Aujourd’hui, président du CCFD-terre solidaire, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la création de ce mouvement, Guy Aurenche publie un livre qui inscrit sa responsabilité actuelle dans la dynamique d’une vie où sa carrière d’avocat a été la matrice d’engagements successifs et convergents de l’ACAT à une action persévérante en faveur des droits de l’homme. Ce livre porte comme titre : « Le souffle d’une vie » (1), et puisque le mot souffle n’est pas anodin mais renvoie à la manifestation de l’Esprit, l’ouvrage nous montre également comment l’œuvre accomplie s’inscrit dans une inspiration. Guy Aurenche nous y parle d’une spiritualité où Dieu nous appelle à participer à « un chemin de Résurrection » et où nous pouvons percevoir son œuvre dans toute vie.

Genèse d’une vie.

Telle qu’il la décrit, la jeunesse de Guy Aurenche nous apparaît comme la matrice d’une vie engagée. Il a trouvé équilibre et formation dans un environnement favorable. Le climat familial lui a été bénéfique : « Je n’ai jamais connu la crise de la foi. Ma famille catholique vivait sa foi de manière classique, mais libre et vivante… Mes parents vivaient leur spiritualité d’une manière sereine, joyeuse et plutôt attirante pour le jeune que j’étais » (p.36).
C’est une époque heureusement irriguée par le concile Vatican II. Etudiant en droit jusqu’à son entrée dans la profession d’avocat, Guy fait partie du Centre Saint Yves animé par les dominicains. « Grâce à eux, leur foi, la force de leur travail théologique, leur confiance à notre égard, je faisais la découverte inouïe que Jésus marchait sur les chemins de la  vie, prenant une multitude de rendez-vous avec l’humanité, avec chacun d’entre nous. L’incarnation prenait un sens pour moi. Jésus devenait un compagnon… Jésus vit, marche, chemine, attend, pleure, meurt sur les routes humaines… et, depuis deux mille ans, une multitude le croit présent à ses cotés. Jésus cessait d’être un dogme pour devenir, dans ma conscience et dans mon cœur, une personne qui me montrait ce qu’est ma vie, la vie en abondance, la vie capable de vaincre toutes les morts » (p.45-46).
C’est dans ce climat que prend forme la spiritualité de Guy Aurenche dans ses orientations majeures. C’est bien sur l’adhésion à la vision du Concile Vatican II. C’est aussi la conjugaison du personnel et du social dans la spiritualité. « Pour moi, il était évident que la vie spirituelle, qui comporte d’abord un choix intime, devait avoir, à un moment donné, une traduction dans la cité… C’est pourquoi je relis aujourd’hui mon choix de devenir avocat comme un choix spirituel, autant que professionnel et social » (p.45). Par la suite, lorsqu’il se marie avec Blandine en 1971, cette démarche de vie unifiée se traduit, pendant quelques années, par une expérience de vie communautaire avec des amis.

La conjugaison de la conviction et de l’ouverture qui caractérise la vie militante de Guy Aurenche apparaît très tôt. Il nous dit une admiration pour Albert Camus qui l’accompagne depuis sa jeunesse. « Albert Camus me lance une invitation à explorer et à découvrir ces valeurs cardinales de l’humanisme que sont l’espérance, la résistance et l’héroïsme… De lui, je retiens surtout l’impératif du bonheur, l’impératif du vivant. Le bonheur n’est pas une idée creuse. Il est le goût de la vie et la volonté de construire… C’est bien ce goût qui rejoint le monde des militants dans les différents domaines de l’humanitaire, du droit et de la justice » (p.31-32).
Guy Aurenche appartient à la génération qui a été marquée par les évènements de 1968 et les changements de mentalité correspondants. On sait combien ces évènements ont suscité des réactions contradictoires. Certains se sont éloignés de la foi chrétienne pour entrer dans une forme de religion politique. D’autres, à l’inverse, se sont repliés sur une attitude défensive et une piété traditionnelle. Guy Aurenche n’est pas tombé dans ces travers. Il a su voir une dynamique positive dans ces évènements. « Ma rencontre avec Jésus- Christ comme personne vivante et l’ouverture de l’Eglise au monde, à son humanité, grâce à Vatican II, m’ont fait vivre les évènements de mai 68 d’une manière profondément spirituelle… Mai 68 était pour moi une véritable recherche spirituelle et non pas du tout un affrontement nihiliste. Il soufflait un esprit de liberté. Les manifestations, les débats, je les ressentais comme une capacité d’amour, de solidarité et d’invention d’un autre monde » (p.48).

Engagements.

Guy Aurenche nous raconte ensuite ses engagements nombreux et divers mais trouvant, chacun, leur origine dans sa démarche professionnelle et son approche spirituelle.

L’un des plus marquants a été la présidence de l’ « Action des chrétiens pour l’abolition de la torture » de 1975 à 1983, dans la grande période pionnière de cette association créée en 1974. L’ACAT est bien connue. Rappelons simplement son rôle majeur dans la défense de ceux qui sont persécutés dans le monde. Elle conjugue action d’influence et prière et brise la solitude des emprisonnés. L’ACAT a été et continue d’être le ferment d’un oecuménisme pratique. A ce sujet Guy Aurenche témoigne d’une spiritualité qui se traduit dans un état d’esprit actif et positif. « Ces années de responsabilité vécues à l’ACAT ont changé ma vie. J’ai compris, concrètement, que, face à l’extrême violence, il est possible d’agir. Nous pouvons tous, à mains nues, réclamer de l’espérance. Ce qui me bouleverse, c’est la capacité de chaque homme à sauver, à aimer, à relever celui ou celle qui est au bord de la route. J’y lis un reflet de la présence de Dieu. J’ai découvert son immensité d’amour. Un amour incarné » (p.78).

L’auteur parle également d’autres engagements : une action en faveur des mal-logés en relation avec l’abbé Pierre ou la participation au groupe « Paroles » qui associe des personnalités catholiques dans une expression de la foi chrétienne en regard des grands enjeux de la société d’aujourd’hui. Le groupe « Paroles » a interpelé l’Eglise catholique sur la pertinence de ses formes et de ses structures dans une culture en mutation. Dans les années 2000, le groupe Paroles a suscité une démarche participative qui a débouché sur la publication d’un livre blanc : « Une Eglise pour le XXIième siècle » (2). Cette initiative rejoint la recherche entreprise à Témoins.

Dans toute sa carrière d’avocat, Guy Aurenche a participé à la lutte pour le respect des droits de l’homme. L’action de l’ACAT pour l’abolition de la torture s’inscrit dans ce grand mouvement. Guy Aurenche a plaidé, à plusieurs reprises, dans des procès contre des hommes ayant organisé ou perpétré la torture : Astiz, sous la dictature militaire en Argentine et Aussaresses pendant la guerre d’Algérie.
Guy Aurenche souligne l’actualité de la « Déclaration universelle des droits de l’homme » adoptée en décembre 1948 par l’ONU, au sortir de la seconde guerre mondiale. Cette déclaration a été un « acte de foi en la dignité de la personne humaine » (p.144) et elle le porte et l’affirme jusqu’à aujourd’hui. « L’humanité n’a-t-elle pas rendez-vous avec la part de sacré reconnue en « chaque membre de la famille humaine » ? ** Voir sur ce site l’article de Guy Aurenche :« Tout homme est une histoire sacrée » **   Chaque personne est ainsi dotée d’une qualité que je qualifierais de transcendante qui fait d’elle un être dont l’essence est au delà de son apparence physique, de sa réalité psychique et de sa condition sociale » (p.148). Et, dans cette perspective, le pacte international relatif aux droits civils et politiques et le pacte international relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels se rejoignent. (p.150).  Il y a donc là un mouvement qui appelle une action et une mobilisation constante et qui, en conséquence, devrait également inspirer l’éducation. « Aucune démarche éducative, si elle se veut sérieuse, ne peut aujourd’hui faire l’économie d’une réflexion sur les droits de l’homme » (p.161). Aussi Guy Aurenche propose-t-il plusieurs axes pédagogiques en ce sens.

Le 1er janvier 2009, sa carrière d’avocat achevé, Guy Aurenche devient président de la grande association « CCFD-Terre solidaire ». « Le Comité catholique contre la faim » a été créé en 1961, à une époque où l’Eglise catholique avait une vive conscience de sa responsabilité sociale à l’échelle planétaire. En 1966, ce comité devient le « Comité catholique contre la faim et pour le développement ». Ce rajout ancre l’œuvre du CCFD dans la durée. En 2008 il accole à son sigle : « Terre solidaire », dans le désir de s’inscrire davantage dans le travail mondialisé pour le développement et d’être plus accessible par les médias toujours pressés et perplexes devant des sigles peu significatifs » (p.105).
Quelles sont les caractéristiques de ce mouvement ? « Pour faire face aux crises qui produisent la malnutrition, la famine, le mal-développement, le CCFD-Terre solidaire est un outil compétent. Mais c’est aussi un ensemble humain : « 15000 membres français et les milliers d’hommes et de femmes regroupés à travers 450 organisations partenaires dans 70 pays… Le CCFD-Terre solidaire est un mouvement, un tissu humain, un collectif plein d’espérance » (p. 109-110). Il travaille dans six grands domaines d’interventions : la paix, la souveraineté alimentaire, l’économie sociale et solidaire, les migrations internationales ** Voir sur ce site l’article de Guy Aurenche :« Sauver les migrants ! » **

, le partage des richesses financières, la promotion des droits de la femme…
Nouveau président du CCFD-Terre solidaire, Guy Aurenche sait prendre du recul et apporter un regard neuf dans la vision prospective du mouvement. Ainsi pose-t-il une question majeure : « Comment mettre dans le coup de la militance les nouvelles générations ? Le défi posé par la jeunesse est celui-ci : « Sommes-nous capables de laisser les jeunes inventer la manière concrète dont ils veulent vivre l’engagement associatif ? Sommes-nous capables de respecter des rythmes nouveaux, et, peut-être, une forme nouvelle de conscience sociale, moins liée aux idéologies et plus soucieuse d’expériences ? » (p.135). De même, face à des modes de fonctionnements hérités du passé, il met l’accent sur un « ministère de reliance » entre les hommes et les femmes qui, bien au delà d’une appartenance ecclésiale déclarée, combattent les causes du mal-développement » (p.137). Cette interrogation sur les changements de mentalité et la manière de les prendre en compte est instructive et vaut bien au delà du CCFD !

Une inspiration

Ce livre décrit la dynamique d’un engagement et le met en perspective. Mais il nous fait aussi part de la manière dont l’auteur en perçoit l’inspiration. Le titre choisi : « Le souffle d’une vie » évoque pour le chrétien l’œuvre de l’Esprit. Nous avons évoqué les racines qui ont permis à Guy Aurenche d’œuvrer avec une force paisible. L’histoire de chacun donne à son message un coloris original.
Dans un contexte humaniste dans la meilleure acception du terme, Guy Aurenche puise le souffle qui l’inspire dans le message chrétien. Et il nous montre combien ce message, bien perçu, parle à notre temps. « Ce souci d’être contemporain, présent à notre temps, rejoint le beau travail d’« approchement » qui nous est décrit dans la parabole du bon samaritain. Sur la route qui mène de Jérusalem à Jéricho, un homme a su s’approcher d’un autre blessé. Et cela, sans lui demander s’il avait des papiers en règle, s’il croyait en Dieu, ou s’il avait une pratique morale impeccable. C’est dans le travail d’approchement, dans la mise en mouvement de l’humain vers l’humain, que nous devenons des vivants et retrouvons le souffle en le redonnant aux blessés de la vie » (p.21).

Guy Aurenche s’inscrit dans une Eglise dont il reconnaît l’apport. Mais il en sait aussi les limites et plaide pour l’ouverture à l’Esprit. « Ne pourrions-nous pas fonder le lien de l’Eglise avec le monde sur autre chose qu’un rapport d’autorité, qu’une attitude de jugement, voire d’exclusion ? Et pourquoi ne pas faire de « l’appétit de l’autre », la base de cette nouvelle relation ? » (p.210)
Son commentaire de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine répond avec éloquence à cette question. « Jésus, dans le contexte de la société juive de l’époque, prend un risque en parlant avec une femme qui n’est pas de sa maison. C’est une étrangère, une païenne, une hérétique. Jésus va se laisser entraîner sur un terrain explosif et bien peu « catholique »…. J’imagine aisément notre Eglise bousculée par toutes ces questions. Et pourtant si elle ne sait pas les entendre, si elle n’est pas à l’écoute des «Samaritains d’aujourd’hui », elle sera incapable de se mettre en appétit. Elle ne pourra donc pas véritablement dialoguer avec l’autre. Il ne s’agira que de bavardages et de rappels à l’ordre » (p.211-212). Voilà un commentaire qui sera bien accueilli par tous ceux qui, de près ou de loin, participent au courant de l’Eglise émergente…

Cet accent mis sur le primat de la relation ouvre la dernière séquence du livre sur l’inspiration de la Parole. Sous cet éclairage, Guy Aurenche aborde quelques grandes questions de société : charité ou justice ? Charité et justice ! La place de Dieu dans l’action sociale (avec un regard sur le rôle de la laïcité). Pour une grande alliance des sources. On se reportera à cette analyse qui appelle la réflexion.

Guy Aurenche nous invite à reconnaître et à entendre l’appel de Dieu. Commentant la rencontre entre Dieu et Elie dans le Livre des Rois (19.11-13), il nous montre comment dans une « brise légère », Dieu appelle à choisir la vie. « A travers les Evangiles, je découvre que tout commence par un appel… En proposant un « lève-toi et marche » aux plus infirmes de ceux qu’il rencontre, Jésus suggère plus qu’une méthode, une pédagogie. Il incarne le souffle qui l’habite et qui fait de l’être humain celui qui a « tant de prix » aux yeux de Dieu » (p.24). « Dieu n’est pas à chercher dans les cieux, mais à rencontrer dans les aventures humaines au plus profond de chaque cœur. Alors l’engagement pour la transformation du monde ne s’oppose plus à la prière, il est l’incarnation de la prière » (p.24).
Guy Aurenche s’inscrit ainsi dans une spiritualité qui nous appelle à « réfléchir à l’homme en tant qu’image de Dieu » (p.239). Et donc aussi à l’image que nous nous faisons de Dieu… Qu’est-il au fond pour nous ? « Dieu est révélé à nous au cœur de la création, de la re-création, de la résurrection, de la démarche d’Alliance, d’engendrement, de reliance… Dans le Nouveau Testament, Jésus-Christ est le maître, le signe et le sacrement de l’alliance que Dieu a proclamée dans le Premier testament. La Résurrection de Jésus nous ouvre un chemin. « La Résurrection de Jésus, loin d’être l’achèvement heureux d’une triste histoire, est rupture radicale avec des logiques de mort, les lois de la fatalité, les règles du jeu du monde (p.245). Oui, l’Evangile, la Bonne Nouvelle « révolutionnaire », qui éclaire nos gestes quotidiens, nos actions, nos pensées, nous aide à croire que la vie va vers la Vie… Alors le christianisme appelle à ce que nous témoignions non pas d’une doctrine, mais d’un événement : la Résurrection. .. Tous, nous sommes en chemin de Résurrection. L’Esprit qui relève, et relève malgré tout, se sert aussi bien du courage de ceux qui organisent une société plus juste que des actes quotidiens que chacun peut poser. Tous, nous voici appelés à cette œuvre de relèvement » (p.247).

Dans ce livre, Guy Aurenche partage son histoire de vie, ses engagements et la manière concrète dont ceux-ci participent à la transformation positive du monde mais aussi son inspiration spirituelle et, indirectement, les choix théologiques qui s’y manifestent. L’horizon qui se découvre ainsi nous paraît animé par l’Esprit. Alors, « le souffle d’une vie » s’inscrit dans le Souffle de la Vie.

Jean Hassenforder

(1)    Guy Aurenche. Le souffle d’une vie. Quarante ans de combat pour une terre solidaire. Préface de Stéphane Hessel. Albin Michel, 2011.
(2)   Groupe Paroles. Une Eglise pour le XXIième siècle. Livre Blanc. Avant-propos de René Rémond et de Guy Aurenche. Bayard, Desclée de Brouwer, 2001. Guy Aurenche a également préfacé : Moynagh (Michaël). L’Eglise autrement. Les voies du changement. Empreinte, 2003.

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