Colloque à Bangui, organisé par l’Association A9

Ancien pasteur de l’Église protestante du Christ-Roi à Bangui (RCA) et fondateur dans cette même ville du Centre protestant pour la jeunesse – mais tout cela remonte aux années 60/70 – je suis resté particulièrement attentif à la vie de ce pays et à ce que des associations comme A9 peuvent y apporter, ce d’autant plus, que depuis plus de dix ans l’Observatoire Pharos[1], du pluralisme des cultures et des religions y a travaillé, sous ma présidence, pour analyser les causes profondes de la crise de 2013, et ses conséquences en termes de justice transitionnelle et d’attention aux victimes.

En mai dernier j’étais invité par Rodolphe Gozegba à présider le colloque qu’il organisait à Bangui avec son association A9. Rien ne pouvait plus m’attirer. Le thème était « Humiliation et réconciliation : quel avenir pour les sociétés post-conflit ? ». Plus de 250 personnes y ont participé pendant deux jours dans la très belle salle de la Sécurité Sociale et apporté une assiduité remarquable ainsi qu’une active participation aux débats. A peine une contribution terminée, les mains se levaient de toute part, et il m’a fallu calme et humour pour tenter de donner la parole au plus grand nombre.

 

Pourquoi un tel intérêt ?

Le thème, tout d’abord. Parler de paix, et bien sûr particulièrement dans le contexte centrafricain, c’est évoquer celles et ceux qui ont souffert profondément des crises passées. J’avais proposé une contribution intitulée « Différents aspects de l’humiliation recueillis dans la parole des Centrafricains par l’Observatoire Pharos dans les années 2013-2015 ». Trois images pour dire cette humiliation : Les enseignants de l’Université de Bangui nous disant être « bâillonnés » par les responsables politiques, alors qu’ils étaient les seuls à avoir depuis des années constitué un groupe de travail sur les origines de la crise centrafricaine ; cette mère et sa fille, violées par des habitants de leur quartier pendant les troubles de 2013 et voyant tous les jours leurs violeurs menaçant de les tuer si elles parlaient et la justice incapable de se saisir de leur drame ; et encore, les intellectuels disant leur humiliation d’entendre l’Ambassadeur de France dire quel était le « bon » premier ministre pour la RCA… Le colloque devait prendre le temps d’entendre les humiliations vécues par la population, humiliations par rabaissement, par déni d’égalité, par relégation ou par stigmatisation (pour reprendre les catégories de Bertrand Badie[2], dont nous avions espéré qu’il pourrait se libérer afin d’apporter les conclusions du colloque).

Bien d’autres contributeurs ont participé à cette première partie : Professeurs d’Université en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, Psychologue clinicienne en RCA, ou encore Ingénieure en informatique passionnée de théologie rendant compte de l’ouvrage d’Olivier Abel[3].

Il fallait d’abord entendre l’humiliation puis envisager comment la réparer ou la déconstruire.

C’est Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’IFRI ouvrait la seconde partie avec un exposé sur la : « Justice transitionnelle : un concept en errance ». Il était suivi par un avocat centrafricain, conseil de la Cour Pénale Internationale et de la Cour pénale spéciale à Bangui ; puis des universitaires de Bangui, de Dshang ou de Maroua au Cameroun. D’autres aspects plus spécifiques étaient abordés ; la question de la vérité (Franck Levasseur), ou le thème biblique de la réconciliation (Philippe Kabongo Mbaya)[4].

Chaque contribution appelait de longs débats ; mais la dernière, par le Professeur Abdon Nadin Liango, président du comité scientifique, sous le titre « Dignité humaine en péril » retraçant les crises subies par la RCA devait susciter un moment extrêmement fort : trente ou quarante mains se sont levées pour apporter précisions, corrections, commentaires… Le colloque se terminait par la confirmation d’un immense besoin de partage auquel répond l’Association A9.

Car la RCA aujourd’hui n’offre pas beaucoup d’autres possibilités. Les oppositions politiques au régime en place ne sont guère actives, ou sont ailleurs. Les problématiques du moment touchent plus aux questions de survie alors que 80% de la population n’a qu’un repas par jour, me dit-on. Les ressources naturelles du pays sont détournées, les routes difficilement praticables, le fonctionnement économique réduit, sauf pour l’immobilier des riches : Bangui voit fleurir les bâtiments à étages, les hôtels climatisés. Et fort peu en profitent. Heureusement, il y a 3000 agents des différentes institutions des Nations Unies.

A9 s’est singularisé en proposant en 2021de nourrir Bangui en 90 jours, opération qui a donné naissance à 1400 jardins potagers privés devant les cases de volontaires et l’opération devrait bientôt doubler.

Mais A9 a aussi lancé avec l’Université (le Recteur ouvrait le colloque) un master en pluralisme religieux et médiation. Quelques jours après le colloque ce sont 60 nouveaux titulaires qui étaient reçus (50 l’an dernier). C’est l’honneur du CCFD-Terre solidaire, de la Friedrich Schiller Universitat d’Iena, et modestement du Défap de soutenir de telles initiatives porteuses d’espérance.

Il est légitime, au terme de ce colloque, de se demander quel est le positionnement de l’association A9 : politique, religieux, moral, universitaire, populaire… ? La très grande diversité culturelle et religieuse des intervenants permet déjà de répondre à cette question. Non ce n’est pas un positionnement partisan ; ni sur le plan politique, ni sur le plan religieux. Les situations évoquées touchaient tout autant des pays de l’ouest que du centre africain. La sociologie côtoyait la théologie ou la philosophie. Il y aura des actes de ce colloque, ce qui semble faire pencher vers l’universitaire… mais je crois pouvoir dire que l’essentiel était ailleurs, dans la salle et sa volonté de débattre des sujets abordés. Ce colloque était avant tout un lieu de culture, au sens profond de ce terme ; un lieu dont on sort plus « cultivé », travaillé par les questions qui ont été posées, par les échanges qui ont eu lieu. S’il faut ramasser cela en une formule : A9 offre un temps fort de culture de la citoyenneté.

Pasteur Jean Arnold de Clermont

[1] « Plateforme de réflexion et d’action, l’Observatoire Pharos envisage un monde apaisé dans lequel la diversité d’appartenances est une richesse et non un facteur de violence ou d’exclusion ». https://www.observatoirepharos.com.
[2] Bertrand Badie : « Le temps des humiliés : Pathologie des relations internationales ». Odile Jacob. Nouvelle Edition 2019
[3] Olivier Abel : « De l’humiliation : le nouveau poison de notre société » Poche 2022 Edition Les liens qui libèrent
[4] Deux contributions ne figureront que dans les actes : celle de Jean-Pierre Massias de l’IFJD qui aurait pu être une introduction globale au colloque et celle de Jean Koulagna (Al-Mowafaqa) : « Si quelqu’un te frappe sur la joue droite… (Matthieu 5.39) : Refuser la dictature du mal » ; tous deux ont été empêchés de participer au colloque.

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