Une histoire culturelle et religieuse entre Caraïbes, Europe et Afrique de l’ouest
Le Gospel exerce aujourd’hui un réel attrait en France et, dans son style musical et social, y transmet un message chrétien bien au-delà des Églises. Sociologue du protestantisme, Sébastien Fath a présenté une communication sur le Gospel francophone dans un symposium culture.
« Dans la seule France métropolitaine, plus de 1100 groupes et ensembles Gospel ont été répertoriés. Dans l’espace transnational francophone, on dépasse les 10 000 structures sans compter les solistes et les chorales paroissiales qui se réclament de ce genre musical.
« La musique Gospel constitue aujourd’hui un vecteur très rassembleur. Qu’est-ce qui se joue dans la rencontre entre cette offre culturelle et des publics pluriels dans et hors des Églises ? A partir d’un terrain de recherche axé sur la francophonie, éclairé par une sociologie socio-historique, trois dynamiques interculturelles se déploient : la fabrique d’une identité afropéenne, la fabrique d’une musique restaurative, la fabrique d’une créolisation. Une œuvre culturelle formatrice (Bildung) ».
Sébastien Fath nous retrace une histoire internationale du Gospel francophone. « Cap sur l’histoire globale et l’histoire connectée, nourrie par l’historiographie de l’esclavage, des colonisations et des décolonisations. En rappelant au passage que sur 23 francophones dans le monde, 22 ne sont pas français ». En rappelant le concept de bildung (formation), Sébastien Fath évoque la capacité du Gospel, « de former, mais aussi de transformer par la culture ainsi véhiculée ». « Le premier terrain est la fabrique d’une culture afropéenne ». C’est aussi la fabrique d’une musique « restaurative » en métropole. « Via la référence forte au Nouveau Testament, aux Évangiles, c’est une réconciliation, une restauration qui est proposée, offrant un parallèle avec la justice restaurative ». Enfin, « la musique Gospel francophone participe aussi à la fabrique de la créolisation », c’est-à-dire « un processus d’hybridation, de métissage culturel paisible, sans hiérarchisation entre une langue dominante et une langue dominée, nourri par les référentiels culturels du ‘territoire circulatoire’ afro-caribéen ». « L’univers Gospel en francophonie propose une alternative aux cloisonnements identitaires ». « Il ne repose pas sur un principe de séparation, mais sur un principe d’accueil. Il défend une inclusivité afropéenne qui laisse aussi une part belle aux femmes, ce qui est loin d’être le cas de toutes les musiques dites religieuses… ».
Sébastien Fath met l’accent sur une autre originalité du Gospel, celle d’être une musique essentiellement ‘spirituelle’. Cette musique ne se joue pas uniquement dans les Églises. Au contraire, elle se joue aussi hors-les-murs, et c’est à partir de l’héritage semi-clandestin des ‘Negro Spirituals’ qu’elle s’est affirmée assez loin des liturgies instituées. Par ailleurs, elle s’ancre principalement dans l’héritage protestant qui tend à désacraliser le cultuel et démocratise l’accès à Dieu… Dans la tradition protestante, l’accès au divin se trouve simplifié. Le Gospel en porte la marque. Il ne sépare pas, ne délimite pas de frontière, il rassemble ». La musique Gospel s’inscrit dans un univers chrétien ; elle s’inscrit dans un univers religieux. Cependant, « certains éléments incitent à la prudence avant de qualifier le Gospel avant tout comme religieux ». « Le Gospel est porté par une culture protestante avant tout horizontale, décléricalisée, démocratique, transitive… C’est pourquoi on peut se demander si, dans le marché culturel de la musique religieuse/sacrée, le Gospel ne se singularise pas en tant que… musique spirituelle. Ni religieuse, encore moins sacrée, mais spirituelle ».
Dans ce texte, Sébastien Fath nous a introduit dans les vastes horizons du Gospel. En mettant l’accent sur son caractère spirituel, il nous en montre la grande ouverture : « Par-delà les barrières confessionnelles, le Gospel attire aujourd’hui de larges publics non définis par leur pratique religieuse mais qui vivent, via les métamorphoses de Dieu, une forme de quête spirituelle (Lenoir, 2003) ».