qu’il craignait et qui est arrivé : Ninive s’est convertie et Dieu a pardonné.
Mais il a fallu pour cela que Jonas se rende à Ninive pour la menacer de destruction. Et finalement, qu’est-ce qui l’a fait changer de direction ? : le rôle miraculeux joué par la nature. La nature à la fois décor, acteur, instrument et révélateur de la bonté du Créateur. L’océan, actionné par Dieu, a pu changer le prophète rebelle en un prophète obéissant. Le monstre, toujours obéissant à Dieu, vomit le prophète sur le rivage où il ne voulait pas aborder. Plus tard Dieu fera encore agir la nature avec l’épisode de l’arbuste ricin et du ver ravageur.
Ainsi Dieu dans ce petit livre de Jonas est connu et célébré comme Créateur, connu et célébré dans son rapport d’amour et de pardon à tout humain, qu’il soit juif ou païen.
Quels prophètes en temps de crise ?
Certains voient dans la situation de la Ninive planétaire l’apocalypse, la fin du monde non prévue de cette manière. Des Jonas qui ne peuvent envisager qu’une catastrophe finale en punition pour tous les égarements des peuples.
Et si, sans être naïfs, une autre vision de l’avenir était possible ? Une autre vision que celle du Jonas de la Bible contredite par Dieu, aussi réaliste et peut être davantage que la vision catastrophique ? Et si par hasard un prophétisme tout aussi pessimiste au départ que celui de Jonas, était de retour ? Et si d’être jeté par sécurité dans le milieu naturel était, par le fait de se rapprocher des valeurs de l’univers, le début d’un salut sur les rives de l’humanité ?
Et si un autre projet, mobilisateur de toutes les énergies – écologiques, scientifiques, économiques, éthiques et jusqu’aux énergies spirituelles –, entrait dans une démarche de conversion / pardon pour “un nouveau monde”, comme on l’entend dire depuis quelques semaines ? Pourquoi des visionnaires, des pédagogues de toutes obédiences initiant les libertés n’aideraient-ils pas à faire accoucher de ce monde nouveau aux valeurs renouvelées?
Et si cette conversion enracinée dans la liberté allait jusqu’à la réconciliation entre peuples et cultures pour rendre vraies les paroles du psaume : “Justice et Paix s’embrassent” (Ps 84/11). « Au bout du compte nous avons tout intérêt à pardonner, à nous repentir, car sans pardon, sans réconciliation, nous n’avons pas d’avenir” (C’est le titre même du livre de Desmond Tutu :”Il n’y a pas d’avenir sans réconciliation” Albin Michel)
Le Collectif “Jonas.” Edito d’octobre 2008