Nous vous avons parlé de la journée organisée par Témoins sur le thème « élargissons ensemble nos concepts de groupes de maison ». ** Voir l’article **, vous en avez eu un aperçu en vidéo, vous avez pu bénéficier du travail de recherche bibliographique effectué à cette occasion, en voici maintenant une présentation plus détaillée, reprenant la structure de la rencontre, et une partie des échanges de la matinée.
1) Introduction
Andy Buckler
pasteur ERF de Mantes la Jolie, introduit la rencontre par une méditation sur la première communauté chrétienne décrite en Actes 2.
-« Aujourd’hui encore nous venons d’horizons différents avec une expérience, des questions, une pratique à partager ; la manière dont nous pouvons avancer est une tension entre le « chez soi » et le « chez l’autre », l’établi et l’innovant. Le thème d’aujourd’hui : comment élargir nos horizons, nos perceptions ? Il me semble que cette idée d’élargissement et de rencontre est au cœur de l’idée de petit groupe. Le petit groupe, église ou groupe de maison, qu’importe le nom, ouvre sur des moments de carrefour, de tensions aussi parfois entre le « moi » et l’église, le « chez soi » et le « chez l’autre », l’organisé et le spontané, l’établi et l’innovant, l’intérieur et l’extérieur, les affinités et la diversité… Toutes ces dynamiques nous allons les retrouver dans les échanges de la journée. Cela peut susciter des tensions et des questions. Nous ne sommes justement pas là pour nous conforter dans nos certitudes mais pour nous ouvrir à différentes pratiques et pour être stimulés. Comment puis-je revoir ce que je fais à la lumière de l’expérience de l’autre ?
C’est un temps de présentations et d’échanges, à vivre au maximum ; mais invitons surtout la sagesse et la Présence du Seigneur. »
Marie-Thérèse Plaine
présidente de Témoins, rappelle les objectifs et règles du jeu de cette journée.
« Nous ne recherchons pas le consensus, ce n’est pas le but de cette journée, qui a plutôt pour objet, pour reprendre une expression chère à Jean Hassenforder (vice-président de Témoins), la production d’intelligence collective à partir d’allers et retours entre les pratiques des participants et les concepts.
Près de la moitié d’entre nous a participé à la préparation de cette journée et cette préparation nous a déjà amenés, entre nous, à faire bouger nos lignes, à tel point qu’un titre d’atelier, vous le verrez, change.
Pour que cette journée « fonctionne », il faut considérer qu’il n’y a pas les « sachant » d’un côté, les « apprenant » de l’autre. Nous sommes tous, dans cette salle, en position d’apprendre et de donner et ceci à partir du vécu et de l’ancrage de chacun.
Nous appartenons à des milieux chrétiens différents : catholiques, protestants réformés, évangéliques, adventistes, mennonites, baptistes, pentecôtistes, charismatiques, non charismatiques … Nous sommes dans un paysage multiconfessionnel mais aussi international, car issu de plusieurs pays d’origine : France, Royaume Uni, Suède, Suisse, Etats-Unis. L’une des clefs de cette rencontre sera de dépasser nos cultures confessionnelles, d’essayer de les traverser chacun, pour atteindre quelque chose de nouveau, pour réussir à élargir en effet nos concepts de groupes de maisons qui sont souvent grandement fondés sur nos représentations confessionnelles et culturelles. Cela implique de bien définir les mots et les expressions que nous utilisons car, derrière un même mot peuvent se glisser des connotations ou des sens différents en fonction des appartenances ecclésiales.
Voilà l’esprit dans lequel nous souhaitons vivre cette journée. »
Présentation de la journée : une matinée en plénière, un après-midi autour de 4 ateliers, chacun pouvant assister à trois d’entre eux.
Présentation des ateliers par un de leurs animateurs :
Alex Foote, de l’église réformée du Marais à Paris : atelier « Interrogeons nos modèles de groupes de maison », co-animé avec Steve Thrall et Eve Soulain.
« L’atelier sera un échange d’expériences analysées à partir de plusieurs axes : le rapport à une structure plus grande, la multiplication… »
Steve Thrall est pasteur et responsable de la Fonderie ** Voir l’article **
Eve Soulain est artiste, et responsable d’un groupe de maison depuis près de 20 ans.
Ralph Glass et François Anglade : atelier « Vers une mentalité d’essaimage ».
« Vous le voyez, suite à nos longues discussions préparatoires, le titre de l’atelier a changé. A l’origine nous parlions de méthode, à présent nous parlons plutôt de mentalité car « l’unique bonne méthode » ça n’existe pas …. »
Ralph Glass est un des coordinateurs des groupes de maison de ERF Belleville, et chargé d’une expérimentation d’un groupe suivant la méthode « on commence » de Félicity Dale ** Voir la mention dans la bibliographie du 30 janvier **
François Anglade est pasteur ERF chargé de mission dans le cadre des Equipes Pastorales Missionnaires de la région ERF/ EST.
Priscille De Coninck : atelier « Interrogeons les jeunes »co-animé avec Pierre Collas et Charly Mootien.
« On y discutera de l’intergénérationnel, des raisons pour lesquelles les jeunes ont besoin de groupes à eux et on évoquera aussi des liens avec les plus âgés. Nous y présenterons nos groupes « tribus ». L’idée est de vous donner quelques clefs sur l’attente des jeunes et de réfléchir avec vous sur la meilleure manière de coopérer ensemble ».
Priscille, étudiante, a fondé notamment avec Pierre Collas un groupe intitulé EBD ** Voir l’article **
Charly Mootien est responsable du cursus jeunes pour Alpha, ** Voir l’article ** et coordinateur des groupes de maison de l’église de l’Espérance à Paris (adventiste) ** Voir l’article **
Henri Bacher : atelier « exploration de la bible avec des techniques visuelles ».
« On y met de côté la civilisation de l’écrit pour aller vers ce qu’on appelle l’oralité électronique. Dans ce cadre là les gens reçoivent différemment les messages et les expriment différemment. »
Henri et Martine Bacher sont fondateurs du site logoscom.org ** Voir ce site ** et ** Lire l’article **
2) Le groupe de maison, est-ce nouveau ? Non, quoique…
Alex Foote
présente un petit zoom historique, plutôt orienté sur l’univers protestant, dont nous reproduisons ici quelques idées force.
« Nous avons parfois l’impression qu’aujourd’hui les nouvelles idées foisonnent, ce qui en un sens est vrai, mais le sujet des petits groupes, des cellules, est une chose que l’on retrouve tout au long de l’histoire de l’Eglise. … Au commencement les croyants se réunissent dans le temple car il n’y a pas plus grand, mais également dans les maisons pour la prière, le partage du pain etc. … Dans les années 150 on voit de plus en plus d’églises maisons et on assiste aussi à une certaine formalisation du rôle du clergé face aux laïcs. Vers 250 des édifices sont réservés aux rassemblements des chrétiens mais sur le modèle des basiliques qui, à l’époque, étaient des bâtiments civils. Vers 400 des bâtiments religieux remplacent les temples païens et l’on assiste progressivement à une transition des petits groupes aux groupes plus larges.
… Au milieu du 14ième siècle apparaissent des mouvements qui préfigurent la réforme. Par exemple, en Grande Bretagne, dans l’église, c’est-à-dire la communauté de tous les fidèles, se développent des petits groupes perçus comme le meilleur moyen pour cultiver la fraternité et faire des disciples et de l’évangélisation. Même chose chez les Vaudois, à partir du 12ième siècle déjà, et les Hussites à partir du 13ième. Ces petits groupes sont à la base de la formation et de l’évangélisation.
Plus tard il y eu les anabaptistes, dont des structures sont assez analogues à celles que l’on voit aujourd’hui. Très persécutés ils ont appris à survivre dans un monde hostile. Pour eux, se constituer en petits groupes fut de ce fait essentiel. Qu’en est-il à l’époque de la réforme ? Luther définissait trois types de cultes : en latin pour les jeunes, en allemand pour tout le monde et un troisième « culte spécial » qui ne devait pas se dérouler dans un temple mais dans un lieu public ou dans les maisons. Ce dernier n’a malheureusement pas marché car il manquait de leaders formés pour conduire ces petits groupes dans l’approfondissement, la prière et l’évangélisation. Ce modèle a été repris par les anabaptistes mais il y a eu conflit entre eux, considérés comme anarchistes, et les réformés, liés à l’Etat. Or l’Etat n’était guère favorable à ces petits groupes. Il les percevait comme des seconds ou des contre-pouvoirs. Mais le principe de petits groupes a été repris par Bucer à Strasbourg. Il a mis en place deux formes de culte : une au temple, l’autre à la maison. Il voyait le besoin de petites communautés professantes d’édification. Dans une culture globalement protestante il ressentait, à côté des temples où se mêlaient les chrétiens de nom par tradition culturelle et les croyants engagés, le besoin de lieux où puisse se vivre et s’exprimer la foi vivante des professants. Ces communautés étaient des lieux de vrais partages de vie, non de simples réunions. Mais elles n’ont pas fonctionné longtemps. Elles furent perçues comme une division dans l’église entre bons et moins bons chrétiens. De plus, ceux qui en auraient eu le plus besoin n’y participaient pas et ceux qui en faisaient partie affichaient parfois un sentiment de supériorité. A cela s’ajoutaient parfois des abus de pouvoir de la part des leaders des communautés. Au final, la méfiance de l’Etat a mis fin à ce que Luther appelait le 3ième type d’église.
On a vu ensuite apparaître les mouvements piétistes puis, avec Wesley, les méthodistes qui préconisaient non pas un mais plusieurs leaders par groupe. A l’inverse de la plupart des autres groupes les méthodistes se sont par contre structurés et ont résisté plus longtemps.
Depuis 1950 un mouvement important de groupes de cellules se développe, dû en partie à la culture. Ces groupes ont des objectifs pastoraux et d’enseignement. Ils se réunissent en semaine… « Dans un contexte catholique on assiste à une explosion de communautés ecclésiales de base aux Philippines et en Amérique Latine. Ce sont plutôt des groupes de quartier, conçus pour aider les personnes généralement pauvres et qui donnent de bons résultats. Il y a aussi les cellules créées par Yonggi Cho en Corée, qui sont plutôt considérées comme la base de l’église, que comme un 3ième type d’église. »
Jean Hassenforder
rappelle qu’en France, dans les 50 dernières années ont aussi émergé en milieu catholique les grands mouvements : JOC, JAC, JEC, « Vie nouvelle » où des gens se réunissaient en petits groupes. Depuis 1970, sur un autre registre, le renouveau charismatique a également engendré de nombreux petits groupes.
Peut-on faire un lien entre groupe de maison et l’église émergente ?
Andy Buckler répond à cette question.
« Voyons d’abord l’origine du concept d’église émergente. Depuis quelques décennies les sociétés occidentales subissent de profonds changements, et un décalage croissant s’installe entre les formes classiques d’expressions de la foi et des populations de plus en plus éloignées du christianisme. Des chrétiens, dans un souci missionnaire, cherchent à analyser et à combler cet écart qui se creuse avec le temps. Tel est le point de départ du mouvement appelé « église émergente » dont l’objectif n’est pas de restructurer ou de transformer les églises en place mais de renouer le contact avec des personnes fort éloignées des institutions ecclésiales classiques.
Il a donné naissance, depuis environ une quinzaine d’années, à de nouvelles expressions de la vie d’église, à des initiatives locales issues de la base et non de la hiérarchie. Il présente donc un lien avec les petits groupes de maison. D’ailleurs, selon les endroits, il y a plus ou moins interactions entre ces innovations et les institutions. En Grande Bretagne par exemple, depuis une dizaine d’années, les églises anglicanes et méthodistes reconnaissent et encouragent les pratiques émergentes. On observe cependant quelques tensions entre ces initiatives venues de la base et les modes habituels d’évangélisation. Les nouvelles pratiques, en privilégiant le relationnel, en cherchant à innover, déstabilisent quelque peu ceux qui fonctionnent d’après les schémas habituels.
Les groupes de maison jouent un rôle important dans l’innovation mais ils ne s’y réduisent pas. Ils se sont aussi développés dès les années 60 en milieu institutionnel pour redécouvrir la vie d’église à l’échelle humaine et quotidienne.
Les groupes issus du mouvement émergent sont eux conçus comme moteurs de croissance numérique et lieux d’invitations, lieux de croissance spirituelle pour favoriser la redécouverte de la vie de disciple et sa mise en pratique. Il s’y manifeste aussi des dangers et des tensions avec les églises établies. Soyons-y vigilants sans que cela nous freine. Les écueils à éviter ou à contourner sont notamment le rapport à l’autorité et l’évolution dans le temps.
Catholiques ou protestants, nous avons tous une certaine conception du rapport à l’autorité. Chez les protestants ce rapport est moins visible mais il est présent dans les organisations et les structures. On y affirme ne pas vouloir de hiérarchie mais les relations de pouvoir sont bien réelles. Plusieurs questions se posent : dans un petit groupe, comment s’exprime l’autorité ? Comment les groupes inter-agissent-ils ensemble ? Où est la notion d’église ? L’église est-elle le petit groupe ou la mise en réseau de plusieurs petits groupes ? Pour les protestants, l’église est là où des personnes se réunissent au nom du Seigneur, mais structurellement, comment cela s’articule t-il ?
Pour l’église émergente ces questions d’autorité et de structure sont particulièrement importantes. Presque par principe un petit groupe innovant accordera peu de place à l’autorité. Il privilégiera la souplesse mais, avec le temps, des questions d’organisation s’imposeront. Or, un groupe qui se développe a besoin d’être structuré, non dans une structuration qui fige, mais dans une structuration qui permet la croissance et donne des repères. Cette articulation là n’est pas évidente à concrétiser.
La notion d’évolution n’est pas simple non plus. On le constate avec les groupes de jeunes ou de personnes qui ont à la fois de réelles affinités ensemble et le projet d’aller vers leurs contemporains. Le projet marche un temps puis le groupe vieillit. Au bout de 10 ans les jeunes ne sont plus des jeunes. Que faire ? Dans ce contexte, comme dans d’autres, surgit le besoin de renouvellement. Il va se présenter différemment pour les groupes, en particulier les émergents, selon qu’ils se considèrent ou non comme église.
Pour aider chacun à se positionner face à ces questions, des réseaux sans rapport hiérarchique se mettent en place sous la forme de partages fraternels d’expériences, analogues à ce que nous faisons aujourd’hui.
Au final, ce qui réunit toutes ces approches, me semble t-il, c’est le souci de la mission, le souci d’aller vers. Par habitude ou par formation nous sommes en posture d’accueil, de faire venir chez nous. La caractéristique des mouvements émergents est de dire : ne nous contentons pas d’accueillir ceux qui viennent, sortons de nos murs visibles et invisibles, reconnaissons qu’il y a un envoi nécessaire, que nous devons aller vers, au risque d’être changé nous-mêmes et de créer quelque chose qui ressemblera peu à ce que nous avons connu jusque là et qui pourrait même être fort différent ».
3) Motivations dans la création de groupe de maison : témoignages des participants
Nous avons pris le parti d’éviter toute mention que nous jugions d’ordre privé ou intime. Dans le même esprit, certains participants ne sont identifiés que par leur prénom.
Marie Alice
« …Avec mon mari nous avons fait l’Institut biblique de Genève pour être pasteurs parmi les jeunes. Nous nous sommes beaucoup occupés des camps d’ado, du suivi de jeunes etc. Et puis devenus trentenaires, nous avons voulu changer de voie… Ayant vu la limite de plusieurs formes d’évangélisation, et désirant cultiver le contact avec les gens dans leur culture, nous sommes entrés dans une idée d’église-groupe de maison. Dieu nous a ouvert des pistes, nous a envoyé des voisins ; alors nous avons simplement décidé d’approfondir notre intimité avec Christ et de vivre avec les gens en étant vrais, en ne nous préoccupant pas de notre « témoignage de bon chrétien ».
Qu’est-ce que cela signifie ? Tout bonnement que si on va bien, on ne le cache pas et que si on ne va pas bien, on ne le cache pas non plus ; sans pour autant raconter nos soucis à n’importe qui, on ne va pas les masquer et on va se faire des amis, chrétiens ou non chrétiens. On s’en est fait et il s’est constitué un réseau de relations vraies où l’on s’entre aide. Un réseau avec des catholiques très pratiquants, des athées convaincus, des chrétiens. Ce qui en ressort c’est un désir authentique de chercher des réponses à nos questions sur l’existence et de se mettre honnêtement devant la Bible pour trouver un sens à cette vie humaine que nous avons en commun. Dans ma région la population est plutôt aisée, les gens ont ce à quoi tous aspirent : maisons, voitures, enfants… Ils se disent plus ou moins heureux mais ils ont peu de relations humaines, peu de vrais amis et peu de personnes à aider. Et nous, qui avions peu d’argent, de gros travaux à réaliser et 4 enfants, nous avions besoin d’aide. Alors nous nous sommes dits : nous, chrétiens, nous ne sommes pas supérieurs, nous ne savons pas plus de choses que les autres, nous sommes de simples humains mais des humains qui ont rencontré Jésus Christ et nous désirons le partager. Nous avons aussi nos propres besoins et nous cultivons l’amitié. Petit à petit ce travail là a produit des choses dans nos vies.
Nous avons commencé un groupe avec nos meilleurs amis : des gens qui fréquentaient des églises et qui en sont sortis, comme beaucoup de jeunes et d’ados que nous avons suivis, avec lesquels nous avons fait des choses extra : des raids, du snowboard etc. Nous avons vu beaucoup de jeunes sortir de l’église dégoutés par l’institution, par la pratique alors qu’ils aiment Dieu et veulent marcher avec Lui. Mais ils ne pouvaient pas entrer dans le moule du rite du dimanche où l’on vient bien habillé mais où le cœur ne parle pas. »
Michel B.
« Je suis pasteur local, animateur de jeunesse, directeur de centre de loisirs et investi dans la formation d’une école missionnaire avec 50 étudiants en région parisienne. Je m’investis aussi dans des sites d’évangélisation comme : « connaître.dieu.com » et « eglise.net » avec Top chrétien, et je me préoccupe des personnes qui, sur le site, ont déclaré croire maintenant au Christ et vouloir le suivre. Que faire pour ces personnes ? Si nous leur donnons les adresses d’églises proches de chez eux, nous le savons, elles n’iront pas. Certaines ont un arrière plan chrétien, d’autres non, certaines sont musulmanes etc. Aujourd’hui justement je suis là parce que j’ai beaucoup de questions et j’ai l’impression d’être dans un laboratoire.
Les jeunes dont nous nous occupons, une cinquantaine en ce moment, représentent un potentiel missionnaire ; or ces jeunes n’ont nulle envie de s’asseoir dans l’église et d’attendre. Comment répondre, dans la région parisienne, au besoin des jeunes qui veulent servir Dieu, et à celui de ceux qui s’approchent de Dieu par internet ? Comment leur montrer ce qu’est l’église ? Nous avons lancé « eglise.net » pour que les gens découvrent et apprennent ce qu’est une église. Bien sûr notre église d’internautes a un style bien à elle. Nous l’avons conçue pour des gens qui ne vont pas dans les lieux de culte et ne connaissent pas de chrétiens. Ils se connectent et avec les outils internet (forums de discussions, webcam etc) se créent des relations. Notre objectif est d’encourager et d’aider ces personnes qui se connectent à s’organiser en groupes de maisons. Le chantier est immense… Je viens chercher ici des expériences, des outils. Et comme c’est interconfessionnel tout est ouvert et disponible ».
André Pownal
professeur à l’institut de Nogent sur Marne et responsable de groupes de maison.
« Je suis frappé par le décalage entre cette ouverture des gens et leur difficulté à s’insérer dans un groupe. Ils ont une réelle aspiration à la fraternité, à la convivialité, mais se révèlent terriblement abimés, peu préparés à vivre des relations globales, à s’engager, à supporter l’autre à long terme. Je pense qu’il nous faut être très humble. J’ai l’impression qu’on évolue fort lentement avec un groupe de maison. Un investissement pastoral important est à faire si l’on veut pour aider ces personnes dans leur vie, puis à devenir disciples de Jésus et à marcher à la suite avec d’autres disciples. »
Eve
« Mon mari et moi avons participé à l’implantation d’une église. Au cours sa croissance j’ai eu envie de réunir un groupe de maison chez nous. A l’époque nous étions en contact avec Willow Creek, une méga-church de Chicago assez innovante qui a développé les groupes de maison. Après un stage d’une semaine chez eux j’ai souhaité ouvrir un groupe de maison. Il y avait déjà une étude biblique dans l’église. Le pasteur a voulu superviser le groupe de maison. Telle n’était pas ma vision. Je souhaitais faire ça en binôme avec une amie convertie depuis peu de temps et c’est vrai que nous étions jeunes dans la foi mais en même temps nous débordions de ce désir d’avancer en s’interrogeant au jour le jour sur la présence de Dieu au cœur de nos vies. Et quand le pasteur nous a dit que s’il ne supervisait pas le groupe il était contre j’ai quitté l’église. Ce fut horrible, très dur car elle était notre bébé et ça nous a remués jusque dans notre couple mais, en 1991, le groupe de maison à démarré.
La région parisienne est une plaque tournante : des gens y arrivent, d’autres en repartent – et ouvrent des groupes à leur tour – et les places se renouvellent. Nous nous réunissons toutes les semaines autour d’un repas où nous partageons nos joies, nos projets, nos soucis et nous éprouvons fort le besoin de nous renouveler auprès du Seigneur, de nous soutenir, de porter les fardeaux les uns les autres et, en même temps, nous sommes ouverts à ceux qui s’interrogent. C’est très convivial. »
François A.
« J’étais dans une église qui connaissait des blocages : ceux qui étaient là depuis l’origine restaient très actifs et les nouveaux n’avaient pas de place, notamment les jeunes adultes. On m’a invité à faire quelque chose pour les trentenaires, mais ils étaient presque tous partis. Nous avons donc démarré avec des groupes de maison présentés comme les « groupes de jeunesse des années 50 et 60 » car l’expression « groupe de maison » créait une véritable angoisse chez les aînés. Par chance je suis tombé sur une petit livre (« Chrétiens 7 jours sur 7 » – ** Voir mention bibliographie ** et j’ai pu leur montrer que l’objectif des groupes de maison n’était pas de faire sécession mais d’être chrétien jour après jour dans des groupes où existent de vraies relations et le partage d’une culture … On peut dire que ça a bien marché puisqu’en 5 ans 4 groupes sont nés malgré une forte rébellion des plus vieux qui disaient : « François s’enferme avec les jeunes pour devenir leur gourou. Il n’admet ni le regard, ni la supervision, ni l’autorité des vieux etc. ». Ce fut violent. Et ce problème des anciens j’imagine bien que dans 30 ans il se reproduira dans les groupes qui se forment aujourd’hui. Les créateurs qui seront toujours là, avec, sans s’en rendre compte, leur type de relation, leur culture, feront blocage si la vision du groupe, qui n’est pas seulement le plaisir du vivre ensemble mais le désir de continuer à apporter l’évangile, a disparu. Sans ce but les groupes connaîtront régulièrement des crises. »
Suggestion : Pour éviter les crises ne devraient-ils pas être éphémères et se dissoudre à la seconde génération ?
François A
« Ou alors, travailler le manque de formation. On a en effet ressenti le besoin de formation. Avec les jeunes qui venaient au groupe on a étudié les Actes des apôtres puis l’épître aux Ephésiens. Au bout de 2 ans je leur ai dit : le groupe s’arrête. Devant leur déprime j’ai dit « OK mais on se divise en 2 groupes de 6. J’assure une formation pour les responsables de groupes tous les mois et vous vous cherchez, dans votre voisinage et dans l’église, six autres personnes, vous vous reproduisez en 2 groupes de 12 ». Et ça a marché. Mais quand je suis parti la dynamique s’est arrêtée. »
Nordigne
« Nous avons été membres de plusieurs églises. Quelqu’un a dit tout à l’heure que certains jeunes étaient dégoûtés de l’église mais cela ne concerne pas que les jeunes ! Bien des gens pensent que les églises ne répondent pas aux aspirations d’aujourd’hui. C’est un peu notre expérience. Nous avons fini par vivre sans église et nous avons rencontré d’autres chrétiens dans ce cas. Ensemble nous avions envie de faire quelque chose, mais quoi ? Après diverses rencontres nous avons un jour décidé d’ouvrir notre maison, de nous réunir régulièrement et de vivre notre foi en toute simplicité et en étant vrais, comme il a été dit tout à l’heure ; envie d’essayer de vivre l’évangile sans grand objectif ou idée et, au fur et à mesure, de s’ouvrir, de développer cette relation, ce partage, ces études bibliques entre nous. En même temps, nous avons découvert autour de nous des personnes loin des églises mais qui ont des aspirations spirituelles. Pour elles nous avons aussi ouvert notre maison mais différemment, en proposant par exemple un parcours Alpha que nous venons de démarrer il y a 3 semaines ».
4) Un groupe de maison pour quoi faire ?
En d’autres mots peut-on, dans un même groupe, faire de l’évangélisation, de l’enseignement auprès de néophytes et de l’approfondissement de la foi avec des personnes qui marchent avec le Seigneur depuis des années ?
Michel Anglares
prêtre catholique ** Voir son intervention dans l’article sur la réunion du 4 octobre 2008 **
« Je travaille d’une part dans la Maison d’église à la Défense, dans le quartier des affaires et d’autre part dans une paroisse classique et je n’établis pas de distinction entre « aller vers » et « venir vers » ; des gens de tous milieux viennent avec leurs questions et leurs besoins en fonction de ce que nous avons à leur offrir. Nous avons par exemple un groupe nommé Zachée qui réfléchit sur la doctrine sociale de l’église, non de manière théorique, mais pour la mettre en pratique dans leur travail. Et pour la paroisse, qui est dans un autre quartier, c’est pareil. Nous avons les gens qui viennent pour demander les rites habituels : baptêmes, mariage etc. On les met ensemble pour qu’ils réfléchissent ensemble puis ils repartent dans leurs quartiers. Comme souvent en région parisienne les gens bougent beaucoup, arrivent, déménagent etc. Le turn-over est important. On peut espérer qu’ils exportent dans leurs déménagements les diverses expériences chrétiennes qu’ils vivent en leurs différents lieux de résidence ou de travail. Ceci dit il n’est pas interdit aux communautés chrétiennes de s’exprimer en dehors de leurs propres murs. C’est ainsi qu’à la Défense nous avons le projet d’organiser des rencontres-débats avec des étudiants (ils sont plus de 6000 sur ce site)au sein de leurs propres établissements. »
Pierre
« Je fais partie d’un groupe d’études bibliques dites « dépoussiérantes ». Avec une bande de copains on a souhaité sortir du cadre. Pour moi quand on parle d’édification ou d’évangélisation on utilise les mots d’un autre siècle et à la question « pour faire quoi » j’ai envie de répondre que la moitié de notre temps est consacré à manger et que c’est très important pour nous car la plupart du temps on se socialise par ce que l’on met en commun … Ce que je reproche à l’église c’est, par exemple dans le chant, de mettre dans nos bouches un style de phrases et des paroles qui ne sont pas les nôtres. Dans nos études, je n’ai pas de problème à inviter des amis non chrétiens car je sais qu’ils ne vont pas avoir face à eux un discours décalé mais des échanges « normaux », naturels, que nous serons tels que nous nous sentons et non pas tel que nous devrions nous sentir. C’est ce côté informel, ouvert qui importe. »
Henrik
« Je suis un protestant évangélique baptiste nouveau converti, ma femme est catholique et nous vivons ça très bien. Je fais partie d’un groupe de maison évangélique préoccupé par la mission mais dont le principal but est, me semble t-il, d’être « normal » comme tu as dit. Nous pouvons nous y montrer faible et parler de nos soucis et les gens viennent parfois exposer leurs problèmes quotidiens… Des gens viennent parce qu’ils ont envie de partager. C’est peut-être la première fois qu’ils pénètrent dans une église et ils le font justement parce que nous ne leur donnons pas l’image du chrétien triomphant « Jésus sauve, Il a la solution etc.. », mais l’image de gens faibles. Ma question c’est : peut-on être faible et évangéliser ? »
François A
« Dans une famille on trouve des vieux, des très vieux, des moyens, des jeunes, des très jeunes et tout ça avec des crises, des soubresauts et ça évolue. L’église de maison devrait être quelque chose d’analogue et un lieu où les jeunes peuvent amener leurs amis. La perspective missionnaire telle que je la ressens est simplement une perspective vivante parce que, en tout cas dans les milieux réformés, on tombe très fort dans le problème dénoncé dans l’épître à Timothée : on veut constamment accroître son savoir et l’on écoute la prédication comme on écouterait une conférence du Collège de France. Or écouter une conférence correspond à un style de société, à un type de formation etc… alors que dans le groupe de maison, ce qui importe, c’est la vie familiale ; or une famille c’est naturellement en expansion et c’est ça la dimension missionnaire. »
Noëlle
« Je suis toute nouvelle dans la tentative d’animer un groupe de maison. Je suis en retraite et mon mari est atteint de sclérose en plaque. Ma problématique en arrivant à Marseille, ville où je n’habitais pas auparavant, était : comment continuer ma vie spirituelle en faisant venir dans ma maison, pour permettre aussi à mon mari d’être avec moi. J’ai songé à inviter des gens de ma paroisse (je suis catholique). Je commence tout juste et ce qui me frappe, j’ai enclenché sur un groupe de maison qui existe déjà, c’est que nous sommes tous vieux. Je me demande comment animer un groupe avec plusieurs générations. Dans ma vie privée je vis le brassage intergénérationnel : j’ai des enfants, des petits enfants et j’aimerais que ce soit pareil dans le groupe de prière. C’est pourquoi ce que vient de dire le pasteur m’interpelle. »
Sylvie
« C’est le manque de vérité qui m’a fait quitter l’institution. Quand je fréquentais l’église j’avais l’impression de porter un masque. Dès le seuil franchi je devais laisser dehors ma vie de chaque jour avec ses joies, ses soucis, mon mari, mes enfants, et revêtir un déguisement momentané que je retirais en sortant. Mais à la longue j’ai fini par découvrir que je pouvais parler de ma vie avec Jésus tout en partageant ce qui faisait mon quotidien. J’ai même réalisé que ma vie de foi était beaucoup plus authentique quand je la partageais avec mes collègues, mes voisines qui connaissent bien par ailleurs ma vie ordinaire… Toute ma façon de concevoir l’évangélisation a changé. Dans l’approche classique j’étais celle qui sait, qui apporte, et je percevais l’autre comme n’ayant qu’à recevoir. Mais c’est faux. Les deux nous sommes invités à donner et à recevoir. »
5) Les groupes de maison en complément de l’église (institutionnelle) ou à côté ?
Laetitia
« J’ai l’impression de voir se dessiner un clivage entre église institution sur laquelle on a regard critique et les groupes où l’on trouve un réconfort. Cela ne me paraît pas juste. Dans mon expérience nous avons commencé dans un groupe de jeunes, avec ce regard critique, puis nous sommes passés au groupe de jeunes adultes où nous avons pu développer des échanges vrais et finalement les faire passer dans l’église, lui insuffler ce que l’on avait découvert sur la relation dans les petits groupes. Le but est en fait que les petits groupes contaminent l’église entière qui souffre d’un manque de relation authentique. Il peut y avoir un aspect bénéfique du petit groupe sur l’institution. »
François F
« Je suis depuis longtemps dans une communauté de maison appelée « communauté des 3 tavernes ». Pourquoi ce nom ? Parce que dans la Bible, (en Actes 28-v15) Il est dit que Paul, après son naufrage s’est arrêté aux « Trois-Tavernes » où il reprit courage avant de poursuivre son ministère jusqu’à Rome. C’est un peu ce que nous avons vécu. Ceci dit j’aimerais évoquer un livre un peu ancien où l’auteur raconte que, nommé pasteur dans une église baptiste très traditionnelle, il y était arrivé plein de zèle mais Dieu lui a conseillé de mettre les freins, de ne pas risquer d’y mettre le bazar. C’était une église traditionnelle comme celle où j’ai vécu et où on « assistait » à un office plus qu’on y participait. Il a compris que sa vision allait perturber les membres et il a eu la sagesse de Dieu de constituer un petit groupe avec une ou deux personnes. Ce petit groupe a porté du fruit et pompé peu à peu la grande assemblée. Quand elle s’est retrouvée toute dans le « petit groupe » celui-ci est devenu le gros groupe qui s’appelle église. C’était la sagesse car au fond, qu’est-ce qui fait que l’on veut être dans une cellule de maison ? Cellule n’est pas le mot adéquat car il recèle une notion d’enfermement et de solitude mais là il signifie qu’on se connaît et que tous ont la possibilité d’apporter quelque chose. »
Sylvie
« … le danger est que l’église dise : Ok pour le petit groupe mais le but final et que tous soient rapatriés chez nous. »
Ralph
« Sous-jacente à ces problématiques (est-il préférable de faire venir ou d’aller vers, le groupe doit-il perdurer dans le temps ou être éphémère, comment vivre le rapport entre le groupe et l’institution … ?) se pose la question de l’identité de l’église, de sa nature même. Si on reconnaît qu’il y a un seul corps du Christ, une fois que l’on appartient à Jésus on fait partie de l’église. Il devient impossible de la quitter. On peut arrêter de se réunir avec les membres de l’église, s’isoler mais on ne peut quitter l’église : ce serait quitter Jésus. Tous les organismes, les institutions, les groupes que l’on peut concevoir, petits ou grands, les formes de cultes, traditionnels ou modernes … toutes ces structures et ces pratiques ne sont que des manières de se rassembler autour du Christ. Savoir si les rencontres doivent être éphémères (ex : les parcours Alpha) ou s’installer dans la durée est une question fonctionnelle à adapter au besoin et au contexte. Une fois qu’on est sûr de qui l’on est en Jésus, les questions sur le faire se posent autrement. On a simplement à s’interroger sur ce que le Seigneur nous demande de réaliser et des initiatives différentes pourront émerger ».
Andy
« Ralph, on s’aime bien mais je ne suis pas d’accord avec ce que tu viens de dire ! Dans la Bible il me semble en effet qu’appartenir au Christ signifie faire partie de l’église. Dans le Nouveau Testament, il est incontestable qu’église veut aussi dire communauté locale. Quand Paul parle du corps il pense à une communauté locale, la question n’est pas seulement fonctionnelle, l’idée de l’église en découle. Quand on parle de petit groupe, on parle de modèles différents: est-il au service de l’église, c’est-à-dire d’une identité plus grande, ou bien est-il l’église ? S’il est perçu comme étant l’église on ne va pas le concevoir comme éphémère alors que s’il est un moyen pour faciliter et dynamiser les relations à l’intérieur d’une communauté plus large, pour aider les gens à approfondir leur foi, on ne va pas souhaiter que les personnes s’y éternisent mais qu’elles s’y investissent un temps puis s’investissent ailleurs. Notre conception de l’église aura donc une importance dans la mise en place d’une petite structure. Il est par ailleurs évident qu’appartenir à Christ c’est appartenir à l’église universelle. »
Ralph
« Je suis absolument d’accord avec toi dans le sens où ce serait une idée grotesque de penser que le corps du Christ puisse être morcelé ou désincarné, car le corps c’est l’incarnation. Donc impossible d’imaginer quelqu’un disant : « moi j’appartiens au corps du Christ mais je vis coupé des autres chrétiens », impossible puisque Dieu nous appelle à vivre en communauté. Il n’y a donc pas de contradiction entre nous. Peut-être me suis-je mal exprimé. Nous faisons partie du même corps du Christ mais cette appartenance s’exprime à travers des structures variées (institutions, groupes etc. »
Michel B
« D’après le chapitre 4 de la lettre aux Ephésiens l’église est l’assemblée, le lieu, où se reçoivent les dons, les ministères, puis qui envoie en mission.
Si je baigne dans le monde des affaires, par exemple, j’essaierai de réunir des gens de mon réseau social dans un café ou un Mac Do, des gens avec lesquels je suis sur la même longueur d’ondes, qui ne trouveraient pas naturellement leur place dans mon église locale. D’un côté l’église est un lieu de ressources (formation…) et de sécurité qui donne une certaine garantie (ex : contre les dérives sectaires), d’un autre elle n’est pas un organisme de contrôle. Elle permet à ceux que le Seigneur inspire de réaliser, dans leur maison, dans un bar ou ailleurs, leurs idées créatives et innovantes.
Mais j’ai un problème théologique si l’on me dit que le groupe de maison « fait église » car sa composition dépend alors du charisme de celui ou de celle qui le dirige. Les clivages vieux/jeunes, groupuscules/institutions ecclésiales, sont à mes yeux des appauvrissements. Des modes de rassemblements qui réunissent jeunes et vieux restent à trouver. Des modes où chacun a sa place, où, par exemple, les personnes âgées qui ne peuvent plus se déplacer réunissent chez elles un groupe, où l’on développe des services dans les maisons pour les personnes malades, handicapées etc. L’église est appelée à être au service de la vie de chacun. C’est le besoin des gens qui doit déterminer ses actions.
Sur la durée du groupe je n’ai pas de réponse. J’ai travaillé dans des églises où il y avait jusqu’à 40 groupes de maison. On s’est trouvé confronté au problème de leur vieillissement et à la question « On se réunit pour faire quoi ? » et même « Pourquoi se réunit-on ? » L’idée s’est alors imposée à nous que le groupe existait d’abord pour que les gens exercent leurs ministères. Il pouvait donc durer plus ou moins longtemps au gré des besoins et des ministères y répondant ».
Henri Bacher
« Je voudrais ramener le débat sur le domaine culturel. La 1ière présentation montrait que les groupes de maison ont démarré sur des clivages culturels : Moyen âge / Renaissance avec Bucer, début des années 60 / changement culturel avec le multimédia. Actuellement ils sont des lieux d’acculturation. En Occident les gens n’ont plus de culture biblique… Le groupe de maison a une fonction culturelle car aujourd’hui l’église est déconnectée culturellement du monde environnant. Elle a besoin de mettre des doigts, des mains, culturellement parlant, spirituellement aussi bien sûr, dans la société. Et quand vous insistez sur manger ensemble c’est pour moi, effectivement, un bon moyen de reprendre les choses à un niveau culturel ».
Jean
« Vous avez parlé tout à l’heure d’église contrôle et d’église ressource. La distinction mériterait d’être développée car c’est bien la notion d’église contrôle qui pose problème.
Par ailleurs il me semble que les groupes ou églises de maison risquent de s’enfermer dans une sorte de ghetto. Se pose alors la question : à quelles ressources ont-ils accès pour s’élargir et comment peuvent-ils fonctionner en termes de réseau ? Certains ont une église ressource mais il en est aussi qui se réunissent en réseau et deviennent à ce moment là une autre forme d’église ».
Bettina
« Sur le rapport entre groupe et église institution, j’ai l’impression que l’on a fort négligé ces derniers temps la notion de service dans la vie chrétienne. On pense toujours à l’annonce de la Parole et peut-être aussi à l’entraide mais pas à se rendre service. Dans nos rapports entre chrétiens, on se demande peu quel service on pourrait rendre à l’autre. Plusieurs ont évoqué combien ce peut être positif d’avoir besoin de l’autre, d’être appelé à solliciter son appui, de lui partager nos fragilités, nos faiblesses. Dans l’esprit de réseau vers lequel s’orientent les églises, il sera important de savoir, par rapport à chaque groupe, quels services, pas trop lourds, pourraient lui être demandé afin qu’un lien authentiquement chrétien se développe entre tous ».
6) Comment gérer l’interconfessionnel, l’intergénérationnel, l’interculturel ?
Christophe
« Dans le cadre d’une paroisse nous avons rencontré des amis catholiques il y a quelques années … Nous leur avons proposé de nous retrouver chez nous. Le groupe est interconfessionnel. Je suis moi-même évangélique. Nous fonctionnons avec un esprit assez ouvert, assez libre, avec une approche biblique forte très demandée par les catholiques. C’est au point que, si on voulait parler parfois d’autre chose que de la Bible, ce n’était pas la peine ! Et l’on a vu les choses bouger. Par exemple au niveau de la prière personnelle. Au début personne n’osait prier de manière spontanée à haute voix. Ce n’était pas du tout l’habitude, pour eux, de s’exprimer ainsi, ouvertement devant les autres. Et puis les choses ont évolué. Aujourd’hui les gens sont plus à l’aise… Nous savons qu’il existe entre nous des différences mais qui, fondamentalement parlant, ne posent pas de problème. Le groupe existe depuis 4 ans environ. Le côté missionnaire n’y a pas été beaucoup évoqué jusqu’ici et on a parfois l’impression de tourner en rond, de se demander quelle est la finalité du groupe de partage. Mais les amis n’éprouvent pas le besoin de l’ouvrir davantage… Actuellement on est dans une période de réflexion. »
A propos des jeunes :
Charly
« Définissons d’abord la notion de jeune car elle est relative selon l’âge de celui qui parle. Quelqu’un de 22, 23 ans c’est un vieux pour un ado et, pour les personnes qui travaillent pour le grand âge, 60 ou 65 ans c’est jeune. Ensuite ne séparons pas jeunes et vieux car les deux marchent ensemble. Le jeune, pour se construire, a besoin d’amis de son âge mais aussi, dans le cadre de ce que vit Eve, de contacts avec les autres générations.
Alors pourquoi, à Alpha, avons-nous souhaité un parcours Alpha jeunes ? Entre Alpha et Alpha jeunes il y a de nombreux points communs dans les valeurs (convivialité, humour, accueil, esprit de liberté) et la structure (repas, exposé, discussions). Où ça diffère, c’est dans la forme de l’exposé et des groupes de discussion. L’exposé Alpha classique dure entre 35 et 45 mn. Celui d’Alpha jeunes 20 à 30 mn maximum et le support audiovisuel y occupe une bonne place. Pourquoi ? Parce que la génération d’aujourd’hui est audiovisuelle et que les paraboles du XXIIème siècle, ce sont les extraits de films.
A Alpha jeunes je suis amené à travailler avec des collégiens, des lycéens et des étudiants. On part de ce qu’ils vivent, de leur contexte, et ce contexte est particulier chez les adolescents. Beaucoup traversent une période de malaise. On tient compte de tous ces éléments dans l’exposé. Pour le groupe de discussion la différence est double : on limite le nombre des participants à 6 ou 7 au maximum alors que chez les adultes on va jusqu’à 12. Pourquoi ? Parce que l’intimité décroît avec le nombre et que chez les ados l’implication diminue en fonction de l’augmentation de la masse.
Lorsqu’on anime un groupe de discussion avec des jeunes et avec des adultes il y a des points communs mais ce n’est pas la même chose. L’approche des jeunes, notamment des ados, sera sensiblement différente de celle des adultes. Voici les grandes variantes entre les parcours Alpha adulte et Alpha jeunes. »
François A
« Je voudrais juste relater l’expérience de Charly dans un lycée catholique dans le cadre de l’aumônerie. Il a commencé le groupe Alpha avec 10 jeunes et il l’a terminé avec 30. Ceci pour dire que si, lorsque les jeunes ne sont pas intéressés, ça ne marche pas, on a plusieurs outils de proposition. Il ne faut pas négliger les pédagogies dont on dispose. Exemple : dans un lycée catho, lieu protégé, si on « fait surtout venir » on « va aussi vers » au moyen de pédagogies adaptées. La réunion se fait le jour où les lycéens (ou les collégiens) sont libres. La rencontre a lieu autour d’une boisson, en présence d’un témoin chrétien (un avocat, un commerçant etc.). Ainsi, 42 fois par an un témoin vient leur dire « Bonjour, je me présente : je suis chrétien, professionnellement ceci ou cela et je vais vous dire les conséquences que cela peut avoir dans ma vie ». Moyennant quoi il y a eu une bonne publicité de bouches à oreilles et l’on est passé d’un style aumônerie où c’était « venez, venez au parcours Alpha » à « nous venons vers vous avec des témoignages de chrétiens pour voir avec eux si cela a un sens d’être chrétien et, si vous voulez approfondir, il y a les formations Alpha ». Il ne faut pas croire que « aller vers » se résume à sortir de son église institution. C’est aussi proposer, dans la maison de l’église, des choses à destination du public. »
Charly
« Je vois beaucoup de groupes où animateur et jeunes n’arrivent pas à se rencontrer, où la relation entre eux ne parvient pas à s’établir. La difficulté dans l’approche des jeunes est que l’adulte on a souvent peur de se faire recaler, rejeter, parce qu’il n’est pas du même monde. A Alpha la valeur essentielle ce sont des relations qui se tissent. »
François F
« Mon épouse et moi nous accueillons toutes les générations chez nous et nous avons le cœur particulièrement ouvert aux gens hors de l’église, ceux qu’on appelle « deséglisés ». Nous accueillons les personnes qui ont du mal avec les églises, qui ne veulent plus y retourner mais qui aiment Dieu, et aussi celles qui sont en recherche. Je remarque que quelque soit l’arrière plan des gens on y découvre toujours des problèmes touchant à des difficultés vécues dans l’enfance avec les parents (autorité, pardon) »
7) Comment gérer les blessures de certains en maintenant la dynamique du groupe ?
Marie Alice
« Il y a aussi l’écoute de la personne blessée, de la personne handicapée. On a beaucoup à apprendre de ces personnes. Elles ont une force intérieure et il faut savoir être à l’écoute de leur force intérieure. Là encore ce n’est pas nous seulement qui apportons. Nous avons aussi à écouter et à apprendre. La relation ne fonctionne pas dans un seul sens. »
Pierre Henri
« Je suis dans un réseau de pères de famille qui s’est constitué voici quelques années en marge de l’église catholique. Chaque année nous organisons une marche jusqu’à Vézelay où nous sommes entre 500 et 600 participants. Ce réseau est constitué de groupes. Il se développe spontanément par la création de nouveaux groupes locaux plus ou moins rattachés aux paroisses. Je suis très touché par ce qui a été dit, notamment par des mots clefs tels que faiblesse, handicapé car nous avons été confrontés à un problème. Nos groupes se réunissent une fois par an, pour 3 jours, à Vézelay. Un jour nous nous sommes dits : c’est bien mais il faudrait vivre aussi quelque chose entre les pèlerinages. Plusieurs songeaient à une communauté, mais comment allier cela au rôle de père de famille ? Pas commode ! Quelle place pour nos épouses ?
Il se trouve qu’en parallèle j’ai une autre expérience de groupes, avec Foi et Lumière ** Voir le site ** développée par Marie Hélène Matthieu et Jean Vanier depuis 1971. Ce mouvement mondial a 1 600 communautés réparties dans 80 pays nées autour des handicapés. Il touche entre 20 000 et 40 000 personnes handicapées ou amis. A côté du groupe Foi et Lumière, qui est intergénérationnel, j’ai constitué un groupe de pères de familles, où ne se trouvent donc que des hommes. Au début j’y ai invité des gens de mon entourage. Ce fut un échec. Puis j’ai demandé à des hommes de Foi et Lumière de venir et là ça a marché. Non seulement ils sont venus mais ils en ont amené d’autres : des blessés de la vie, des jeunes. Le groupe s’est constitué tout seul. Il reste animé par les pères de familles mais ce qui le cimente c’est la présence de personnes en difficulté, en état de faiblesse. Et ça annule les frontières, y compris culturelles. Dans notre groupe la mixité culturelle est très forte. »
Charly.
« A propos des blessés de la vie je crois réellement que les groupes de maisons sont là pour accompagner les gens, les aider à se reconstruire, pour collaborer avec Dieu afin qu’ils puissent guérir. Mais une réflexion doit s’engager, en termes de cadre et d’accueil, pour que les groupes soient vraiment des lieux de guérison et non des lieux de souffrance… »
François F
« Je voudrais revenir sur le fait que des gens ont été blessés par les églises. Mais pour la plupart il serait plus juste de dire qu’elles se sont blessés dans (et non par) les églises et n’ont pas trouvé le moyen d’être guéries. On accuse l’église de leurs blessures, donc les responsables (prêtres ou pasteurs) mais ce n’est pas aussi simple. Bien des personnes blessées se referment devant une proposition d’aide. On accuse un peu trop facilement l’église de tous les maux. »
Marie Alice
« Doit-on sauver le groupe de maison ou la personne blessée ? Le groupe de maison n’a pas un rôle de psychiatre. Il faut savoir séparer les problèmes, aider l’individu, et poursuivre le groupe. Ici revient à la question : à quoi sert un groupe de maison ? »
Andy
« Le groupe de maison a, me semble t-il, quelque chose à voir avec la question pastorale. L’avantage du petit groupe est qu’on y est en proximité, en relation ; on n’y demeure pas sur le seuil, on y est tout de suite au centre et avec les gens. Alors qu’un grand groupe permet de rester anonyme. C’est une faiblesse mais aussi une force. On peut se situer dans un grand groupe sans forcément tout déballer et pour ceux qui en sont au stade de la découverte, il est avantageux de pouvoir être en position d’observation et pas au centre pendant un temps. Pour les responsables de groupes, comment gérer certaines situations lors des partages de vies douloureuses ou complexes ? Il faut parfois faire appel à des professionnels, des gens qui ont les compétences et la formation appropriées. Le petit groupe ne peut tout faire. Nous devons renoncer à l’illusion de sa toute puissance. Clarifions son projet, sa vision et gardons à l’esprit qu’il se situe dans un contexte plus large. Il a besoin de ressources qui lui viennent de l’extérieur, que ce soit dans un cadre d’église, d’un réseau ou de professionnels. C’est là que nous avons une responsabilité dans la formation des responsables de groupes. Il ne suffit pas de les former pour qu’ils sachent animer, mais aussi pour qu’ils sachent reconnaître et poser leurs limites. Et ceci n’est pas évident pour tout le monde. »
FIN DE LA MATINEE.
Le sujet est loin d’être épuisé. Rendez-vous prochainement sur le site pour découvrir les échanges des participants aux ateliers de l’après midi.
Françoise Rontard & Marie-Thérèse Plaine